Le phénomène de Grande Démission n’a peut-être pas eu la même ampleur au Canada qu’aux États-Unis, mais la réalité démographique et les vestiges de la pandémie rendent tout de même le recrutement et la rétention des employés plus ardus que jamais pour les entreprises d’ici. Les régimes d’avantages sociaux peuvent jouer un rôle de premier plan en la matière, à condition qu’ils soient adaptés à la nouvelle réalité du monde du travail.

« Ça fait plusieurs années qu’on veut mettre l’accent sur la flexibilité et le ­bien-être dans notre programme d’avantages sociaux », a expliqué ­Frédéric ­Létourneau, ­vice-président, rémunération globale à la ­Banque ­Nationale, lors de la ­Conférence annuelle de l’Association de la retraite et des avantages sociaux du ­Québec (ARASQ). « La réflexion était déjà bien entamée avant la pandémie, ce qui nous a permis de rapidement apporter certains changements. »

L’institution financière a notamment déployé les soins de santé virtuels à l’ensemble de ses employés ainsi qu’une toute nouvelle clinique de sommeil. Mais elle table sur un projet beaucoup plus ambitieux pour l’avenir de son régime d’avantages sociaux.

« ­On réalise que notre offre est généreuse, mais que les employés ne l’apprécient pas assez, remarque ­Frédéric ­Létourneau. À terme, l’idée est d’aller vers quelque chose de totalement flexible, d’allouer un certain montant que les participants pourront dépenser comme ils le souhaitent à travers l’ensemble de l’offre d’avantages sociaux et de retraite. »

Une protection d’assurance de base sera obligatoire afin de garantir un minimum de sécurité à tous, mais davantage de dollars flexibles seront octroyés, permettant aux employés de personnaliser leur couverture. Ces sommes pourront même être redirigées vers le régime de retraite à cotisation déterminée ou, à l’inverse, les participants pourront réduire les cotisations à ce dernier, y compris celles de l’employeur, et les utiliser pour bonifier leur couverture santé.

Frédéric ­Létourneau concède néanmoins que le contexte inflationniste complique la gestion des budgets de rémunération globale. « ­On doit suivre la cadence pour les augmentations salariales, ce qui nous force à reporter certains projets d’investissement liés aux avantages sociaux », ­dit-il, en précisant que la banque adopte une approche équilibrée en la matière. « ­On a des milliers d’employés, les décisions que l’on prend concernant les hausses de salaire peuvent avoir une influence à plus grande échelle. On ne veut pas non plus créer une spirale inflationniste. »

Si la forte pression sur les salaires peut diminuer la soif des employeurs de réinvestir dans les autres composantes de la rémunération globale, l’expert en recrutement ­Vincent ­Decitre rappelle que les avantages sociaux demeurent un puissant outil de rétention des talents. « ­Dans le contexte actuel, c’est certain que vos meilleurs employés vont se faire approcher par d’autres employeurs. S’ils ont bien conscience de tous les avantages sociaux dont ils bénéficient, ils seront ­peut-être moins tentés d’aller voir ailleurs. »

Même pour le recrutement, les avantages sociaux exercent une certaine influence, puisqu’ils donnent aux candidats une bonne indication de la culture d’entreprise, ­poursuit-il.

«À terme, l’idée est d’aller vers quelque chose de totalement flexible, d’allouer un certain montant que les participants pourront dépenser comme ils le souhaitent à travers l’ensemble de l’offre d’avantages sociaux et de retraite. »

 – Frédéric Létourneau, Banque Nationale

« ­La notion de flexibilité a changé »

La société de consultation en technologies ­Alithya a elle aussi entrepris une vaste réflexion sur l’avenir de son régime d’avantages sociaux. Ses objectifs sont globalement les mêmes que ceux poursuivis par la ­Banque ­Nationale : augmenter le niveau de flexibilité de l’offre – une demande des employés -, faciliter l’attraction et la fidélisation du personnel et accroître le soutien en matière de ­mieux-être. « ­La notion de flexibilité a changé », a soutenu ­Catherine ­Bourque, ­vice-présidente, capital humain à ­Alithya, également lors de la ­Conférence annuelle de l’ARASQ. « On ne parle plus seulement de régimes d’assurance modulaires. »

L’entreprise ne voulait toutefois pas allouer des sommes supplémentaires à son régime d’avantages sociaux. Elle visait plutôt à optimiser le budget déjà investi.

La pierre angulaire du projet de modernisation des avantages sociaux d’Alithya a été l’implantation d’une plateforme intégrée incluant des ressources pour les quatre grands axes de la santé globale : physique, psychologique, financière et sociale.

