Si les États-Unis font aujourd’hui figure de « boussole des marchés mondiaux », cette situation pourrait ne plus durer très longtemps, estime l’économiste français Jean-Paul Betbèze.

Dans une récente tribune publiée dans le quotidien Le Monde, cet ancien chef économiste et directeur des études économiques du Crédit Lyonnais et membre du cabinet Deloitte France relève en effet que « dans le monde inquiet et confus qui est le nôtre, entre Donald Trump, la Chine, l’Italie, l’Iran et le reste, il suffit pour un investisseur de regarder ce qui se passe aux États-Unis pour savoir ce qui va se passer en Bourse ».

Toutefois, ajoute-t-il, « les choses pourraient changer », notamment parce que la première puissance économique mondiale « entre actuellement dans un territoire compliqué, celui de la prolongation de son cycle économique », et aussi parce que la Banque centrale européenne (BCE) cessera prochainement de mener « une politique monétaire ultra accommodante qui consiste à acheter des bons du trésor ».

Une rôle plus réduit

D’un côté, explique Jean-Paul Betbèze, les États-Unis clament haut et fort à l’intention des intervenants sur les marchés d’actions qu’« une croissance potentielle plus forte est toujours possible, et donc que des profits plus hauts sont atteignables », tant chez eux que partout ailleurs dans le monde.

De même, la remontée progressive des taux courts à laquelle on assiste depuis l’an dernier chez nos voisins du Sud ne fera sans doute « pas trop » monter les taux longs. Résultat, dans ce domaine également, les États-Unis « font figure de modèle » puisque le « guidage » des marchés internationaux par la Réserve fédérale existe au moins depuis l’époque où Ben Bernanke a dirigé la Fed, c’est-à-dire entre 2006 et 2014.

Mais cette situation ne durera pas, estime l’économiste français. Notamment parce que la politique monétaire américaine va « nécessairement » devoir changer. En effet, les derniers chiffres d’inflation de l’autre côté de la frontière sont « inquiétants », avec une hausse du coût salarial unitaire de 2,9 %. Un phénomène qui pourrait contraindre la banque centrale américaine à « vendre davantage de bons du trésor », et ce « au moment même où la politique de Donald Trump creuse le déficit budgétaire ».

De même, « la remontée des taux longs pour cause de tensions inflationnistes et de réduction du portefeuille de la Fed, ajoutée à la remontée de la volatilité pour cause d’incertitudes politiques » vont rendre le rôle de boussole de la Fed « moins efficace » qu’auparavant, explique Jean-Paul Betbèze. Celui-ci rappelle d’ailleurs que l’actuel patron de la banque centrale, Jerome Powell, a récemment admis que l’institution jouerait désormais un rôle « significativement plus réduit » qu’au cours de la décennie écoulée.

Les marchés américains ne sons pas prêts

Dans un tel contexte, poursuit Jean-Paul Betbèze, il est probable que les taux courts remonteront à 3 % « vers la fin de 2019 », tandis que l’emprunt à 10 ans du Trésor américain pourrait passer de 3 % à 3,5 % au moins durant ce même laps de temps. Un scénario auquel les marchés américains « ne sont clairement pas prêts », affirme l’économiste.

Si ce dernier juge que les États-Unis « vont bien », il tempère ce propos en insistant sur le fait que la politique économique et financière de l’actuelle administration républicaine « cumule les risques, en repoussant les limites de la surchauffe, au moment même où la politique interne et externe [américaine] est de moins en moins claire, au-delà du bonus fiscal accordé aux entreprises qu’a tant aimé la Bourse ».

« Tout ceci annonce une remontée des taux longs, au moment même où l’Europe est politiquement secouée, en particulier l’Italie et la Grèce, les deux pays les plus endettés. Moralité : savoir où va la croissance américaine est moins simple qu’avant, et savoir où vont les taux moins encore : la boussole des marchés devient plus compliquée. Il ne peut plus suffire de suivre les États-Unis, qui vont eux-mêmes devoir innover », conclut Jean-Paul Betbèze.