Depuis de nombreuses années, la viabilité à long terme du système de santé est au coeur des préoccupations des Québecois. Les dépenses en santé monopolisent une part importante du budget gouvernemental. Le vieillissement de la population exerce une pression énorme sur le système de santé.
L’accès universel des soins de santé constitue un enjeu important qui fait la fierté des Québécois. Le Canada demeure d’ailleurs le seul pays industrialisé à avoir maintenu la gratuité complète des services de soins de santé essentiels. Avec l’inversion de la pyramide d’âge, ce système ne semble plus toutefois correspondre à la réalité d’aujourd’hui.
À quoi doit-on s’attendre à court terme?
En décembre dernier, le ministre Philippe Couillard, nous confiait que pour 2007, il suivrait de près le plan déposé visant l’augmentation du nombre de chirurgies au Québec. M. Couillard espère aussi instaurer dans la prochaine année des mécanismes de gestion d’accès dans les hôpitaux pour faire suite à l’adoption de la loi 33. Par ailleurs, il entend présenter la Politique du médicament au cours des prochains mois, un dossier fort attendu.
Questionné sur ce qui attend le domaine de la santé, Léonard Aucoin, président de Infoveille santé, croit que peu de changements majeurs sont à prévoir à court terme. Le système de santé continuera selon lui de subir une forte pression. « Le haut taux de vieillissement de la population du Québec et la chronicisation des maladies ajoutent une pression énorme sur la demande, soutient-il. On ne guérit plus les maladies, on les traite. Auparavant, on succombait à un premier infarctus et l’on mourrait d’un cancer. Aujourd’hui, on peut vivre très longtemps même lorsqu’on est atteint d’une maladie grave. »
Il poursuit : « D’autre part, l’offre subit une forte pression provoquée principalement par l’arrivée de nouveaux médicaments et de nouveaux traitements plus efficaces ainsi que par l’utilisation de nouveaux équipements maintenant disponibles pour soigner les patients. En combinant ces éléments, cela haussera inévitablement les coûts. Les payeurs de soins, qu’ils soient publics ou privés, devront donc trouver des façons innovatrices pour maîtriser la croissance des coûts reliés aux soins de santé. »
Selon toute vraisemblance, la pénurie de personnel médical devrait se résorber dans les prochaines années, autant chez les médecins que les infirmières. Selon M. Aucoin, il faudra plutôt regarder du côté de l’organisation du travail ainsi que des modes de rémunération des professionnels de la santé pour améliorer la prestation des soins et services. « La rémunération mixte des médecins se veut un premier pas dans la bonne direction, pense-t-il. En même temps, il faudra optimiser les ressources utilisées afin de favoriser l’expertise de chacun ainsi qu’une meilleure gestion du temps. En ce sens, l’arrivée des infirmières praticiennes se veut une bonne chose ».
Comment financer le système de santé public?
La pression sur le système ne diminuera pas avec le temps et puisque la capacité de payer des Québécois a atteint son maximum, des choix politiques difficiles devront être faits très bientôt. M. Aucoin croit qu’il faudra redéfinir le panier de services ainsi que les mécanismes de rationnement en place. « Étant donné qu’il n’existe actuellement aucun coût à l’entrée pour les patients dans notre système de santé, le rationnement s’effectue via les listes d’attente, en retardant les soins prodigués aux patients », dit-il.
Il continue : « Il faut se demander si, par exemple, l’État devrait payer exclusivement les médicaments génériques ou continuer d’inclure les médicaments d’origine, plus dispendieux. Certains pays ont fait ce choix, mais cela ne se fera pas sans heurts. »
Claude Fréchette, vice-président, chez Avalon Actuariat, abonde dans le même sens : « Il serait temps de faire payer, en partie, le consommateur pour qu’il prenne conscience de la valeur réelle des coûts reliés aux soins de santé. Mais au-delà de ces solutions, il faudra trouver des mécanismes pour inciter les gens à être plus actifs et à bien s’alimenter, surtout ceux pour qui cela est moins important présentement. C’est là le véritable défi à relever pour notre société qui a les défauts d’une société riche c’est-à-dire d’être sédentaire et d’avoir facilement accès à l’alimentation. »
Alain Robillard, conseiller principal en santé et avantages sociaux chez Mercer, partage cette opinion : « Il est possible de limiter à long terme la hausse vertigineuse des coûts par des campagnes de sensibilisation. Il faut cesser de croire que les soins de santé ne coûtent rien ».
