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Bien des participants à un régime d’accumulation de capital attendent depuis longtemps que leur employeur les aide à obtenir des conseils financiers personnalisés. En cette période où le stress financier atteint des sommets chez les travailleurs canadiens, le temps presse. Heureusement, les promoteurs de régime montrent un intérêt croissant en la matière.

Pour prendre des décisions éclairées, les participants peuvent de plus en plus compter sur des conseils financiers prodigués par l’intermédiaire des régimes de retraite. C’est le cas à ­Sollio ­Groupe ­Coopératif, qui a mis en place un programme d’accompagnement financier des employés centré sur le décaissement à la retraite.

Avant que le programme soit déployé en 2022, « les gens posaient des questions, surtout à l’approche de la retraite. Ils avaient la possibilité de suivre des formations, mais ils se demandaient quelles décisions prendre », explique Frédérick ­Poulin, directeur principal rémunération globale à ­Sollio ­Groupe ­Coopératif.

L’accompagnement des employés se fait en trois temps progressifs et est destiné à ceux âgés de 50 ans et plus, qui représentent 40 % des 14 000 participants au régime à cotisation déterminée (CD) de la plus grande coopérative agricole du Québec.

Les employés qui souhaitent recevoir des conseils financiers doivent d’abord suivre une formation obligatoire de quatre ­demi-journées abordant quatre domaines : l’aspect psychosocial, l’aspect financier, la santé et la nutrition et le volet légal. « ­Cette formation obligatoire permet d’optimiser la rencontre qui a lieu par la suite avec l’expert, explique ­Frédérick ­Poulin. Cela permet de donner une base de connaissances en matière de retraite, de façon à éviter que l’expert ait à expliquer le fonctionnement du ­Régime de rentes du ­Québec, par exemple. » ­Cette formation est proposée également aux conjoints des employés, ­précise-t-il.

Une fois cette formation suivie, les employés peuvent s’inscrire à une rencontre avec « un expert en solutions retraite », en personne ou à distance. Là aussi, le conjoint peut assister à la rencontre et poser des questions. Enfin, une rencontre de suivi peut être organisée. « ­Ceux qui ont utilisé le programme en sont très satisfaits ; ils en auraient même pris plus ! ­Mais il y a une limite à ce qu’on peut faire », souligne ­Frédérick ­Poulin en précisant que le service est offert gratuitement aux participants par le promoteur. Le coût du programme est payé à même les frais d’administration du régime.

« L’objectif du programme est que les gens aient un meilleur accompagnement dans le décaissement de leurs revenus de retraite. Cela vise aussi à renforcer le sentiment d’appartenance, conformément aux valeurs de ­Sollio d’être présent pour eux tout au long de leur carrière, souligne ­Frédérick ­Poulin. Dans les régimes à cotisation déterminée, il y a souvent une coupure lorsque les gens partent à la retraite. On ne voulait pas ça. »

61 % des travailleurs canadiens aimeraient avoir accès à un conseiller en services financiers par l’entremise de leur employeur


85 %
des employés se sentiraient mieux préparés à la retraite s’ils pouvaient consulter un professionnel offrant des conseils financiers

Les participants de régimes CD qui sont suivis par un conseiller en services financiers sont 13x
plus susceptibles de transférer des fonds dans leur régime collectif, et la valeur de ces transferts est
77 %
plus élevée

Source : Manuvie

Un intérêt croissant

À l’image des salariés de ­Sollio, de plus en plus de participants de régimes ­CD ont la possibilité de recevoir des conseils financiers. Cela s’explique par l’arrivée à maturité de l’industrie, explique ­Marc-Antoine ­Morin, chef, ­Engagement des participants, ­Produits et services d’épargne-retraite, à ­Manuvie. « ­Les montants sont plus élevés maintenant dans les régimes ­CD, ce qui fait en sorte que les gens s’intéressent davantage à leur compte. La résistance des employeurs à orienter les participants vers du conseil financier s’est aussi nettement amoindrie. De leur côté, les fournisseurs de services souhaitent différencier leur offre en répondant mieux aux besoins des participants », ­énumère-t-il.

