Après des années d’expérimentation du travail hybride, de plus en plus d’entreprises réduisent le nombre de jours de télétravail à un, voire aucun. 

Cette tendance s’inscrit dans un contexte d’incertitude économique croissante qui réduit les marges de manœuvre des travailleurs et contraint les entreprises à accroître leur productivité.

Même si certains experts soulignent le manque de preuves quant au fait que l’augmentation du nombre de jours de travail au bureau soit bénéfique pour les entreprises, les dirigeants d’entreprise sont de plus en plus convaincus du contraire.

« De nombreux clients augmentent progressivement, mais sûrement, leurs exigences en matière de présence au bureau », signale Alex Gallacher, directeur général d’Engage HR.

Les grandes banques, dont la Banque Royale, la Banque Scotia et BMO, ont imposé au moins quatre jours de présence au bureau à compter de septembre, tandis que Canaccord Genuity passera à cinq, reprenant ainsi les mesures prises plus tôt cette année par les géants américains Amazon et JPMorgan Chase, qui ont également mis l’accent sur le travail au bureau.

D’autres changements sont probablement à venir: 83 % des chefs de la direction canadiens prévoient un retour au bureau à temps plein d’ici trois ans, selon un sondage KPMG de 2024, une forte hausse par rapport aux 55 % qui le pensaient en 2023.

Les entreprises ont cité de nombreux avantages au travail au bureau, comme une collaboration et un travail d’équipe plus faciles, des possibilités de mentorat et une meilleure communication. M. Gallacher estime que ce changement est particulièrement motivé par la volonté des entreprises de mettre leurs employés sur la même longueur d’onde.

« Ce qui motive réellement cette tendance, c’est la culture », explique M. Gallacher. « Ce désir d’avoir une culture plus cohésive, qui soutient efficacement les efforts stratégiques de l’entreprise. »

Pour les services orientés vers la clientèle, comme les banques, la collaboration en personne peut contribuer à mettre en valeur l’approche axée sur les personnes qu’elles visent, convient-il.

Les banques ont elles-mêmes exprimé la même opinion, la Banque Royale spécifiant qu’elle augmente le nombre de jours de présence au bureau parce que les relations humaines en personne sont au cœur de sa culture.

La Banque Scotia souligne les avantages sur le plan de la collaboration, d’engagement et de développement de carrière, ainsi qu’un renforcement de la culture et du sentiment d’appartenance, dans le cadre de son passage à quatre jours de présence au bureau en septembre, tout en précisant que certaines équipes mettront plus de temps à y parvenir en raison de l’espace de bureau ou d’autres contraintes.

Un manque d’indicateurs

Cependant, les politiques à l’échelle de l’entreprise sont une façon assez brutale d’obtenir des résultats alors que les décisions de localisation exigent en réalité plus de nuances et de spécificité, selon Linda Duxbury, professeure de gestion à la Sprott School of Business de l’Université Carleton.

« Les décideurs se contentent de prendre des décisions, comme les banques, où tout le monde revient, ou le gouvernement du Canada, trois jours (…). Cela semble être des décisions très arbitraires au lieu de faire le travail nécessaire. »

Alors que les entreprises cherchent à améliorer leurs résultats, il est assez difficile de mesurer la productivité ou l’efficacité d’un retour au bureau ou du télétravail, affirme Mme Duxbury. « Ils ne disposent pas d’indicateurs de performance fiables pour mesurer la productivité de nombreux travailleurs du savoir », ajoute-t-elle. « Il est donc très difficile de justifier commercialement pourquoi une personne peut travailler à domicile et pas une autre. »

Certains chercheurs ont cherché à quantifier les effets, comme l’a montré une étude publiée l’année dernière par Nicholas Bloom, économiste à l’Université de Stanford, qui a étudié 1600 employés de l’agence de voyages chinoise Trip.com.

L’étude a révélé que les employés qui travaillaient deux jours par semaine à domicile étaient tout aussi productifs et susceptibles d’être promus que leurs collègues travaillant exclusivement au bureau, tandis que le taux de roulement parmi eux a diminué d’un tiers.

Des difficultés de communication

Néanmoins, même si certaines données soutiennent le travail hybride, les entreprises changent leur organisation, car elles sont convaincues que l’expérience ne fonctionne pas, explique Mme Duxbury.

« Ils ne font pas ça sur un coup de tête, en se disant: « Bon, je vais vraiment énerver tous mes employés en les obligeant à revenir travailler pendant cinq jours. » Il y a une raison derrière tout ça. »

La culture d’entreprise, l’esprit qui maintient la cohésion d’une entreprise, est souvent ressortie de ses recherches, même si cela peut aussi être dû au fait que les cadres ne parviennent pas à contacter les employés trop souvent, suggère-t-elle.

Le chef de la direction de JPMorgan, Jamie Dimon, n’a pas hésité à pointer du doigt le manque de fiabilité des employés comme l’une des raisons du retour au travail en présentiel.

Lors d’une réunion publique en février, il s’est plaint de ne jamais pouvoir joindre qui que ce soit le vendredi, dans un enregistrement publié par Barron’s. Il a également invité ceux qui n’appréciaient pas cette politique à démissionner, ajoutant que la fidélisation du personnel est devenue moins préoccupante qu’elle ne l’était pendant les années de pénurie de main-d’œuvre pendant la pandémie.

Si la gestion des plus de 300 000 employés de JPMorgan nécessite des politiques générales, les petites entreprises semblent trouver la situation plus facile.

Différence dans les PME

L’enquête de KPMG, par exemple, a révélé que seuls 20 % des dirigeants de petites et moyennes entreprises prévoient travailler à temps plein.

La difficulté de trouver et de conserver du personnel talentueux contribue aussi grandement à cette tendance, convient M. Gallacher, soulignant que la tendance à augmenter le nombre de jours de travail au bureau est moins marquée en dehors des grandes villes, en particulier pour les entreprises qui recherchent des postes plus spécialisés.

« Si vous essayiez d’embaucher un gestionnaire de sinistres dans le secteur des assurances dans le sud-ouest de l’Ontario en ce moment, ce serait un vrai calvaire. »

Mais à mesure que les tendances évoluent et que l’influence des employés s’amenuise, M. Gallacher précise qu’il est important d’obtenir des éclaircissements de la part de tout employeur potentiel sur ses projets en matière de travail au bureau. « C’est probablement aussi important que le salaire en matière de gestion de votre vie. »