À ce sujet, certains experts suggèrent de faire comme les régimes privés et de partager l’information sur les médicaments et les traitements disponibles et leur coût. « L’expérience acquise chez nos clients démontre que l’accès à des renseignements pertinents sur les coûts des soins et les résultats attendus encouragent le changement de comportement chez les employés, affirme M. Robillard. L’amélioration des connaissances sur le rapport coût-efficacité des divers traitements disponibles et sur les approches préventives qui réduisent la nécessité d’interventions ultérieures coûteuses contribuent fortement à rendre les choix des employés plus judicieux. »
Cyril Bendahan, vice-président régional, Assurances collectives à la Financière Manuvie, signale que la démographie explique en partie la hausse des coûts en santé, mais que ce phénomène n’est pas unique au Québec. « Il faut regarder les solutions implantées ailleurs dans le monde afin de mieux faire face à la situation », insiste-t-il.
« Certains pays d’Europe, ainsi que quelques provinces canadiennes, bénéficient déjà de systèmes, public et privé, qui fonctionnent en parallèle et qui se complètent très bien, enchaîne Bernard Hogue, vice-président, Affaires publiques, à la Fédération des chambres de commerce du Québec(FCCQ). À partir de ces expériences, nous pourrons établir notre propre formule. Le mode de financement varie d’un endroit à l’autre, mais un fait demeure, les listes d’attente diminuent et les soins sont dispensés plus rapidement aux patients qu’ici. »
Une garantie d’accès des soins, mais pour qui?
Plusieurs croient que l’ouverture à l’assurance privée se veut une des solutions pour améliorer l’accès aux soins et aux services de santé, du moins pour ceux qui bénéficient d’une assurance collective privée. « Cela élargira l’éventail des choix offerts tant aux entreprises qu’aux individus, soutient M. Robillard. De plus, en introduisant un élément de concurrence dans le système de santé, cette mesure créera un climat propice à l’innovation, élément essentiel à l’évolution du système de santé pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. »
M. Robillard explique que grâce au principe de l’assurance, le financement des chirurgies couvertes, effectuées dans le privé, pourrait être plus abordable et accessible à un plus grand nombre de citoyens.
« L’ouverture à l’assurance privée proposée par le gouvernement aura un impact peu important sur l’absentéisme et la productivité, poursuit-il. Les traitements, pour lesquels l’assurance duplicative serait initialement permise, concernent surtout les personnes âgées et touchent peu la population active. Compte tenu du nombre restreint de ces traitements, les assureurs pourraient éprouver des difficultés à offrir à prix abordable un produit répondant aux besoins des employeurs, en particulier les PME. Si, par ailleurs, le panier de services était élargi, les assureurs ainsi que les gens seraient plus intéressés par ce genre de produit. »
De l’avis général, la nouvelle loi annoncée sur l’accessibilité des soins de santé n’est pas menaçante pour le moment. Le privé viendra simplement compléter ce qui est déjà offert par le régime public. « La Cour permet seulement aux citoyens de recevoir certains traitements précis en cabinet privé, qui seront défrayés par le système public, lorsque ce dernier sera incapable de les livrer à l’intérieur d’un certain délai. Le Québec était l’un des seuls endroits où cela n’était pas déjà permis. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter », affirme M. Aucoin.
