Peu présents dans les régimes à cotisation déterminée, les placements non traditionnels méritent pourtant d’y avoir leur place. Même s’il reste encore des obstacles à surmonter, la tendance de fond milite en leur faveur, avec une année 2022 venue confirmer leurs bienfaits.

Le régime de retraite de l’Union des producteurs agricoles (UPA) est hybride. Les cotisations des travailleurs vont dans un régime à cotisation déterminée (CD), alors que celles de l’employeur sont dirigées vers un régime à prestations déterminées (PD). La politique de placement, partagée par les deux volets, prévoit une répartition de 42 % en titres à revenu fixe, de 42 % en actions et de 16 % en actifs non traditionnels, essentiellement de l’immobilier, pour un actif sous gestion total de 150 millions de dollars.

« ­Nous intégrons les placements non traditionnels à nos portefeuilles depuis deux ou trois ans, et nous sommes heureux de nos rendements », souligne ­Denis ­Roy, trésorier et directeur, finances et ­main-d’œuvre agricole à l’UPA. Au cours d’une année 2022 plutôt troublée sur les marchés financiers, le régime de retraite de l’UPA a obtenu un rendement de -3 % après six mois, comparativement à un repli de quelque 12 % pour l’indice S&P/TSX. « ­Dans les actifs tangibles, qui nous apportent croissance et stabilité, notre rendement était positif. Les placements non traditionnels offrent un rendement moins affecté par les cycles », ajoute M. Roy.

Si les actifs non traditionnels comme l’immobilier, les infrastructures, les placements privés ou la dette privée sont désormais bien intégrés dans les stratégies de placement des régimes ­PD, ils sont encore peu présents dans les régimes ­CD. « ­On observe une tendance de base à recourir davantage aux placements non traditionnels, mais le point de départ est très modeste. Je dirais que moins de 5 % de l’actif des régimes ­CD est à l’extérieur des traditionnelles actions et obligations », avance ­Dany ­Lemay, directeur principal et chef de secteur, ­Investissements à ­WTW.

Anne ­Meloche acquiesce. La cheffe des affaires institutionnelles à ­Placements mondiaux ­Sun ­Life observe que seulement de 7 à 8 % des promoteurs de régime ­CD offrent des fonds non traditionnels cotés, principalement axés sur l’immobilier et l’infrastructure. « ­Et au sein de ces 7 à 8 %, on parle d’à peine 0,5 % de l’actif sous gestion qui est composé d’actifs non traditionnels. Ça demeure marginal », ­précise-t-elle.

Ce contraste traduit une dynamique différente entre les régimes ­PD et ­CD. Dans ces derniers, ce sont les participants qui choisissent leurs fonds, et tous n’ont pas les mêmes connaissances, explique ­Mme ­Meloche. Si dans tous les cas la démarche d’investissement dans les caisses de retraite implique une responsabilité fiduciaire, une sélection et un suivi, une étape additionnelle de communication et d’éducation des participants s’ajoute pour les régimes ­CD.

Un cercle vicieux

Autre obstacle à l’intégration des actifs non traditionnels : l’exigence d’évaluation quotidienne. « L’évaluation trimestrielle, voire mensuelle, apporte plus de lissage et limite les biais émotifs. Avec l’évaluation journalière, on accroît la mesure de la volatilité, explique ­Anne ­Meloche. Tout cela représente beaucoup de temps, de travail, d’énergie et de risques fiduciaires pour peu d’actifs. Et ça explique les frais plus élevés par rapport aux régimes ­PD. »

Il existe aussi une barrière économique qui limite les possibilités de placements non traditionnels dans les régimes ­CD. « ­Le peu de demandes se traduit par une faible offre de produits. C’est un cercle vicieux », ­ajoute-t-elle.

Selon ­Statistique ­Canada, la proportion de l’ensemble des travailleurs canadiens rémunérés couverts par un régime de pension agréé était de 39,7 % en 2020. Parmi eux, les deux tiers des participants sont couverts par un régime ­PD, 18,4 % par un régime ­CD et 14,4 % par un autre type de régime, tels les régimes hybrides, mixtes ou combinés.

« L’industrie est peu mature, les régimes ­CD ne sont pas assez gros, d’où les frais plus élevés. C’est un frein majeur, déplore ­Anne ­Meloche. On va souvent jusqu’à 20 % de placements non traditionnels dans les ­PD. Dans les ­CD, on a de la difficulté à se rendre à 5 %. »

Dany ­Lemay note également que le manque de compréhension des stratégies moins traditionnelles peut jouer en leur défaveur chez les promoteurs. « ­Les comités de retraite ont besoin d’être à l’aise avec les stratégies faisant appel aux placements non traditionnels. Il y a également la nécessité d’amener cette compréhension jusqu’au participant. Il y a un avantage, un bénéfice à recourir à ces placements et stratégies, mais dans les régimes ­CD, ils doivent être bien compris par les employés et adaptés à leurs besoins. »

Outre la question des frais plus élevés, le spécialiste de ­WTW mentionne que les gestionnaires doivent être conscients du défi lié à la transformation d’un actif peu ou pas liquide en un actif liquide. Sans compter les risques ou craintes de poursuite, les participants étant directement touchés par d’éventuelles déconvenues.

Le poids de ces freins liés aux frais et à la liquidité sera toutefois atténué par la plus petite place qu’occupent les placements non traditionnels dans le portefeuille. Le risque de liquidité peut également être mitigé en trouvant, au sein même du portefeuille de stratégies non traditionnelles, un bon équilibre entre les placements directs et les actifs cotés (les fiducies de placement immobilier, par exemple).

