Lors du récent déjeuner-causerie organisé par l’Association de la retraite et des avantages sociaux (ARASQ) sur les enjeux d’un régime national d’assurance médicaments, j’ai constaté combien il était facile pour les syndicats de s’imaginer qu’un régime public est une panacée : « on se débarrasse des problèmes reliés à notre régime privé d’assurance médicaments, aux frais du gouvernement ». Ils s’étonnent que les employeurs, tels que la Fédération des chambres de commerce du Québec, veuillent maintenir leurs régimes privés.

J’écris cet article car je crains qu’avant de se prononcer en faveur d’un régime public, les centrales syndicales aient négligé de considérer toutes les conséquences pour leurs membres, positives et négatives. Rappelons que :

  • Le « gouvernement », c’est nous les contribuables;
  • Tous les travailleurs québécois, incluant les syndiqués, paient et paieront toujours pour un régime public via leurs impôts (Fonds consolidé), TVQ, et autres contributions publiques.

Lors de son récent colloque sur l’assurance médicaments, la FTQ n’a pas jugé approprié d’inviter des personnes opposées au régime national d’assurance médicaments afin de considérer tous les enjeux. Ce positionnement politique n’est pas récent et n’a rien à voir avec une évaluation rigoureuse de toutes les options. Idem pour Marc-André Gagnon dont les recherches et les conclusions sont financées par la Coalition canadienne de la santé, proche des syndicats.

Suggérer que les travailleurs québécois se porteront mieux si on remplaçait tous les régimes d’assurance médicaments par un seul régime public repose surtout sur :

  • le contrôle des honoraires des pharmaciens,
  • la négociation de prix plus bas et
  • une utilisation plus optimale.

Contrôle des honoraires des pharmaciens  

Les honoraires excessifs facturés par les pharmaciens du Québec est le principal argument invoqué par ceux qui considèrent que le régime mixte du Québec est un échec. Il est vrai que le défaut des assureurs de ne pas gérer les honoraires excessifs ne donne aucune confiance en leur capacité de gérer plus efficacement que le gouvernement.

Cette réalité tient au fait que depuis l’implantation du Régime général d’assurance médicaments, en 1997, les assureurs n’ont pas établi au Québec, comme dans toutes les autres provinces, un montant maximum admissible calculé selon un algorithme.

Conséquemment, en 2016, selon Telus Santé, les régimes privés au Québec payaient les mêmes ordonnances 11 % plus cher qu’en Ontario, et leurs coûts ont augmenté de 26 % de plus que ceux du régime public en neuf ans. Après 20 ans d’inertie, implanter le même algorithme qu’en Ontario signifierait que la quasi-totalité des assurés du Québec paieraient des excédents. Il faudrait un algorithme deux fois plus généreux pour éviter la grogne générale. C’est la principale raison qui motive l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) à s’obstiner à négocier une entente avec l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) : les assureurs veulent que les pharmaciens se voient imposer un montant maximum, sans possibilité de faire payer un excédent à l’assuré. Mais à quel prix?

Nous risquons de ne jamais le savoir, car rappelons que les signataires de cette entente ont toujours invoqué la confidentialité pour refuser d’en divulguer les termes. Pourtant, les conditions négociées par les signataires de l’entente sont imposées à tous les promoteurs, syndicats et employeurs. Dans l’éventualité qu’une entente soit conclue avec l’AQPP, les promoteurs ont le droit d’exiger de savoir le « prix » que les assureurs ont accepté de « payer » en leur nom, pour « régler » le problème des honoraires excessifs.

Ajoutons que plus récemment, les ententes payées par les manufacturiers pharmaceutiques aux assureurs en ce qui concerne les médicaments biologiques n’ont pas été transparentes. Elles ne se sont pas traduites par des réductions proportionnelles au prix plus bas des biosimilaires pour les promoteurs, ce qui ne crée pas un climat de confiance à l’égard des assureurs. Ces derniers ont agi individuellement, y voyant une occasion d’augmenter leur profit ou leur compétitivité, d’où leur peu d’empressement à négocier sur la base de la totalité du volume des régimes privés au Canada. Et les manufacturiers pharmaceutiques n’avaient pas intérêt à ce qu’assureurs et gouvernements unissent leurs forces pour négocier… Puisque les ristournes ne touchaient qu’une partie de leur volume, les manufacturiers ont consenti des rabais plus importants aux gouvernements, contribuant à la perception que ces derniers sont de meilleurs gestionnaires.

Enfin, le financement et l’accès aux médicaments très coûteux est un problème majeur. Les assureurs ont espéré qu’un régime national se limiterait à un mécanisme de mise en commun public-privé plus efficace que ceux mis en place (comme EP3 et la Société de compensation en assurance médicaments du Québec), qui permettrait de préserver un bloc d’affaires important tout en se débarrassant de la « patate chaude ». Or, en raison d’un soutien croissant à un régime national public, la situation prend une toute autre tournure : pourquoi laisser le crémage aux assureurs alors qu’on peut avoir tout le gâteau?

Négociation de prix plus bas

La viabilité financière d’un régime national public repose en grande partie sur une baisse du prix des médicaments. La centralisation du pouvoir de négociation, basé sur la totalité du volume canadien, devrait faire baisser les prix. Toutefois, les projections doivent prendre en compte que le Canada représente moins de 3 % des ventes mondiales. Un manufacturier va préférer ne pas commercialiser sa nouvelle molécule au Canada si le prix exigé est trop bas et entraine des pertes de revenus importantes sur le marché mondial. À cet égard, la réduction de 30 % des prix actuels utilisée par les tenants de la nationalisation est trop optimiste, voire irréaliste.

On a tort de croire que les médicaments non-couverts seraient tous des copies inutiles d’autres médicaments. En Nouvelle-Zélande, l’exemple fréquemment invoqué comme un modèle par les tenants d’un régime national public, la liste de médicaments couverts exclus certains nouveaux  médicaments offrant une valeur ajoutée. Un nombre croissant de néo-zélandais doivent payer une prime pour un régime privé complémentaire afin de satisfaire leurs besoins.

Même si le prix des médicaments baisse, parions que les coûts d’un régime national public seront supérieurs aux sommes payées présentement par les assurés des régimes publics et privés, notamment pour couvrir les coûts des personnes non assurées hors Québec. De plus, on prend pour acquis, et peut-être à tort, que les promoteurs accepteront de payer les mêmes sommes pour un régime national public sur lequel ils n’exerceront aucun contrôle.

Utilisation plus optimale 

Les membres syndicaux doivent considérer, avant de l’appuyer, qu’un régime public appliquera des contrôles tels que substitution générique obligatoire, autorisation préalable, montant maximum admissible pour contrôler les honoraires des pharmaciens, nombre de bandelettes maximum, formulaires gérés, etc. Les syndicats et leurs conseillers ont jusqu’à ce jour refusé ou négligé d’implanter ces contrôles de coûts dans leurs régimes privés : communiquer aux syndiqués les conséquences négatives résultant d’un régime public risque de faire bien des mécontents…

Je ne prétends pas avoir raison sur tous les éléments présentés. J’encourage tous les intervenants du marché à contribuer au débat afin que la meilleure décision soit prise. Je ne suis ni pour, ni contre un régime public. Je ne suis qu’une libre penseuse qui souhaite éviter que la démagogie des uns et l’inertie des autres nous entrainent dans une voie que nous regretterons collectivement, quand il sera trop tard!

Johanne Brosseau est consultante en assurance médicaments.

Les points de vue exprimés dans ce texte sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux d’Avantages.