RETRAITE DES FEMMES

Les femmes arrivent à la retraite avec toute une série de désavantages comparativement aux hommes. Moins préparées, plus anxieuses et ayant reçu une rémunération nettement inférieure durant leur carrière, elles se retrouvent avec un revenu de retraite bien plus modeste. Comment les régimes de retraite d’employeurs peuvent-ils contribuer à réduire l’écart et apporter davantage de sérénité aux travailleuses ?

Cela fait près d’un demi-siècle que la tendance se maintient, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes. Leur revenu de retraite plafonne à environ 70 % de celui des hommes depuis la fin des années 1970, selon des données de Statistique Canada et d’Études économiques Desjardins.

Cette différence résulte notamment de l’écart salarial entre les sexes, qui s’établit à 17 % au Canada, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne de l’OCDE (12 %).

« Le système de retraite reproduit les inégalités présentes sur le marché du travail. Comme les hommes ont généralement de meilleurs revenus et une carrière plus continue, ils peuvent épargner des montants plus importants et sur une plus longue période. Cela explique pourquoi les hommes bénéficient de meilleures retraites », explique Riel Michaud- Beaudry, professionnel de recherche à l’Observatoire de la retraite.

Ces inégalités contraignent les femmes à vivre avec moins de ressources financières à la retraite, au point qu’à partir de l’âge de 65 ans, elles sont plus susceptibles que les hommes, à 6,3 % et 5,6 % respectivement en 2022, d’être considérées comme des personnes à faible revenu, selon Statistique Canada. Il est à noter que cet écart se creuse surtout à partir de l’âge de 65 ans, puisque les chiffres demeurent quasiment identiques entre les deux sexes pour les tranches d’âge de 18 à 64 ans.

Les femmes sont bien conscientes des inégalités qu’elles subissent. Sept Québécoises sur dix (69 %) redoutent de manquer de revenus à la retraite, soit un pourcentage nettement plus élevé que celui des hommes (56 %), selon un sondage réalisé pour la Chambre de la sécurité financière et ÉducÉpargne. Elles sont aussi plus nombreuses (21 %) à indiquer que leurs revenus d’emplois ont été insuffisants pour épargner par rapport aux hommes (16 %), avec une différence notable dans la tranche de revenu de 50 000 $ à 74 999 $ (22 % pour les femmes contre 13 % pour les hommes).

Les régimes de retraite ont un rôle à jouer pour réduire l’écart de revenu à la retraite, en agissant sur différents paramètres. Or, le temps passé au travail constitue un des principaux facteurs d’inégalité, que ce soit en raison d’interruptions de carrière ou de temps partiel.

Le REER, un véhicule inéquitable ?

Riel Michaud-Beaudry, de l’Observatoire de la retraite, regrette l’importance accordée par l’État au REER, qu’il décrit comme « le mécanisme le moins optimal, qui favorise le chacun pour soi, sans partage des risques et des frais. Beaucoup d’argent public est mis dans le soutien au REER, alors qu’on pourrait mieux couvrir les gens collectivement ».

De son côté, Mélinda Bastien, de Normandin Beaudry, s’interroge : « Pourquoi une femme en congé de maternité n’accumule- t-elle pas d’espace REER avec l’argent reçu du gouvernement ? Oui, c’est de l’impôt. Mais pourquoi pas ? »

De la place pour des améliorations dans les régimes publics

De ce point de vue, les régimes publics feraient presque figure d’exemple. La pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) est basée seulement sur le nombre d’années vécues au Canada, tandis que le Régime de rentes du Québec (RRQ) – tout comme le Régime de pensions du Canada (RCP) – calcule la rente sur un salaire plafonné, qui prend en compte les années non travaillées passées à s’occuper des enfants. Le RRQ offre également une exemption pour les 15 mois pour lesquels les revenus ont été les plus faibles. « Cette mesure existe pour les hommes et les femmes, mais comme les femmes ont plus souvent des périodes de faibles gains, cela les aide davantage », précise M. Michaud- Beaudry.

