Les médecins prescrivent des tonnes de médicaments qui, dans les faits, ne seront jamais consommés par les participants de régimes d’assurance collective. Or, la non-adhésion aux traitements a des conséquences individuelles et collectives alarmantes. Comprendre cet enjeu de taille s’avère nécessaire pour développer des solutions efficaces.

Selon la dernière édition du Sondage Sanofi Canada sur les soins de santé, plus de la moitié des participants de régimes prennent au moins un médicament sur une base régulière. Certains problèmes de santé sont toutefois associés à des taux préoccupants de non-adhésion aux traitements. Dans son rapport de 2020, Express Scripts Canada souligne que « 70 % des Canadiens ne prennent pas leurs médicaments de la manière prescrite par leur médecin et près de 26 % des ordonnances ne sont jamais exécutées ». Une situation qui inquiète les promoteurs en raison des répercussions négatives sur le coût des régimes de soins de santé, mais aussi des conséquences importantes sur la santé des participants.

La non-adhésion aux médicaments est cependant difficile à évaluer puisqu’elle peut se présenter de différentes façons. « Environ 80 % des gens semblent prendre leur traitement tous les jours, mais on ne sait pas réellement ce qui se passe à la maison, admet Line Guénette, professeure titulaire à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval. La non-adhésion regroupe trois concepts : l’initiation au traitement, c’ est-à-dire le fait de se procurer le médicament une première fois, l’observance, qui signifie que la personne le prend chaque jour tel que prescrit, puis la persistance dans le temps, qui mesure la tendance à poursuivre le traitement. »

Une préoccupation grandissante

La non-adhésion thérapeutique engendre des coûts qui préoccupent les promoteurs de régimes et les employeurs, d’autant plus qu’ils constatent chaque année une hausse du coût des régimes d’assurance médicaments. Le dernier rapport d’Express Scripts Canada fait état de taux élevés de non-observance thérapeutique chez les participants atteints de diabète (48 %), de troubles inflammatoires (40 %) et de dépression (38 %). Ce constat est préoccupant, étant donné que 20 % des demandeurs engagent près de 80 % des coûts des régimes. On prévoit une augmentation de ces coûts en raison du développement de nouveaux médicaments plus onéreux.

Bien que difficiles à évaluer, les coûts de la non-adhésion sont liés à l’achat d’un traitement qui n’est pas pris, mais aussi aux conséquences de cette non-adhésion, comme l’augmentation des taux de morbidité ou des hospitalisations. « Les données montrent que la non-adhésion contribue aux visites à l’hôpital et aux consultations chez le médecin, ce qui engendre une hausse des coûts directs et indirects pour le système de soins de santé dans son ensemble, indique Jason Kennedy, directeur, services de consultation pour le secteur de la santé à Telus Santé. Cela a aussi une incidence sur le coût des régimes d’assurance médicaments et sur l’absentéisme et le présentéisme. »

Un enjeu aux lourdes conséquences

Les complications liées à la non-adhésion aux traitements ne sont pas rares. « Beaucoup de maladies comme l’hypercholestérolémie ou l’hypertension artérielle peuvent être très bien contrôlées avec un seul médicament, mentionne Farah Belayadi, pharmacienne clinicienne à Express Scripts Canada. Mais si les gens ne prennent pas leur médicament convenablement, ils peuvent se retrouver avec des complications comme des accidents vasculaires cérébraux ou des infarctus du myocarde. »

Dans certains cas, la non-adhésion aux traitements peut s’avérer fatale pour le patient. Selon une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association, une personne sur dix ayant subi un infarctus ne prend pas ses médicaments, ce qui l’expose à un risque de décès 80 % plus élevé au cours de l’année suivante. « D’autres facteurs de risque peuvent entrer en compte, comme le tabagisme ou le manque d’exercice, met en garde Line Guénette. Néanmoins, pour qu’un traitement soit efficace, il faut le prendre ! »

Des jeunes moins adhérents

Selon les plus récentes données de Telus Santé, la probabilité qu’une personne ne suive pas correctement le traitement prescrit par son médecin varie grandement en fonction de la maladie dont il souffre. Ainsi, le pourcentage de non-adhésion atteint 66 % dans le cas de l’asthme, alors qu’il n’est que de 16,2 % chez les personnes affligées de maladies cardiovasculaires. « Nous avons récemment réalisé une analyse sur la population diabétique dans notre portefeuille d’affaires et les résultats montrent que l’adhésion thérapeutique diminue à mesure que le nombre de médicaments à prendre augmente », précise Jason Kennedy.

Les comportements varient aussi selon l’âge des participants. « Les 19-35 ans sont plus susceptibles d’être non adhérents, même s’ils ne prennent qu’un seul médicament, ajoute Farah Belayadi. Cela peut être en raison d’une barrière à l’accessibilité, par exemple le fait qu’une personne doit aller à la pharmacie chaque mois. Les données que nous avons recueillies indiquent que les personnes qui se procurent leurs médicaments à la pharmacie pour trois mois sont moins susceptibles d’être non adhérents que les personnes qui vont les chercher chaque mois. » Line Guénette croit aussi que les jeunes se sentent plus invincibles par rapport à leurs troubles de santé. « Par conséquent, ils n’ont pas envie de commencer à prendre des médicaments de façon chronique, ajoute-t-elle. Aussi, le travail et la famille deviennent des barrières pour se conformer adéquatement à leurs traitements. »