Comme assureur, M. Bendahan ne croit pas que la nouvelle loi suscitera une forte demande. « Si le gouvernement vient qu’à élargir le nombre de chirurgies couvertes par la loi, il faudra alors s’ajuster en conséquence. Les mieux nantis ont déjà accès à des soins privés, s’ils le désirent. La loi ne changera pas cette réalité. »
M. Fréchette est d’accord avec ce point et ajoute : « L’ouverture au privé n’est pas mauvaise en soi, puisque cela amènera de l’argent neuf dans le système de santé, ce qui permettra peu à peu d’améliorer les soins et des services dans le régime public. »
La FCCQ croit qu’il faudrait considérer une ouverture plus grande au secteur privé. Il faut continuer de supporter le système public tout en permettant au secteur privé de compléter l’offre de soins. Contrairement à la croyance populaire, c’est toute la population qui en profiterait. « Les gens qui choisiraient de se faire traiter dans le privé libéreraient le système public, ce qui aurait pour effet de désengorger les hôpitaux, affirme M. Hogue. Nous vivons dans une société démocratique. Il est temps de laisser les citoyens choisir de quelle manière ils désirent recevoir les soins nécessaires en fonction de leurs besoins personnels. »
Quels seront les impacts sur les régimes collectifs?
Une plus grande ouverture au privé créerait une certaine pression à la hausse sur les régimes d’assurance collective. M. Hogue explique que cette pression sera toutefois contrebalancée par des gains significatifs en productivité. « Un accès plus rapide aux soins permettra aux employés un retour au travail plus rapide. Par le fait même, cela réduirait les coûts d’invalidité pour l’employeur. Ce serait donc une bonne chose pour les employés, les employeurs et le système de santé du Québec. »
Tous sont unanimes; la prévention et l’adoption de saines habitudes de vie constituent des stratégies efficaces afin de réduire l’incidence des maladies chroniques et d’améliorer l’état de santé des gens de façon globale.
Les employeurs acceptent de moins en moins les hausses de coût de leur assurance collective puisque cela a un impact direct sur leur rendement global. « Des employeurs ont même réduit certaines couvertures offertes ou modifié leur régime en des régimes flexibles, note M. Fréchette. Les programmes de santé et mieux-être, par exemple, peuvent avoir un impact important sur les coûts à long terme, avise-t-il.
Pour le moment, on observe surtout des initiatives du genre qui touchent la gestion de l’invalidité puisque cela est plus facile à quantifier en dollars. Selon lui, il faudra aussi implanter bientôt des solutions de santé et mieux-être afin de percevoir un impact véritable. « Les répercussions de ce genre de programme demeurent toutefois difficiles à chiffrer pour les employeurs, ce qui, par conséquent, retarde leur implantation », ajoute M. Fréchette.
M. Bendahan propose une solution novatrice : « Il serait temps de créer des comités en avantages sociaux au sein des entreprises afin d’identifier les besoins précis des participants et d’établir la répartition de l’enveloppe budgétaire consacrée aux avantages sociaux des entreprises. Tout le monde sortirait gagnant d’un tel partenariat entre les promoteurs et les participants. »
Les employeurs sont-ils responsables de la santé des employés?
Face aux défis démographiques qui entraîneront une pénurie de la main-d’œuvre, le vieillissement du personnel et une croissance des coûts des régimes d’assurance collective, les employeurs ont la motivation voulue pour amorcer une riposte sur les lieux de travail sous forme de programmes pragmatiques et novateurs. Plusieurs soulignent que le rôle que jouent les employeurs dans les questions d’éducation à la santé et à des comportements sains n’est pas suffisamment reconnu ou stimulé par le gouvernement.
M. Robillard suggère même que des incitatifs fiscaux soutiennent davantage les entreprises qui investissent dans des programmes de promotion de la santé. « La fiscalité devrait encourager les employeurs qui contribuent aux soins de santé au moyen de divers programmes de prévention et de mieux-être, fait-il valoir. Des mesures fiscales soigneusement conçues devraient aussi encourager les citoyens à prendre leur santé en main. »