L’offre de conseil parrainée par l’employeur est un cadre rassurant pour les employés, souligne ­Marc-Antoine ­Morin. Et comme le conseil est généralement donné sans frais additionnels, puisque le coût est intégré aux frais d’administration du régime, cela réduit encore les barrières psychologiques et financières liées au fait de se prévaloir du conseil.

À ­Manuvie, ce sont des conseillers salariés de l’assureur – sans versement de commissions – qui rencontrent les participants aux régimes, la plupart du temps en mode virtuel, de manière ponctuelle ou dans une relation régulière. Près de la moitié des participants cherchent à établir une relation continue, constate ­Marc-Antoine ­Morin. Le suivi peut même demeurer une fois qu’ils sont à la retraite.

«L’objectif du programme est que les gens aient un meilleur accompagnement dans le décaissement de leurs revenus de retraite. Cela vise aussi à renforcer le sentiment d’appartenance. […] Dans les régimes à cotisation déterminée, il y a souvent une coupure lorsque les gens partent à la retraite. On ne voulait pas ça. »

 – Frédérick Poulin, Sollio Groupe Coopératif

Chez ­Desjardins, c’est une équipe de planificateurs financiers qui intervient, « pas nécessairement avec un accent sur la retraite, mais plutôt sur le ­bien-être financier », précise ­Charles ­Pépin, directeur de section, ­Conseil et ­Encadrement, chez Desjardins ­Assurances. La plupart des séances sont à l’initiative des participants, mais ­Desjardins organise aussi ponctuellement en collaboration avec quelques grands promoteurs des rencontres individuelles avec des plages horaires déterminées auxquelles les participants peuvent s’inscrire.

« ­On voit l’intérêt grandir pour un conseil personnalisé », constate ­Denis ­Desrochers, directeur régional principal des ventes au ­Québec, Épargne et retraite collectives, à iA Groupe financier. Si, dans le passé, les participants avaient tendance à réclamer du conseil au moment de quitter leur employeur, que ce soit pour un changement d’emploi ou un départ à la retraite, ­Denis ­Desrochers observe une sollicitation croissante de conseil en cours d’emploi.

À la demande des participants, sur ­rendez-vous virtuel ou téléphonique, les conseillers – salariés – de la ligne collective d’iA ­Groupe financier leur apportent des conseils généraux non seulement sur les placements, mais aussi de manière plus large pour nourrir leur réflexion quant à l’utilisation de leur épargne dans l’achat d’une résidence, par exemple, tout en restant dans un cadre défini. « ­On ne va pas jusqu’à monter une stratégie financière sur mesure », précise ­Denis ­Desrochers.

Le taux d’utilisation du service demeure modeste, de l’ordre de 3 à 5 % des participants. « ­Cela ne nous surprend pas tant que cela, parce que 80 à 90 % des gens s’en tiennent aux options par défaut des régimes ­CD, explique ­Denis ­Desrochers. Ils n’ont pas le temps, l’intérêt ou les connaissances pour être plus actifs. »

Le fardeau de la responsabilité s’inverse

Ouverts au fait de fournir du conseil financier à leurs participants, des promoteurs s’inquiètent de leur responsabilité fiduciaire, remarque ­Denis ­Desrochers. « ­Pour les rassurer, nous avons une clause indiquant que nous prenons l’entière responsabilité du service. »

La réglementation québécoise en matière de régimes de retraite n’exige pas que l’administrateur d’un régime ­CD fournisse des conseils financiers aux participants. Quand il décide de le faire, c’est sur une base volontaire.