Par ailleurs, on constate que les patients plus jeunes ont davantage tendance à remettre en question les conseils de leur médecin. « Les jeunes sont à l’aise avec les technologies et vont rapidement chercher de l’information sur internet concernant leurs symptômes, explique la pharmacienne clinicienne. Certes, l’information trouvée n’est pas toujours scientifique, prouvée, ni confirmée à l’aide d’études neutres, mais cela peut susciter une certaine méfiance à l’égard des médicaments. »

«Les données montrent que la non-adhésion contribue aux visites à l’hôpital et aux consultations chez le médecin, ce qui engendre une hausse des coûts directs et indirects pour le système de soins de santé dans son ensemble. »

– Jason Kennedy, Telus Santé

« Les gens sont de plus en plus critiques vis-à-vis des recommandations qu’ils reçoivent, renchérit Line Guénette. Ils essaient souvent d’avoir deux ou trois avis et de prendre eux-mêmes leurs décisions. On est vraiment dans une ère où il est important que le professionnel de la santé s’assure qu’il y a un processus de décision partagé avec la personne quand il fait ses recommandations. »

Volontaire ou involontaire ?

« Quand on analyse les données, on constate qu’environ 30 % des gens ne vont pas à la pharmacie après avoir reçu leur ordonnance, indique Line Guénette. De plus, environ 20 % des personnes atteintes de maladies chroniques vont acheter leurs médicaments une fois, puis cesser de l’acheter. Ils interrompent donc leur traitement très rapidement. Et parmi ceux qui le prennent, un certain nombre ne le prend pas complètement. »

Qu’elles soient volontaires ou involontaires, les raisons de la non-adhésion ont été réparties en trois catégories par la recherche : le savoir, le pouvoir et le vouloir.

« Le savoir représente les participants qui ne sont pas au courant des risques associés à leur état de santé, qui ne réalisent pas l’effet des médicaments sur leur santé », résume Farah Belayadi.

« Les jeunes sont à l’aise avec les technologies et vont rapidement chercher de l’information sur internet concernant leurs symptômes. Certes, l’information trouvée n’est pas toujours scientifique, prouvée, ni confirmée à l’aide d’études neutres, mais cela peut susciter une certaine méfiance à l’égard des médicaments. »

– Farah Belayadi, Express Scripts Canada

Le pouvoir est plutôt lié à la capacité du patient à respecter ses traitements. « Cela peut être dû à une barrière financière ou au fait qu’il a beaucoup de médicaments à prendre, ce qui sème la confusion, précise la pharmacienne. Certains participants ne parviennent pas à gérer les horaires de prise de médicaments. » Finalement, le vouloir du patient a trait à sa motivation intrinsèque à prendre ses médicaments.

« C’est plus compliqué à corriger, concède Farah Belayadi. Cela peut être une raison ou un ensemble de raisons qui incitent les gens à ne pas prendre leurs médicaments. Cela peut même varier pour un même patient en fonction des traitements prescrits. En effet, il n’est pas rare de voir un patient consommer quatre des cinq médicaments prescrits et décider que le cinquième n’est pas vraiment utile. »

Un soutien ciblé pour améliorer les résultats

Tous les experts s’entendent pour dire qu’il n’existe pas une solution unique pour enrayer la non-adhésion aux traitements, mais plutôt des solutions ciblant les différentes raisons qui en sont la cause.

Nul doute que les professionnels de la santé ont un rôle déterminant à jouer. « Parfois, la personne est non adhérente, mais elle ne le sait pas, et le professionnel de la santé ne le sait pas non plus, parce qu’il ne lui pose pas de questions, déplore Line Guénette. Ensuite, il faut adapter les stratégies à la problématique. Par exemple, le professionnel de la santé peut réduire la complexité du traitement. Ainsi, si la personne oublie constamment ses doses du souper, il peut regrouper toutes ses doses le matin. »

La chercheure note aussi que certaines pharmacies ont des logiciels avec des alertes pour rappeler les gens qui n’ont pas renouvelé leur ordonnance. « Mais les pharmaciens sont surchargés et n’ont pas toujours le temps de téléphoner au patient ! », plaide-t-elle.

« Les plaquettes aide-mémoire et les dosages unitaires sont quelques-unes des stratégies habituellement utilisées pour gérer l’observance et l’adhésion, cite Jason Kennedy. Ces outils permettent d’éliminer le doute associé à la prise des médicaments. »

Les promoteurs de régimes et les employeurs ont tout intérêt, eux aussi, à déterminer les difficultés en jeu pour adopter une approche ciblée. « S’il s’agit d’un manque de savoir, ils peuvent donner de l’information, faire des campagnes de sensibilisation à propos de certains troubles de santé ou fournir des outils de surveillance de la diète ou des programmes d’exercices, suggère Farah Belayadi. Si la non-adhésion est liée au pouvoir, il faudra mettre des solutions en place pour aider les participants à se rappeler de prendre leurs médicaments. Pour des raisons de confidentialité, un employeur ne peut pas faire un suivi personnel auprès de son employé, mais il peut passer par un tiers, comme une infirmière. »

Certains assureurs misent désormais sur le soutien d’appli-cations mobiles pour favoriser le suivi des plans de traitement, comme MédAide. « Il faut développer des applications mobiles pour que les participants reçoivent des notifications périodiques les avisant que leur réserve de médicaments est en train de dimi-nuer ou pour qu’ils puissent commander leurs médicaments », croit Farah Belayadi. La technologie est certainement une voie à explorer pour offrir un soutien plus ciblé et accroître l’adhésion des participants à leurs traitements.


• Ce texte a été publié dans l’édition de Novembre-décembre 2020 du magazine Avantages.
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