
Ce matin, vous avez probablement consommé un ou plusieurs produits de base, ou du moins un produit qui en est dérivé. Pensons au café ou aux céréales lors du déjeuner ou encore au plein d’essence au garage. Ces marchandises contribuent grandement à notre vie quotidienne. Mais ont-elles leur place dans le portefeuille d’investissements d’une caisse de retraite ? Depuis plusieurs années, la présence des placements dits « alternatifs » a crû de façon importante. La valeur des produits de base n’a pas toujours suivi au même rythme, mais investir dans l’agriculture, l’énergie ou les métaux précieux, entre autres, peut toutefois s’avérer une stratégie intéressante.
Lee Kayser, gestionnaire de portefeuille chez Investissements Russell, constate que les régimes de retraite ont commencé à examiner sérieusement les produits de base au début des années 2000. « L’objectif principal a toujours été de diversifier le portefeuille. Les produits de base sont probablement la catégorie d’actif la moins corrélée au modèle traditionnel d’actions et d’obligations, dit-il. Même si les dernières années ont été difficiles sur le plan des rendements – plusieurs catégories ont connu une sous-performance par rapport aux marchés d’actions mondiaux – l’élément de diversification demeure valide. » Les produits de base – parfois appelés marchandises ou matières premières – s’avèrent un secteur cyclique et, en bonne partie, des leviers sur l’économie. « Quand l’économie est en croissance, il y a une plus forte demande pour les métaux de base, par exemple, ajoute Frank Zwarts, vice-président et gestionnaires de portefeuilles à Fiera Capital. Pour avoir une bonne exposition à ce secteur, il faut une bonne opinion sur l’économie mondiale. Si on était positif, on pourrait se permettre d’être positif sur les produits de base. »
Il n’est certes pas simple de prévoir le parcours futur des marchés des produits de base, car ceux-ci sont fortement influencés par les événements géopolitiques, politiques, naturels et autres, affirme Yves Martin, président d’Akira Capital. Le taux de chômage aux États-Unis, par exemple, demeure élevé. « Il y a des risques systémiques à moyen terme qui pourraient arriver plus tôt, dit-il. En 2014, le consensus de divers intervenants semble voir une réduction de risque presque partout. Mais c’est justement quand on ne voit pas de risques qu’il peut en survenir. »
Où investir ?
Une façon d’avoir une exposition aux produits de base est l’achat de titres de sociétés œuvrant dans ces domaines, par exemple une compagnie aurifère. D’ailleurs, beaucoup de régimes de retraite y seront déjà exposés grâce à leur répartition d’actions. « Ces sociétés représentent 35 à 37 % de l’indice boursier canadien, le TSX. Une caisse de retraite qui investit dans les actions canadiennes n’a donc pas vraiment le choix d’investir dans ces secteurs pour ce qui est la diversification et la gestion de risque », affirme M. Zwarts. Il convient de rappeler qu’une bonne partie du rendement en produits de base est influencée par les événements sur la scène internationale. À cet effet, beaucoup de compagnies canadiennes de cuivre ont leurs activités en Amérique latine. On préconise donc une perspective mondiale. De plus, dans certains secteurs, il est possible que des entreprises étrangères offrent des occasions d’investissement intéressantes.
S’il y a un bémol, c’est le nombre de personnes qu’il faut allouer à leur analyse. « Une caisse quelconque aurait peut-être les effectifs nécessaires pour évaluer toutes les options, affirme M. Zwarts. Mais cela prend une certaine équipe et un certain degré de compétences qui ne sont pas accessibles à toutes les caisses. » Les régimes de retraite peuvent également investir dans un panier diversifié constitué de contrats à terme sur les produits de base, lequel est lié à un indice, ou encore dans des fonds négociés en Bourse. Il convient d’adopter une stratégie à long terme, constate M. Kayser. « Les gens ont tendance à penser moins au long terme qu’ils ne le croient, dit-il. Mais pour bien profiter des produits de base, il faut s’engager pour longtemps. La plupart du temps, on doit être patient, surtout dans un contexte de bons rendements des marchés boursiers. »
Gestion active
En effet, la nature des produits de base impose une certaine période de gestation. « Avec internet, par exemple, il suffit d’avoir deux hommes qui lancent un programme et, très vite, ils peuvent devenir des milliardaires, constate Yves Martin. Avec toute la réglementation et l’investissement nécessaire, cela peut prendre plusieurs années pour ouvrir une nouvelle mine de cuivre ou faire de l’exploration de pétrole. » Néanmoins, cette optique à long terme ne veut pas dire que les caisses de retraite doivent utiliser une stratégie d’achat à long terme. « Les investisseurs doivent négocier de façon plutôt active afin de générer des rendements, dit M. Kayser. Plusieurs des occasions de placement sont saisonnières. » Même son de cloche du côté de M. Martin. « Pour investir dans les produits de base, une stratégie de gestion passive est sous-optimale. En partant du fait qu’il faut rouler les contrats, on doit agir de façon plus active et réagir en fonction du marché ou des flux de capitaux, dit-il. Contrairement aux actions ou aux obligations, il y existe une réalité physique. Au bout du compte, quelqu’un prend livraison du produit, que ce soit une raffinerie, une ligne aérienne ou une compagnie de céréales. L’ajustement de l’offre s’effectue sur une période plus longue. D’où l’importance d’une gestion active. »
Le grand nombre d’acteurs, qui ont pour objectif premier de gérer certains risques d’approvisionnement en garantissant un prix plancher ou un prix maximal, crée aussi des exacerbations dans les marchés. Par exemple, une compagnie de céréales établira le prix du maïs qu’elle est prête à payer et le fermier aura le prix qu’il veut recevoir. « Les divers intervenants n’étant pas nécessairement présents en même temps sur les marchés, la présence d’intermédiaires qui fournissent la liquidité devient nécessaire, explique M. Martin. Il y a donc des occasions d’investissement, car les marchés sont inefficients. Mais ils ont besoin de liquidités et d’intermédiaires qui fournissent la liquidité. »
Flexibilité
Frank Zwarts souligne aussi l’importance de réagir vite dans le secteur des produits de base. « Dans le contexte actuel, il faut être proactif, opportuniste à l’égard des transactions, dit-il. Lors de fortes montées des compagnies aurifères, par exemple, il faudrait en profiter pour vendre. De bonnes corrections pourraient pousser les investisseurs à en acheter. » Or, souvent, les caisses de retraite ne peuvent pas agir aussi vite quant aux choix des placements, parce que les décisions des comités se prennent souvent en pensant au moyen et long terme. Les régimes qui font appel aux gestionnaires de portefeuille externes ont peut-être intérêt à leur accorder davantage de flexibilité. « On confie un mandat à un gestionnaire dans une niche quelconque parce qu’il a une expertise que l’on n’a pas, constate M. Martin. Si c’est le cas, on devrait lui donner la latitude de réagir et la marge de manœuvre qui permettent d’aller capturer les occasions qu’il voit. »
L’amélioration de l’économie mondiale devrait être porteuse de bonnes nouvelles pour le secteur des produits de base. Quant aux caisses de retraite, la plupart des investissements demeurent en actions et obligations, mais les rendements ne sont pas toujours au rendez-vous. Ajouter une composante de rendement absolu non corrélé aux marchés devient donc une stratégie utile. Ainsi, l’agriculture, les métaux précieux et d’autres produits de base permettent aussi de diversifier efficacement un portefeuille de caisse de retraite.