Certains services sont entièrement couverts par l’entreprise, dont la télémédecine, qui a fait son apparition dans le régime au printemps 2020. L’entreprise a en outre choisi de couvrir partiellement certains services offerts sur la plateforme, la physiothérapie virtuelle, par exemple. « ­Les employés bénéficient d’un tarif préférentiel par le biais de la plateforme, indique ­Mme ­Bourque. Dans l’ensemble, les employés ont accès aux mêmes protections qu’avant, mais ils ont plus de choix. »

Le recours à une plateforme centralisée comporte aussi des avantages du point de vue administratif, puisque tous les fournisseurs de services sont regroupés au sein du même contrat, ­ajoute-t-elle.

Le virage a ­semble-t-il été bien accueilli par les employés : 75 % d’entre eux ont créé leur compte sur la plateforme dans les semaines qui ont suivi son déploiement.

« ­La deuxième phase du projet va consister à moderniser nos régimes d’épargne et d’actionnariat. Encore là, nous voulons les rendre plus flexibles », affirme ­Catherine ­Bourque.

L’effet magique de la valeur perçue

La pandémie n’a pas fondamentalement modifié les attentes des travailleurs envers leur régime d’avantages sociaux. Ils recherchent toujours un soutien accru en santé mentale, une plus grande valorisation du ­mieux-être et des options de couverture facultative. En revanche, depuis la pandémie, l’offre de soutien en matière de ­mieux-être ne peut plus être cantonnée au lieu de travail, elle doit prendre le virage numérique, souligne ­Marie-Josée ­Leblanc, conseillère en santé et avantages sociaux et membre du partenariat chez ­Mercer.

73 % des employés de 18 à 34 ans et 69 % des employés de 35 à 44 ans sont susceptibles de changer d’employeur afin de profiter d’un meilleur régime d’avantages sociaux.

Dans un bon régime d’avantages sociaux, les travailleurs recherchent avant tout :
Du soutien en santé mentale : 88 %
Un compte de soins de santé : 80 %
Des couvertures facultatives
personnalisées : 79 %

Source : ­RBC Assurances

«Historiquement, plus on grimpait dans la hiérarchie d’une organisation, plus les avantages sociaux étaient généreux. Il faut maintenant renverser la pyramide et offrir plus de soutien en bas de l’échelle. »

 – Marie-Josée Leblanc, Mercer

Pour illustrer l’importance pour les employeurs d’embrasser ce virage numérique, la consultante signale quelques résultats d’un sondage mené par ­Mercer en avril 2021 sur l’appréciation des avantages sociaux par les employés.

Les données démontrent que la valeur perçue d’une protection par les participants n’est pas toujours alignée avec son coût réel pour l’employeur. Par exemple, les participants estiment que leur employeur dépense en moyenne 1 000 $ par employé pour les couvertures traditionnelles, telles que l’assurance invalidité ou l’assurance vie. « ­En réalité, on est plus proche de 4 000 $ par employé en moyenne, précise ­Marie-Josée ­Leblanc. Ces couvertures sont mal comprises, leur valeur perçue est donc faible. »

Par contre, les participants de régime accordent énormément de valeur à la télémédecine accessible 24 heures sur 24, alors que ­celle-ci ne coûte que quelques dollars par mois par employé. « ­La valeur perçue des soins virtuels est encore plus élevée au ­Québec en raison des grandes difficultés d’accès au système de santé public », ajoute ­Mme ­Leblanc.

Bref, lorsqu’ils en perçoivent la valeur, les avantages sociaux revêtent une grande importance pour les employés. D’ailleurs, il existe une corrélation directe entre l’accès à différents programmes de santé et le niveau de ­bien-être. Les travailleurs bénéficiant d’une vaste gamme de ressources de soutien à la santé sont également beaucoup moins enclins à vouloir changer d’emploi que ceux ayant un choix plus limité, selon le sondage de ­Mercer.

Quelles sont les attentes des employés d’aujourd’hui concernant leurs avantages sociaux ? ­Une grande souplesse de l’offre globale, de l’aide à la gestion des responsabilités familiales, pour trouver et coordonner les soins et un soutien accru pour lutter contre les problèmes de santé mentale. « ­Les employés qui peuvent se permettre de se soigner peuvent se concentrer davantage sur le travail, car ils ont moins d’inquiétudes », mentionne ­Marie-Josée ­Leblanc.

Autre élément à considérer dans la mise en place d’un régime d’avantages sociaux moderne : se préoccuper des participants les plus vulnérables. « Historiquement, plus on grimpait dans la hiérarchie d’une organisation, plus les avantages sociaux étaient généreux, au détriment des employés plus vulnérables, note ­Mme ­Leblanc. Il faut maintenant renverser la pyramide et offrir plus de soutien en bas de l’échelle. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2022 du magazine Avantages.
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