
Les bienfaits de l’exercice physique contre la dépression devraient être autant mis de l’avant par les psychiatres que d’autres traitements.
Les bienfaits de l’activité physique pour combattre la dépression sont tellement bien étayés dans la littérature scientifique que les psychiatres qui omettent d’en parler à leurs patients commettent possiblement une faute professionnelle, fait valoir un article de fond publié récemment par le British Journal of Sports Medicine.
Après tout, écrivent le docteur canadien Nicholas Fabiano et ses collègues, « des méta-analyses récentes ont démontré que l’exercice physique a des effets antidépresseurs comparables à ceux des médicaments ou de la psychothérapie, avec des bienfaits simultanés sur plusieurs systèmes pour la santé physique ».
« Quand on observe la pratique et ce que font les gens, il semble que de nombreux prestataires ne soient toujours pas à l’aise avec le fait de prescrire de l’exercice physique, d’assurer un suivi et d’utiliser cela comme traitement principal », a dit en entrevue le docteur Fabiano, qui est résident en psychiatrie à l’Université d’Ottawa. « Il semble y avoir un écart entre ce que démontrent les preuves et ce qui se produit en pratique clinique. »
Compte tenu de l’ampleur de la littérature scientifique désormais disponibles sur l’efficacité et la sécurité de l’exercice physique dans le traitement de la dépression, le fait de ne pas prescrire et encourager cette pratique auprès des patients «ne constitue-t-il pas une grave négligence?» demandent les auteurs du texte.
À titre de comparaison, poursuivent-ils, il serait « inacceptable » qu’un psychiatre ne soit pas en mesure de prescrire des médicaments, d’orienter ses patients vers une psychothérapie efficace ou de la pratiquer lui-même.
« Alors, pourquoi acceptons-nous que l’exercice physique, traitement de première intention de la dépression, soit rarement prescrit aux patients? » lancent-ils. « À partir de quel moment ce décalage entre les preuves, les politiques et les préférences des patients et ce que propose un service psychiatrique devient-il une faute professionnelle? »
Jusqu’à 50 % des patients ne répondront pas adéquatement aux traitements typiques de la dépression, comme les antidépresseurs ou la psychothérapie, rappellent les auteurs du texte. Ces interventions ne ciblent pas non plus, et pourrait même exacerber, certains problèmes physiques.
Mais tout comme on ne recommanderait pas à un patient dépressif de tout bonnement «prendre sa médication» ou « d’aller en thérapie », recommander à un patient dépressif de s’activer physiquement n’est pas aussi simple que de lui prescrire une marche chaque soir après le souper, rappelle le docteur Fabiano.
Il faut que le tout soit bien organisé, par exemple en proposant des plans d’exercices structurés et personnalisés qui suivent le principe F.I.T.T. (Fréquence, Intensité, Temps et Type), dit-il.
« Un patient dépressif n’est d’emblée pas très motivé », a rappelé le docteur Fabiano. « Ce n’est pas équitable envers le patient de penser qu’on va lui dire de bouger et qu’il va le faire. Le patient mérite d’être mieux épaulé s’il veut aller dans cette direction. »
« Il n’est pas non plus question de proposer au patient un choix binaire entre la médication et l’exercice », poursuit-il: « si le patient veut essayer à la fois la médication et l’exercice, «c’est fantastique, mais il faut tout d’abord que ça lui soit proposé ».
Toutefois, lors d’un récent sondage, plus de 90 % des professionnels en santé mentale ont souligné n’avoir reçu aucune formation particulière concernant la prescription de l’activité physique. L’exercice physique arrivait seulement en cinquième place en termes d’efficacité perçue face à la dépression, et quatre experts sur dix admettaient ne jamais le prescrire à leurs patients.
Le docteur Fabiano encourage le milieu médical à prendre l’activité physique au sérieux. Pour ce faire, il faut l’enseigner dans les facultés de médecine, l’inclure dans les lignes directrices cliniques, et veiller à ce qu’elle soit couverte par les assurances « comme si c’était de la médication », a-t-il dit.
« Il est important de noter que l’exercice physique nécessite un soutien et une motivation au début, et il incombe aux professionnels de la santé mentale de mettre en place des services avec des professionnels de l’exercice physique qualifiés qui peuvent initialement dispenser la formation », soulignent les auteurs du texte.
Le docteur Fabiano souhaite également que les médecins disposent des ressources nécessaires pour pouvoir diriger plus facilement leurs patients vers des spécialistes de l’activité physique, et que des technologies comme les moniteurs d’activité physique soient intégrées au suivi.
« On a des gens sur le terrain qui savent que l’exercice physique est bénéfique pour combattre la dépression, mais qui ne savent pas comment le prescrire, à moins d’avoir une expérience personnelle de l’activité physique et de pouvoir en discuter avec leurs patients », a déploré le docteur Fabiano.
Le fait de ne pas prescrire d’exercice «prive les patients d’une intervention sûre et efficace présentant des avantages multisystémiques, perpétuant ainsi des soins sous-optimaux et exacerbant les disparités en matière de santé», concluent les auteurs du texte.
« De la même manière que le fait de ne pas proposer de médicaments, de psychothérapie ou de surveillance métabolique lorsque cela est clairement indiqué est considéré comme inférieur à la norme de soins, et constitue dans certains cas une faute professionnelle, le fait de continuer à négliger l’exercice physique, malgré des preuves convaincantes, n’est pas conforme aux meilleures pratiques actuelles », écrivent-ils.