Alors que, dans le passé, la responsabilité fiduciaire tenait les promoteurs loin des conseils financiers, pour éviter tout risque d’être tenus responsables de conseils inadéquats, la situation tend à s’inverser. « L’administrateur de régime a une obligation d’information. Or, on pourrait se demander si cette mission est remplie quand l’information qu’il fournit n’est pas compréhensible par les participants au régime », pointe ­Julien ­Ranger, avocat associé, ­Régimes de retraite et avantages sociaux, au cabinet ­Osler.

C’est pour éviter une telle situation que ­Sollio Groupe ­Coopératif a privilégié une approche centrée sur l’accompagnement des participants. « En mettant en place notre accompagnement, nous diminuons notre responsabilité fiduciaire, car nous nous assurons d’avoir une offre adaptée pour la période de décaissement », considère ­Frédérick ­Poulin.

De plus, les lignes directrices de l’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite (ACOR) commencent à suggérer qu’une bonne pratique pour un administrateur de régime de retraite serait d’offrir des outils permettant aux participants de mieux modéliser leurs revenus à la retraite, observe ­Julien ­Ranger. « ­Ce n’est pas du conseil financier. Mais on sent un mouvement visant à permettre aux participants de faire des choix éclairés », ­explique-t-il.

«La résistance des employeurs à orienter les participants vers du conseil financier s’est nettement amoindrie. »

 – Marc-Antoine Morin, Manuvie

DES LACUNES IMPORTANTES

La pertinence d’une offre de conseil financier est évidente aux yeux de ­Philippe d’Astous, professeur agrégé et directeur du ­Laboratoire en éducation financière ­HEC ­Montréal. Seul un quart (25 %) de la population canadienne comprend la différence entre un régime ­CD et un régime à prestations déterminées, selon le dernier indice annuel de l’Institut sur la retraite et l’épargne ­HEC ­Montréal. « ­Les participants ne comprennent pas nécessairement ce qui se passe dans leur régime, d’où l’importance de les éduquer et de les aider à mieux comprendre ce dont ils bénéficient », commente ­Philippe d’Astous.

Pour les moins connaisseurs, il existe bien les options par défaut des régimes ­CD. « Ça marche, nous dit la littérature, observe ­Philippe d’Astous. Mais il est nécessaire d’aller plus loin en matière d’éducation financière. L’important est que les gens sachent dans quoi ils embarquent : ­peut-être que le taux d’épargne par défaut ne correspond pas à leurs besoins personnels, par exemple. »

Mais comment intéresser les participants ? « ­Pour les jeunes, la préparation à la retraite, ce n’est pas très sexy. Plus on s’approche de la retraite, plus ça nous intéresse… ­Mais plus les choix ont déjà été faits, constate ­Philippe d’Astous. De son côté, l’employeur a de bonnes raisons de promouvoir la compréhension de son offre en matière d’­épargne-retraite, parce que si les gens ne comprennent pas, c’est une partie de la rémunération qui n’est pas valorisée aux yeux des travailleurs. »

Généralement, les administrateurs de régime n’offrent pas les services ­eux-mêmes, pour une question de responsabilité, et parce que la taille du régime ne justifie pas nécessairement d’avoir les ressources à l’interne. « ­Mais ce n’est pas parce que le fournisseur est externe que l’administrateur n’a plus de responsabilité. On pourrait lui faire le reproche d’avoir dirigé les participants vers un fournisseur qui n’aurait pas les compétences nécessaires ou un service de qualité », prévient ­Julien Ranger.