«Le système de retraite reproduit les inégalités présentes sur le marché du travail. Comme les hommes ont généralement de meilleurs revenus et une carrière plus continue, ils peuvent épargner des montants plus importants et sur une plus longue période. Cela explique pourquoi les hommes bénéficient de meilleures retraites. »

 – Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite

De plus, certaines améliorations permettent de soutenir davantage les femmes pour qui les rentes publiques constituent l’essentiel du revenu de retraite. Depuis 2019, le taux de remplacement du revenu offert par le RRQ augmente pour passer progressivement de 25 % en 2018 à 33,33 % en 2065. Et le régime québécois utilise une table de mortalité unisexe. « Cela permet d’obtenir le même montant de rente, peu importe la longévité estimée. Cela aide les femmes, car leur espérance de vie est plus longue que celle des hommes. Ainsi, leurs rentes ne sont pas diminuées malgré une durée de versement plus longue », souligne Riel Michaud- Beaudry.

Les régimes publics devraient néanmoins prendre plus de place dans le taux de remplacement du revenu, suggère Riel Michaud-Beaudry, qui propose également que les montants soient plus généreux à partir de 65 ans pour les retraités aux revenus les plus faibles.

Pour les femmes ne pouvant compter sur un régime d’employeur, « il pourrait y avoir des efforts supplémentaires pour améliorer le taux de pénétration des régimes de retraite », indique l’expert de l’Observatoire de la retraite. Par exemple, le secteur des soins à la personne, tout comme celui de la restauration et de l’hébergement, emploie surtout des femmes. Offrir davantage de régimes et de prestations de meilleure qualité dans ces secteurs serait bénéfique. »

Les prestations de décès pourraient aussi être bonifiées, « car les femmes survivent souvent aux hommes dans les couples traditionnels, où elles sont généralement plus jeunes que leurs partenaires. Les femmes se retrouvent alors seules avec un seul revenu et des frais de funérailles à payer », ajoute- t-il.

Une définition du statut de proche aidant permettrait d’exempter du calcul le temps passé à aider, poursuit M. Michaud- Beaudry. Les femmes étant plus fréquemment proches aidantes que les hommes, ce serait un coup de pouce supplémentaire pour elles, puisque le montant de leurs rentes mensuelles de retraite diminuerait moins.

Passer de l’égalité à l’équité

Les régimes de retraite d’employeurs ont aussi un rôle à jouer, à condition de revoir certaines de leurs fondations. « Historiquement, ces régimes ont été conçus dans une optique d’égalité, visant à être équivalents pour les deux sexes. Il est peut- être temps de changer de perspective et d’intégrer des notions d’équité dans les dispositifs des régimes de retraite », avance Mélinda Bastien, associée adjointe en gestion d’actif et en régime d’épargne chez Normandin Beaudry.

«Historiquement, les régimes ont été conçus dans une optique d’égalité, visant à être équivalents pour les deux sexes. Il est peut-être temps de changer de perspective et d’intégrer des notions d’équité dans les dispositifs des régimes de retraite. »

 – Mélinda Bastien, Normandin Beaudry

Ce n’est pas simple, car cela bouleverse complètement les perceptions. » Ce changement de regard consiste à « réfléchir en termes d’équité, et non pas d’égalité », précise- t-elle. Cette réflexion est de plus en plus présente en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI). « Le cadre d’EDI ne se limite pas à la culture d’entreprise et aux processus de recrutement ; il englobe également les avantages sociaux : comment je conçois mes avantages sociaux et comment je les communique pour favoriser l’équité. »

Une fois ce changement de perspective entamé, il est nécessaire de connaître les différents aspects sur lesquels l’employeur peut agir pour résorber la différence des revenus de retraite entre les deux sexes. « On devrait mesurer cet écart dans les régimes de retraite. Si l’on estimait les revenus de remplacement pour chacun, cela pourrait éclairer les changements nécessaires pour aller vers l’équité », mentionne Nadine Tabet, associée principale, solutions pour le patrimoine chez Aon.

