Le nombre 70 a une signification bien particulière dans le monde de la retraite. Même si les critiques fusent de toutes parts à l’égard de la fameuse règle des 70 %, elle est encore bien présente dans l’esprit des épargnants et continue d’être véhiculée par de nombreux acteurs de l’industrie. Devrait-on la jeter définitivement aux oubliettes?

Héritée des modèles de calcul de la rente des régimes à prestations déterminées, cette règle stipule qu’un individu a besoin de 70 % du revenu brut qu’il gagnait durant sa vie active (on considère généralement les trois dernières années d’emploi) pour maintenir un niveau de vie équivalent à la retraite.

On peut sans nul doute attribuer le succès de cette « règle du pouce » à sa grande simplicité. Or, c’est justement parce qu’elle est trop simple que de nombreux experts la rejettent du revers de la main. Dans son livre The Essential Retirement Guide : A Contrarian’s Perspective, l’actuaire en chef de Morneau Shepell, Frederick Vettese, déboulonne de nombreux mythes sur la retraite. La règle des 70 % n’y échappe pas.

Selon lui, 70 % est un objectif inutilement élevé pour la grande majorité des épargnants. Après avoir élaboré une multitude de scénarios mettant en scène des individus vivant des réalités totalement différentes, il conclut qu’un objectif réaliste se situe plutôt entre 40 et 70 %.

Les personnes les plus susceptibles d’avoir à viser un objectif de 70 % sont celles qui n’ont pas eu d’enfants et qui n’ont jamais payé une hypothèque. « Ces gens ont généralement dépensé davantage pour eux-mêmes au cours de leur vie active, et il est fort probable qu’ils voudront poursuivre ce style de vie à la retraite », écrit-il.

La situation d’un couple avec deux enfants qui a fini de rembourser son hypothèque avant la retraite est totalement différente. Frederick Vettese démontre qu’après avoir payé les taxes, l’hypothèque, les coûts liés aux enfants, les coûts liés à l’emploi et avoir mis de l’argent de côté pour la retraite, il ne reste que 25 % du revenu brut à ce couple pour les dépenses personnelles durant la trentaine. Au fur et à mesure que les enfants grandissent, cette proportion augmente, mais ne dépasse jamais 45 %.

Conclusion ? « Si ce couple veut continuer de dépenser au même rythme durant sa retraite, il aura besoin d’un revenu de retraite brut de 50 % pour produire un revenu après impôt de 45 % », affirme M. Vettese. On est bien loin des fameux 70 %.
L’actuaire prend toutefois soin de noter que ces démonstrations s’appliquent aux individus des classes moyenne et aisée, pas aux individus à faible revenu. Ces derniers ont en effet besoin d’un revenu de retraite excédant 70 % de leur chèque de paie.
« Il serait probablement préférable de créer une règle du pouce convenant à tous concernant l’objectif de revenu à la retraite, mais cela est impossible », résume M. Vettese.

Une règle stupide ?
Frederick Vettese n’est pas le seul à s’être longuement questionné sur la réelle pertinence de la règle des 70 %. Éric Brassard, conseiller en placements chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés, la considère comme « mauvaise à tout point de vue ».

Lui et ses collègues ont d’ailleurs publié en 2015 un document dont le titre laisse peu de place à l’interprétation : La (stupide) règle de 70 %.

« Cette règle est inutile et même nuisible, autant pour les jeunes ou les plus âgés, les riches ou les pauvres, les gens dont la situation est simple ou plus complexe. Sa base est mauvaise en soi et omet tous les facteurs fondamentaux liés à la planification de la retraite », écrivent-ils. Ces facteurs fondamentaux incluent notamment les objectifs et projets de retraite des gens, l’âge prévu de la retraite et la situation familiale.

Mais ce qui agace particulièrement Éric Brassard, c’est que la règle des 70 % est basée sur le revenu brut. « Le coût de la vie est une valeur après impôt, alors que la règle utilise une valeur avant impôt. Une planification de retraite effectuée à l’aide d’un chiffre avant impôt est une mission impossible », souligne-t-il dans le document, tout en précisant que le calcul du ratio de 70 % suppose que le taux marginal d’imposition est moindre à la retraite que durant la vie active, ce qui n’est pas toujours le cas.

En fait, le planificateur financier rejette toute approche de calcul du coût de la vie à la retraite se basant sur un ratio précis, qu’il soit de 50 ou de 80 %. Pour lui, il n’existe pas de solution magique. Les épargnants doivent se poser des questions sur la retraite qu’ils souhaitent et examiner tous leurs postes de dépenses. « L’établissement du coût de la vie est très simple d’un point de vue conceptuel. Il suffit d’y consacrer quelques heures et arrêter de rêver en croyant qu’un ratio simpliste peut faire le travail à notre place », avance-t-il.

Éric Brassard et ses collègues déplorent en outre que certains sites web destinés au grand public mettent encore de l’avant la règle des 70 %. « Cela nourrit la désinformation et évite que les gens entreprennent un vrai processus de planification de la retraite basé sur des notions pertinentes. »

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