Aussi, et pour revenir à l’illustration offerte par le régime de retraite de l’UPA, la contrainte de liquidité va dépendre de l’âge des participants. L’intégration d’une solution de décaissement à même le régime – des rentes viagères à paiements variables – a permis à l’UPA de minimiser le risque de liquidité associé aux placements non traditionnels. De leur côté, les participants profitent de frais de gestion moindres et n’ont pas besoin de se tourner vers un fonds de revenu viager individuel ou de souscrire une rente auprès d’un assureur pour obtenir des revenus garantis à la retraite.

« ­Quant aux frais, ils ne constituent pas un problème. On parvient à demeurer ancré autour de nos frais de gestion de 0,7 %. On recherche des produits économiques en frais de gestion, corrects en matière de rendement et équilibrés », explique ­Denis ­Roy.

Il y a de l’appétit

Malgré les embûches nombreuses, il y a de l’appétit pour les placements non traditionnels et 2022 ne peut que contribuer à en accentuer l’intérêt, les stratégies de diversification ayant dans l’ensemble mieux fait que les actions et les obligations.

Dany ­Lemay parle de vagues. Auparavant, l’industrie des régimes d’accumulation de capital retenait les fonds du marché monétaire par défaut en l’absence de choix du participant. Mais la faiblesse des taux d’intérêt a fait en sorte que les fonds à date cible se sont finalement imposés.

La deuxième vague a pris la forme d’une consolidation de la gamme de fonds offerts à la carte, afin de faciliter la prise de décision des participants, tout en conservant le fonds à date cible par défaut. La prochaine phase devrait porter sur une bonification de cette diversification de l’offre à la carte en la rendant disponible à l’intérieur des fonds à date cible.

Jean-Philippe ­Provost, chef de pratique nationale en solutions d’investissements en ­épargne-retraite collective chez ­Desjardins, s’en remet au phénomène de tendance qui caractérise l’industrie. « ­Le mouvement part souvent des ­États-Unis ou du ­Royaume-Uni, des grandes caisses de retraite à prestations déterminées, puis par la suite des grandes caisses à cotisation déterminée pour s’étendre finalement aux plus petits régimes ­CD. Les placements non traditionnels deviennent ainsi de plus en plus accessibles. »

L’industrie et les consultants sont ainsi interpellés sur la question de l’intégration de la complexité et de la diversification. « ­Comme les régimes ­PD avant, les ­CD font aujourd’hui face à ces enjeux. Il devrait en résulter une réduction des frais, un accroissement de la sophistication et une accessibilité plus grande à ces placements et stratégies », renchérit ­Dany ­Lemay.

D’autant plus que les avantages d’incorporer des actifs non traditionnels aux régimes ­CD sont réels, insiste ­Anne ­Meloche. ­Jean-Philippe ­Provost est aussi catégorique. « ­Intégrer ce type de placement est un alignement clair d’intérêts. Dans nos conversations, on aborde l’approche multigestionnaires. On évoque également l’effet sur la diversification et la réduction de la volatilité. Le participant comprend très bien. »

«Le peu de demandes se traduit par une faible offre de produits. C’est un cercle vicieux. »

 – Anne Meloche, Placements mondiaux Sun Life

L’adoption passe par l’intégration

Cela dit, tous sont unanimes, et ­Anne ­Meloche le résume bien : il est plus intéressant d’inclure les stratégies de placements non traditionnels dans les fonds à date d’échéance plutôt que de les offrir à la carte. « ­Cela permet d’intégrer une sophistication à moindre coût. Le participant n’a pas à faire un choix personnel. Sans compter qu’un biais comportemental incite à chasser la performance passée. En 2022, on aurait alors choisi les actions en raison de leur performance antérieure, alors que les stratégies de diversification ont mieux performé », ajoute ­Dany ­Lemay.

« ­Dans les régimes ­CD, on a eu beaucoup de gains grâce aux solutions holistiques, affirme sans ambages ­Jean-Philippe ­Provost. Avec une telle intégration dans les plateformes ­CD, on ajoute des solutions simplifiées multiactifs, multigestionnaires. »

Et les bienfaits ?

CIBC ­Mellon a procédé à une simulation qui permet de constater l’effet positif des placements non traditionnels dans un portefeuille. Dans l’exercice, l’institution note que les portefeuilles équilibrés traditionnels privilégient généralement un ensemble restreint d’actifs et de stratégies et, par extension, un ensemble restreint de risques et de flux de trésorerie. Elle conclut que la meilleure façon de réduire cette concentration est d’ajouter des actifs et des stratégies qui offrent une exposition à un ensemble plus diversifié de risques et d’occasions.

« L’essentiel est de faire la distinction entre les placements non traditionnels qui offrent des rendements complémentaires et diversifiés et ceux qui remplacent une partie des placements existants. Les résultats de nos simulations montrent qu’il est avantageux d’étoffer un portefeuille équilibré en y intégrant un large éventail de risques et d’occasions complémentaires. Le risque du portefeuille diminue en raison de la diversification accrue et le rendement annuel prévu augmente considérablement, passant d’environ 4,1 % à 6,3 % », écrit ­CIBC ­Mellon.

L’institution conclut que les portefeuilles équilibrés traditionnels accusent généralement d’importantes pertes durant les périodes de tensions boursières, tandis que les placements en titres à revenu fixe ne constituent généralement, au mieux, qu’une protection partielle. L’ajout d’actifs et de stratégies non traditionnels diversifiés, dans les limites des contraintes de placement réalistes, peut aider à atténuer cette instabilité des rendements.

   


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2022 du magazine Avantages.
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