L’intelligence artificielle (IA) prend de plus en plus de place dans les services financiers et les produits d’assurance, mais qu’en ­est-il dans le domaine des régimes de retraite ? ­Les projets se multiplient, mais la discipline en est encore à ses balbutiements.

La ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec tire parti de l’IA depuis plusieurs années, mais l’investisseur institutionnel préfère parler de science des données.

« ­On utilise la science de données grâce à certaines techniques d’IA et de grandes quantités de données, explique ­Jean-François ­Bérubé, ­vice-président stratégie quantitative et science de données au sein de l’organisation. Il y a eu tout un processus de mise en place. Cette phase exploratoire est terminée. Nous sommes maintenant dans une phase d’intégration transversale et d’institutionnalisation où nous utilisons nos ressources pour bâtir une capacité réelle de faire de la science des données à l’échelle de tous nos secteurs d’activité, plutôt que de faire des démonstrations de faisabilité individuelles. »

« ­Notre objectif, c’est d’aider nos professionnels de l’investissement à prendre les décisions les plus informées possibles, ­ajoute-t-il. Nous sommes capables, par la science des données, de permettre à nos gestionnaires d’avoir accès à de l’information complémentaire à celle qu’ils détiennent actuellement et à éclairer leurs prises de décisions. »

La gestion des données est appelée à évoluer, tout comme son interprétation. « C’est un domaine en croissance et en développement. Il y a de nombreuses sources de données qu’on peut exploiter. Celles qu’on utilise présentement proviennent de fournisseurs de données publiques. Il existe par exemple des bases de données qui vont nous donner les détails des états financiers d’à peu près toutes les entreprises cotées du monde, sur une base historique. À partir de ça, on peut analyser le lien entre différents ratios d’évaluation, de qualité et le prix futur des actifs. C’est ce genre d’­information-là qu’on va essayer d’aller capter. Il y a énormément de richesses ­là-dedans. »

La chasse aux données de qualité

Selon M. Bérubé, les plus grands défis viennent de l’accès aux données de qualité. « ­Les techniques existent. Les algorithmes sont là. Ils fonctionnent et nous sommes depuis quelques années dans une ère où l’accès à ces technologies s’est beaucoup démocratisé. Ce n’est pas difficile d’accéder aux algorithmes, mais encore ­faut-il avoir l’expertise pour savoir bien les utiliser. Par contre, pour faire de la science des données, ça prend des données structurées, nettes et prêtes à être exploitées. Et surtout, ça prend des données dans lesquelles on a confiance. Le défi, il est là : 80 % du travail est dans la préparation des données. »

L’investissement est un domaine où il y a énormément d’incertitudes et de bruit dans les données. « ­La relation de cause à effet est très floue et elle change dans le temps selon les cycles économiques, ce qui rend la capacité à extraire des certitudes impossible. Nous allons plutôt donner des probabilités. Nous ne sommes pas dans un domaine de certitude. Ça enrichit le coffre à outils de nos gestionnaires. On vient leur apporter une information supplémentaire, une vision différente basée sur l’exploitation d’une grande quantité de données », souligne le spécialiste.

À savoir s’il y a des risques associés à ces technologies, M. Bérubé répond que le principal est de mal interpréter l’information qui ressort des analyses. « ­Il faut comprendre les limites de ces analyses et ne pas les interpréter comme une vérité, comprendre que la qualité du travail d’un algorithme est tributaire de la qualité de ses intrants. »

Des messages personnalisés grâce à l’IA

Sun ­Life utilise de son côté l’IA depuis plus de cinq ans, notamment via le robot ­Ella, qui intervient auprès des participants aux divers régimes de retraite et d’assurance collective. « ­Ella est un coach numérique qui va livrer des messages personnalisés aux individus, explique le ­vice-président, stratégies et développement du marché, régimes collectifs de retraite, ­Jean-Michel ­Lavoie. Toutes les données de nos clients se retrouvent dans un grand lac de données et elles sont recoupées pour former des groupes de participants partageant des caractéristiques semblables, ce qui facilite l’envoi de messages automatisés plus personnalisés. Avec autant de données, la confidentialité des informations est assurée. Même en faisant des recoupements, par exemple par tranche d’âge, on ne pourra jamais risquer d’avoir des données trop personnelles. »

«Il faut comprendre les limites de ces analyses et ne pas les interpréter comme une vérité, comprendre que la qualité du travail d’un algorithme est tributaire de la qualité de ses intrants. »

 – Jean-François Bérubé, Caisse de dépôt et placement du Québec

En 2021, ­Ella a été utilisée par plus de 68 000 nouveaux participants de régimes collectifs. Le nombre de contacts se compte par millions. « ­Quand nos messages sont bien personnalisés, on remarque des taux d’engagement vraiment supérieurs à ceux qu’on obtient avec des appels téléphoniques ou l’envoi de courriels non personnalisés. Par exemple, dans un régime d’accumulation de capital où l’employeur cotise le même montant que le participant jusqu’à concurrence de 5 % du salaire, si l’employé verse seulement 3 %, il laisse 2 % sur la table. Nous sommes en mesure de lui envoyer un message personnalisé grâce à nos algorithmes pour l’inciter à augmenter sa cotisation. Depuis le début de sa vie, c’est presque 500 M$ en investissement qu’a permis de générer ­Ella », indique M. Lavoie.