60 %
des femmes déclarent recevoir un salaire inférieur à celui de leur conjoint. Malgré cela,

43 %
des ménages partagent les dépenses familiales à parts égales ou proportionnellement à leurs revenus respectifs.

Source : Chambre de la sécurité financière

L’employeur peut alors mettre en place des moyens visant à réduire l’iniquité du revenu de retraite, probablement en commençant par la prise en compte des absences et des interruptions de carrière. « La réglementation pénalise les congés sans solde, observe Stéphanie Mariamo, conseillère principale chez Mercer. On cotise selon le revenu agrégé, donc un congé sans solde entraîne une cotisation calculée sur un revenu beaucoup plus petit. » Or, de nombreux régimes de retraite n’offrent pas de continuer à cotiser par défaut, ce qui serait naturel, car la travailleuse ne reçoit pas de paie de l’employeur pendant son congé de maternité. Pourtant, « le mode par défaut ferait que plusieurs personnes n’arrêteraient pas de cotiser même durant leur congé, car la nature humaine fait qu’on est moins enclin à arrêter quelque chose qui est enclenché ».

« C’est important, car sinon, c’est un an de revenus et de droits qu’on laisse de côté », signale Caroline Marion, planificatrice financière, notaire et gestionnaire fiduciaire au Mouvement Desjardins. Celle- ci souligne que les travailleuses ont tout à gagner à utiliser au maximum les régimes de retraite à prestations déterminées, si elles ont accès à de tels régimes, puisque ceux- ci « ne pénalisent pas une femme pour son espérance de vie supérieure, donc la femme en retire plus que l’homme si elle survit ».

La poursuite de la cotisation pourrait toutefois être plus flexible, poursuit Stéphanie Mariamo. « On pourrait envisager de permettre le rattrapage soit pendant, soit après le retour au travail, en lissant le rattrapage sur une longue période pour minimiser l’impact sur la paie nette, par exemple en rattrapant les six mois sur une période de douze mois, afin de réduire l’impact sur les finances personnelles. Il pourrait aussi être possible d’effectuer des versements dans un autre type de régime, comme un REER, et d’obtenir la contrepartie de l’employeur », énumère- t-elle.

L’employeur pourrait même continuer de cotiser au régime durant l’absence de son employée, y compris si celle- ci ne peut pas cotiser, faute de moyens, ajoute Mélinda Bastien. « Le soutien de l’employeur peut éviter de creuser l’écart de revenu à la retraite. »

Dans les régimes à cotisation déterminée (CD), l’employée pourrait avoir la possibilité de cotiser à son CELI, tandis que la cotisation de contrepartie alimenterait le régime d’employeur. « Pour les mères monoparentales, le budget peut être très serré. En se constituant un fonds d’urgence dans le CELI, les femmes se sentent mieux soutenues, croit Mélinda Bastien. Cela favorise de bonnes habitudes d’épargne : elles dorment mieux la nuit, car elles ont accès à cet argent. Le CELI peut s’avérer très utile et efficace fiscalement à la retraite. » Quand il est offert, ce type de flexibilité est beaucoup plus utilisé par les femmes que par les hommes, note- t-elle.

Une multitude de règles pourraient être mises en place, énumère Nadine Tabet, qui cite l’indexation des prestations – « car la perte de pouvoir d’achat à la retraite affecte plus les femmes » -, des solutions forfaitaires plutôt que dépendantes du salaire, telles qu’une prestation fixe par année de service, la contribution à un fonds d’investissement à date cible par défaut, le décaissement au sein du régime de retraite « pour éviter les frais élevés et les risques individuels de placement », ou encore l’offre accrue de fonds ESG, « qui sont plus attrayants pour les femmes ». Et pourquoi ne pas s’inspirer de l’Australie, où « les employeurs ajoutent des cotisations supplémentaires lorsque les salaires sont inférieurs à un certain seuil » ?

Enfin, les employeurs devraient « s’assurer que les participants maximisent les bénéfices qu’ils peuvent tirer des régimes », conseille Jade Bellemare, directrice, communications et marketing chez iA Groupe financier.

