Les régimes de retraite canadiens ont investi temps et énergie au cours des dernières années pour trouver des occasions de placement à l’extérieur des catégories d’actif traditionnelles que sont les actions et obligations. L’engouement pour les fonds de couverture, les placements immobiliers et les placements privés a incité bon nombre de régimes de retraite à modifier la répartition stratégique de leur actif. Parmi ces «nouvelles» catégories d’actif, les placements dans le secteur des matières premières ont fait l’objet de nombreuses discussions et demandes d’information. Cela dit, peu de régimes de retraite, hormis les plus grands au Canada, ont effectivement placé une part de leur actif dans cet important secteur de l’économie. Mais quelles sont les diverses caractéristiques de placements en matières premières et quels sont les avantages – ou les inconvénients – de ces placements.

Les marchés financiers se sont développés à un rythme fulgurant au cours des 20dernières années. La prolifération des contrats à terme et la croissance exponentielle du volume de transactions ont facilité les placements dans les matières premières en permettant aux investisseurs de profiter des caractéristiques de cette catégorie d’actif sans toutefois se buter aux problèmes logistiques et sans être confrontés aux coûts de la détention physique. Bien que les contrats à terme sur les différentes denrées facilitent les placements dans ce secteur, il importe de se familiariser avec les particularités de ces placements.

L’achat de contrats à terme sur l’aluminium, par exemple, diffère de la souscription d’actions ou d’obligations de la société Alcan. En effet, la souscription d’actions donne certains privilèges au porteur à titre de «propriétaire» de la société émettrice des actions en question, notamment la participation à la croissance de la société. En revanche, l’achat d’un contrat à terme n’est en fait qu’un pari sur le prix futur d’une denrée donnée. De plus, acheter un contrat à terme n’équivaut pas à acheter et à entreposer directement une denrée. Le prix du contrat à terme varie en fonction du prix de la denrée sous-jacente, mais aussi de la fluctuation de l’offre et de la demande des contrats à terme, ces dernières étant entre autres influencées par le niveau des stocks et l’accroissement ou la diminution de la capacité de production.

De fausses croyances
Contrairement à certaines croyances, le rendement d’un placement dans un panier de différentes matières premières n’est pas uniquement lié à la variation du prix de ces denrées. Si tel était le cas, ce placement ne présenterait sans doute qu’un intérêt limité à long terme. Il est notoire que le prix d’un panier de matières premières, tel qu’il est mesuré par le Goldman Sachs Commodity Index(GSCI), a très peu augmenté de 1970 à 2001. En fait, le GSCI Spot Index n’a augmenté que de 1,7% sur une base annualisée au cours de cette période de 31 ans. L’indice spot mesure uniquement le changement du cours des matières premières qui le composent. Cependant, l’investisseur qui aurait choisi de reproduire l’indice pendant cette même période, de 1970 à 2001, aurait vu son capital s’apprécier de 11% annuellement. Alors, comment un écart de 9,3% entre l’appréciation du prix des denrées uniquement et le rendement total réalisé est-il possible?

Cet écart s’explique par le fait que le rendement total d’un investisseur est composé de la variation du prix des denrées à laquelle s’ajoute le rendement obtenu sur le marché monétaire et le rendement lié au roulement des contrats à terme. Contrairement à la souscription d’actions ou d’obligations, un placement de 100$ dans un contrat à terme n’exige pas une sortie de fonds équivalente. Un montant minimum, variant de 5% à 12% selon les denrées, est transféré dans un compte sur marge en guise de garantie du contrat. Le solde est généralement investi dans des instruments du marché monétaire et contribue au rendement. Le rendement lié au roulement est quant à lui généré par le renouvellement constant des contrats.

Les contrats à terme sur denrées doivent être renouvelés tous les un, deux ou trois mois selon le type de denrée et la stratégie adoptée. Il est possible de réaliser un gain en vendant un contrat avant son expiration à un prix plus élevé que celui auquel il a été acheté pour le remplacer. Ce gain représente le rendement lié au roulement des contrats. Ce rendement est possible parce que les vendeurs naturels de contrats, généralement des producteurs, veulent se protéger contre la fluctuation des prix et consentent à payer une prime aux acheteurs.

Il est à noter que ce rendement obtenu au moyen du roulement des contrats varie selon les denrées, sans compter qu’il peut parfois être négatif. Par exemple, le roulement est toujours négatif pour les contrats sur l’or, tandis qu’il est souvent positif pour les contrats liés au pétrole, exception faite des deux dernières années.

Pourquoi considérer un investissement dans les matières premières?
Cette question est d’autant plus pertinente que plusieurs investisseurs se considèrent déjà exposés aux fluctuations du prix des matières premières grâce aux actions canadiennes qu’ils détiennent. Nous sommes cependant d’avis qu’un placement dans cette catégorie d’actif peut améliorer le profil rendement/risque de plusieurs investisseurs institutionnels.

À moyen et à long terme, le rendement total du GSCI a été similaire à celui des principaux marchés boursiers avec un degré de volatilité légèrement plus élevé. La corrélation entre le rendement du GSCI et celui des indices boursiers ou obligataires étant pratiquement nulle, voir négative, l’ajout des matières premières produit un effet de diversification important sur l’ensemble du régime de retraite. Bien que la corrélation entre le rendement de l’indice composé S&P/TSX et celui de l’indice GSCI ait fluctué de façon importante dans le temps, passant de –0,5 à +0,5 selon les périodes, elle est tout de même demeurée inférieure à la corrélation observée entre le rendement du marché canadien et celui des autres marchés boursiers.

Sur un horizon de 20ans, la corrélation entre le GSCI et le marché canadien a été presque nulle, ce qui confirme l’effet de diversification. Bien que les titres des secteurs des ressources réagissent aux variations du prix des matières premières, une multitude d’autres facteurs influencent également le rendement des sociétés. C’est donc pourquoi l’exposition aux actions canadiennes ne peut éliminer à elle seule les avantages d’un placement en matières premières. Parmi les autres facteurs à considérer dans l’évaluation d’un tel placement, notons la protection contre l’inflation non anticipée et la protection contre certains risques politiques, comme la situation au Moyen-Orient ou les attentats terroristes.

Cet article ne constitue qu’un survol des matières premières à titre de nouveau «bêta» ou de catégorie d’actif pour les régimes de retraite. Certains investisseurs exploitent également ce secteur comme source d’alpha ou de valeur ajoutée. Ces deux facettes liées aux matières premières, bêta ou alpha, doivent faire l’objet d’une analyse et d’une décision distincte. L’ajout des matières premières à titre de nouvelle catégorie d’actif est maintenant assez simple et peu coûteux grâce à la variété d’instruments de placement offerts sur le marché, dont les fonds communs indiciels, les swaps et les fonds négociés en Bourse(FNB). La recherche d’alpha est toutefois beaucoup plus complexe et similaire à la recherche d’un gestionnaire de fonds de couverture.

Eric Léveillé est directeur chez Barclays Global Investors à Montréal. Il recommande aux investisseurs qui veulent en savoir plus au sujet du secteur des matières premières de lire l’article «Facts and Fantasies About Commodity Futures» de Gary B. Gorton et K. Geert Rouwenhorst, publié en 2005, par le Yale International Center For Finance. On peut télécharger l’article à l’adresse, cliquez ici

(1)En supposant une reproduction parfaite!
Rendements spot et total en $US.