Médicaments

Malgré leurs innombrables bénéfices, les médicaments peuvent devenir néfastes lorsque consommés en trop grande quantité ou de manière inappropriée. Le temps ­est-il venu de songer à la déprescription ?

« ­On n’a pas une vision à très long terme de l’utilisation des médicaments au ­Québec », a déploré la pharmacienne ­Camille ­Gagnon lors du ­Sommet de la santé durable, qui s’est tenu en janvier dernier.

En tant que directrice adjointe du ­Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription, ­Mme ­Gagnon s’inquiète d’une surutilisation des médicaments dans certains segments de la population, en particulier les personnes âgées.

En effet, la proportion de ­Québécois de 65 ans et plus consommant quotidiennement cinq médicaments ou plus est passée de 62 % en 2000 à 73 % en 2016, selon l’Institut national de santé publique du ­Québec. En 2016, 38 % des personnes de ce groupe d’âge prenaient même dix médicaments ou plus par jour.

Or, une surcharge de médicaments peut causer « plus de tort que de bien », affirme ­Camille ­Gagnon. De mauvaises interactions médicamenteuses sont entre autres responsables de brouillard mental, de confusion, de troubles de mémoire et de risques accrus de chutes chez les personnes âgées.

Le vieillissement de la population et la prévalence grandissante des maladies chroniques expliquent certes en partie l’augmentation de la consommation de médicaments dans la province, mais ­Camille ­Gagnon pointe également le manque de communication entre les professionnels de la santé et une certaine propension à traiter les différents problèmes de santé isolément.

La pharmacienne s’inquiète particulièrement du phénomène de « cascade médicamenteuse » qui se produit lorsque des médicaments sont prescrits pour traiter les effets secondaires d’autres médicaments.

Un cercle vicieux peut aussi s’installer lorsque la prise d’un très grand nombre de médicaments devient difficile à gérer pour les patients et diminue leur adhésion aux traitements prescrits. « ­En moyenne, seulement 50 % des doses prescrites sont consommées pour les maladies chroniques, note la pharmacienne. Pour compenser, d’autres médicaments sont prescrits. »

Des médicaments inappropriés

Dans certains cas, la prise d’un médicament peut comporter plus de risques que de bénéfices potentiels, et il ne s’agit pas d’un phénomène rare. « ­Chez les 65 ans et plus, 38 % des hommes et 48 % des femmes prennent un médicament potentiellement inapproprié », précise ­Camille ­Gagnon. Il s’agit très souvent de somnifères, d’opioïdes et d’inhibiteurs de la pompe à protons utilisés pour le reflux gastrique, des médicaments pour lesquels les patients ne sont pas toujours informés des risques de dépendance à long terme.

Les conséquences peuvent être graves. On estime que de 6 à 12 % des hospitalisations chez les 65 ans et plus sont causées par les effets indésirables d’un médicament, poursuit la pharmacienne. « ­On se donne du travail en payant un médicament qui nuit. Pire encore, il arrive qu’on redonne à un patient un médicament qui lui a déjà causé des problèmes en raison d’un mauvais transfert d’information. »

Camille ­Gagnon rappelle que les médicaments représentent le deuxième plus grand poste de dépense en matière de santé au ­Canada, avec 13,5 % des coûts totaux. Les implications financières de la surutilisation des médicaments sont donc majeures. Une étude publiée dans le ­Canadian ­Medical ­Association ­Journal a estimé à environ deux milliards de dollars par année les coûts associés à l’utilisation des médicaments potentiellement inappropriés et le traitement de leurs effets néfastes au ­Canada en 2013.

La solution : la déprescription

Pour réduire le fardeau humain et financier lié à la surconsommation de médicaments, ­Camille ­Gagnon juge que les médecins et les pharmaciens devraient être formés à la déprescription, c’­est-à-dire un « processus planifié de diminution de dose ou de cessation d’un médicament ».

La pharmacienne indique qu’une revue systématique publiée en 2018 a conclu que les interventions en déprescription sont faisables et sécuritaires pour réduire le nombre de médicaments consommés ainsi que l’exposition aux médicaments potentiellement inappropriés et les coûts qui sont associés aux traitements.

En favorisant une plus grande interdisciplinarité dans le système de santé et en intégrant certains outils technologiques, on peut par exemple éviter de réexposer les patients à des médicaments qui leur ont causé des réactions indésirables par le passé.

Médicaments

«On se donne du travail en payant un médicament qui nuit. Pire encore, il arrive qu’on redonne à un patient un médicament qui lui a déjà causé des problèmes en raison d’un mauvais transfert d’information. »

 – Camille Gagnon, Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments

Selon ­Camille ­Gagnon, il faut aussi cesser de se tourner systématiquement vers les médicaments pour tenter de résoudre tous les problèmes de santé. La déprescription passe par un meilleur accès aux traitements non pharmacologiques. Le recours plus fréquent à la thérapie ­cognitivo-comportementale ou à la physiothérapie permettrait par exemple de diminuer le recours aux psychotropes, tels les somnifères, les anxiolytiques ou les antidouleurs.

« ­On doit garder en tête que les médicaments sont souvent utilisés pour de bonnes raisons, mais parfois aussi pour de moins bonnes raisons », soutient ­Mme ­Gagnon.


• Ce texte a été publié dans l’édition d’avril 2024 du magazine Avantages.
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