L’écart de revenu à la retraite est aussi lié au décaissement. « Les femmes ont plus de chances de survivre à leur époux. Les régimes de retraite devraient donc proposer davantage de rentes viagères à paiements variables, soit une prestation à vie dont le montant fluctue en fonction de la santé financière de la caisse, explique Riel Michaud- Beaudry. Les femmes qui participent à un régime CD doivent planifier leur décaissement sur une période plus longue que les hommes, donc encore plus difficile à estimer. Si cette option était davantage utilisée, avec un revenu viager restant dans le régime, ce serait bénéfique pour elles. »

En 2020, les femmes ont pris leur retraite avec un revenu de retraite de
18 %
inférieur à celui des hommes.

La proportion des femmes de 75 ans et plus vivant avec un faible revenu était de
21 %
comparativement à
13,9 %
des hommes du même groupe d’âge.

Source : Statistique Canada

Une communication spécifique aux femmes

Au-delà de ces mesures destinées à assurer une meilleure équité entre femmes et hommes, c’est aussi l’éducation financière qui nécessite une approche renouvelée. Les Canadiennes obtiennent un score inférieur (33,6) à celui des Canadiens (37,7) en matière de connaissance du système de revenu de retraite, selon l’indice 2024 de l’Institut sur la retraite et l’épargne (IRE) de HEC Montréal.

Cet écart peut s’expliquer par des intérêts différents. « Les femmes sont souvent moins à l’aise avec les concepts financiers. Les hommes ont plus confiance en eux pour aborder des sujets techniques », constate Stéphanie Mariamo.

Tant que cet écart existera, il favorisera la différence de revenus entre les deux sexes, surtout pour les participantes de régimes CD. « L’éducation financière permet de combattre les biais en matière de compétences financières. Si j’ai moins d’actifs et que cela doit durer plus longtemps, je veux peut- être protéger cette épargne accumulée, donc adopter un profil plus prudent, alors qu’il aurait fallu avoir un profil d’investisseur plus audacieux quand on était plus jeune pour faire fructifier les cotisations moins élevées que celles d’un homme », illustre Stéphanie Mariamo.

Améliorer la littératie des femmes les aiderait à améliorer leur situation à la retraite, renchérit Jade Bellemare. Pour cela, des efforts devraient être déployés afin de s’adresser spécifiquement aux femmes. « La façon de communiquer auprès des femmes est encore trop générique, regrette- t-elle. Trop souvent, la communication ne s’attarde pas aux défis spécifiques des femmes et utilise un langage peu engageant. Développer une stratégie de communication et du contenu éducatif pourrait changer la donne. »

En 2020, la rente mensuelle moyenne du RRQ touchée par les femmes se chiffrait à
451 $,
comparativement à
626 $
pour les hommes.

Source : Retraite Québec

Au lieu de diffuser la même communication à tous les participants, il est préférable de « proposer une approche plus personnalisée, voire des contenus spécifiques aux femmes, poursuit Jade Bellemare. Cela consiste à aborder les sujets sous un angle qui répond aux préoccupations des femmes, en choisissant des mots adéquats, et en traitant de sujets qui les concernent particulièrement ».

Les travailleuses doivent comprendre que « si tu ne cotises pas pendant ton congé de maternité, l’effet sera plus grand que tu ne l’imagines », argue Mélinda Bastien, qui recommande d’aborder les sujets au bon moment. « La clé en communication est de l’axer sur le besoin du participant au moment où le participant a ce besoin- là. Les ressources humaines ont accès aux événements de vie : il est possible d’arrimer les informations financières à ces moments. »

Dans ce domaine, les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer, selon Stéphanie Mariamo, qui rêve d’« une grande initiative gouvernementale jumelée à une association à but non lucratif qui encouragerait les femmes en matière de littératie financière, comme le font les gouvernements pour différents sujets, et qui pourrait avoir un impact positif sur le comportement des femmes ».


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2024 du magazine Avantages.
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