L’IA est surtout utilisée dans les régimes à cotisation déterminée, ­poursuit-il. « ­Avec nos bases de données, nous formons des groupes selon les profils et nous informons les participants de leurs options via l’IA. L’objectif étant que chacun profite du maximum auquel il a droit », poursuit M. Lavoie, qui mentionne l’importance d’envoyer les messages au bon moment pour obtenir de meilleurs résultats.

Actif dans les fonds à date cible
Devenus la norme dans les régimes d’accumulation de capital, les fonds à date cible s’autoéquilibrent grâce à la technologie. « C’est un peu de l’IA parce que tout est autoprogrammé. Les participants peuvent aller le changer, mais s’ils ne font rien, ils vont rester dans ce fonds », précise M. Lavoie.

«Toutes les données de nos clients se retrouvent dans un grand lac de données et elles sont recoupées pour former des groupes de participants partageant des caractéristiques semblables, ce qui facilite l’envoi de messages automatisés plus personnalisés. »

 – Jean-Michel Lavoie, Sun Life

Les recherches se poursuivent à ­Sun ­Life afin de maximiser l’utilisation de l’IA. « ­On tente de savoir quand et où envoyer les messages. ­Est-ce que c’est sur le site web, sur l’application mobile, par courriel ? ­On fait des tests. Selon la tâche à faire, la plateforme et le moment choisi peuvent varier. Nous sommes capables de doubler le taux de réponse. Ce qui est intéressant avec l’IA, c’est que tout est mesuré. Par exemple, on peut savoir, sur 1 000 courriels envoyés, combien ont été ouverts, combien de participants sont passés aux actes. »

Pour des décisions financières complexes, l’IA atteint parfois ses limites. À un certain point, le participant va vouloir parler à quelqu’un pour poser des questions et évaluer ses options. Sun Life a ajouté des liens dans ses messages issus de l’IA invitant les gens à cliquer pour parler à quelqu’un en chair et en os.

En 2023, ­Sun ­Life souhaite ajouter à ses services un planificateur financier virtuel version 2.0. L’outil sera plus performant et aidera les participants à avoir une vue d’ensemble de tout ce qu’ils ont accumulé jusqu’à présent et à préparer le décaissement des actifs de façon efficiente par le biais de modélisations.

«Même si on utilise l’intelligence artificielle depuis quelques années, nous sommes quand même au tout début. Présentement, son utilisation est concentrée dans un secteur, celui de la transmission d’informations. » 

 – Léonie Girard-Aubertin, LifeWorks

Encore au tout début

Léonie ­Girard-Aubertin, directrice, régimes de retraite à cotisation déterminée à ­Solutions ­Mieux-être ­LifeWorks, confirme que la firme de consultation utilise l’IA dans l’administration des régimes. « ­Même si on utilise l’intelligence artificielle depuis quelques années, nous sommes quand même au tout début. Présentement, son utilisation est concentrée dans un secteur, celui de la transmission d’informations, afin d’offrir une expérience plus riche et personnalisée aux participants des régimes de retraite à cotisation déterminée. Dans ce type de régime, ce sont les participants qui sont responsables de prendre leurs décisions. Or, la plupart des individus sont assez mal outillés pour le faire. On utilise l’IA pour leur transmettre des messages personnalisés et augmenter leur intérêt. »

Les messages peuvent être acheminés directement sur la plateforme des assureurs de diverses façons, notamment par le biais du clavardage. « ­Le participant pose sa question dans la boîte de conversation et c’est un robot qui répond. Ça lui évite de chercher l’information sur le site internet ou dans une brochure. Plus le participant utilise le site internet, plus l’IA accumule de l’information sur le client. »

L’IA permet également d’obtenir des rapports beaucoup plus détaillés sur les actions effectuées par les participants. Cela permet d’aider les promoteurs à mieux cibler les actions à poser.

« ­Par exemple, si on veut faire savoir à des participants qu’ils doivent s’assurer d’identifier un bénéficiaire, l’IA permet d’envoyer un rappel uniquement à ceux qui ne l’ont pas fait, illustre ­Mme ­Girard-Aubertin. Cette stratégie permet de cibler le bon message pour chacun des participants au lieu d’envoyer un rappel général à tout le monde. La majorité de participants non concernés se trouve alors inondée de messages et finit par leur porter moins d’attention. »

Identifier les risques en amont

L’organisme de réglementation des régimes de retraite du ­Royaume-Uni a mis au point un outil basé sur l’apprentissage automatique (machine learning) pour identifier rapidement les régimes à prestations déterminées les plus à risque d’effondrement. Avant la mise au point de cette technologie, les analystes du régulateur devaient évaluer manuellement le niveau de risque des quelque 6 000 régimes sous leur surveillance, un exercice long, fastidieux et coûteux qui s’étirait sur trois ans. Le nouvel outil est en mesure de faire la même analyse chaque jour, et parvient à classifier correctement de 65 % à 70 % des régimes. L’algorithme utilisé suit à la fois des données quantitatives et qualitatives et évalue le niveau de risque en fonction de schémas historiques. À terme, les analystes pourront ainsi consacrer leurs efforts sur les cas plus complexes requérant une intervention humaine. Les données révèlent qu’environ 13 % des participants de régimes ­PD britanniques sont concentrés dans des régimes considérés comme « fragiles », alors que 19 % le sont dans des régimes qui tendent à la fragilité.


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2022 du magazine Avantages.
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