La clé pour gérer le risque fiduciaire est d’avoir un processus rigoureux en matière de sélection et de supervision du fournisseur de service, explique l’avocat. « ­Si c’est le cas, cela lui permettra de démontrer qu’il a agi de façon prudente et qu’il a rempli ses obligations. »

«L’administrateur de régime a une obligation d’information. Or, on pourrait se demander si cette mission est remplie quand l’information qu’il fournit n’est pas compréhensible par les participants au régime. »

 – Julien Ranger, Osle

82 %
des participants de régime font confiance aux services de planification financière offerts par leur employeur, et
87 %
se disent plus susceptibles de rester à leur poste actuel s’ils peuvent bénéficier de conseils financiers dans l’avenir

Source : Voya Investment Management

Concrètement, le promoteur doit veiller à l’absence ­d’apparence de conflits d’intérêts de la part des experts qui prodiguent des conseils financiers aux participants. Si les principaux fournisseurs de services de régimes d’accumulation de capital ont conçu leur offre de conseils financiers liée au régime de retraite, des promoteurs peuvent préférer faire appel à un cabinet indépendant. Les options peuvent toutefois être relativement restreintes. « ­Peu de firmes de planification financière se spécialisent dans ce type de soutien, parce qu’elles ne peuvent pas investir ­elles-mêmes l’actif des participants », explique ­Stéphanie ­Mariamo, conseillère principale chez Mercer.

C’est néanmoins dans cet espace du marché que des firmes de services professionnels avancent leurs pions. « ­Les équipes de ressources humaines reçoivent de plus en plus de questions des employés, observe ­Marianne ­Assaf, associée et chef de pratique, ­Consultation en régimes d’épargne, chez ­Normandin ­Beaudry. On s’est dit : pourquoi ne pas les aider puisque ce ne sont pas tous les fournisseurs de service qui offrent du conseil financier ? » ­Depuis la fin de 2022, des actuaires et des planificateurs financiers salariés de ­Normandin ­Beaudry proposent des cours de préparation à la retraite, souvent destinés aux participants âgés de plus de 55 ans. « ­Il est important que ce soient des participants à moins de deux ans de la retraite », souligne ­Marianne ­Assaf. ­Ceux-ci obtiendront un document structurant une recommandation de décaissement.

La firme de rémunération globale ­Solertia a elle aussi déployé une offre de conseils financiers, mais en la plaçant dans le champ du ­bien-être financier, plutôt qu’en la liant spécifiquement à la retraite. « L’offre la plus populaire est la rencontre individuelle avec un planificateur financier », confie le planificateur financier ­Stefan ­Kolovic, directeur relations clients, Éducation financière, à ­Solertia. Les participants contactent directement l’équipe de la firme. Les sujets abordés vont ­au-delà de la retraite. « ­On aide les gens à gérer leurs dettes, on les aide à comprendre le processus pour acheter une maison… » L’employeur sait seulement en fin d’année quels ont été les sujets généraux qui ont été abordés lors de ces rencontres ainsi que le nombre d’employés qui ont utilisé le service. Le promoteur prend à sa charge les frais, qui sont inclus dans son programme de ­mieux-être financier.

Quel que soit le fournisseur de conseils choisi, les promoteurs devraient pouvoir disposer de rapports sur le nombre de rencontres et le taux de satisfaction. « ­Toute rencontre devrait donner lieu à un sondage, qui devrait ­lui-même être intégré de manière confidentielle dans le rapport transmis à l’employeur », suggère ­Stéphanie ­Mariamo.

Mais outre le conseil financier, les participants vont se heurter prochainement à une nouvelle barrière, prévoit ­Stéphanie ­Mariamo : celle du manque de produits de placement plus adaptés à la phase de décaissement qu’à celle d’accumulation. « ­Une fois qu’on a accompagné les participants dans leur planification, il faut pouvoir proposer les produits dans lesquels ils vont pouvoir investir », ­explique-t-elle. « ­Le FERR et le ­FRV sont très basiques. Il faudra mettre de l’avant de nouveaux produits plus adéquats. Même la notion de décaissement devrait être revue, ­considère-t-elle. Le décaissement semble pointer vers une seule action, alors que c’est plutôt une transition vers la retraite qu’on devrait préparer. De ce point de vue, les employeurs sont idéalement positionnés pour offrir un soutien aux participants. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2024 du magazine Avantages.
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