Vous avez la possibilité de demander le versement de vos prestations du ­Régime de rentes du ­Québec (RRQ) dès 60 ans, mais il s’agit d’une très mauvaise idée. » ­Voilà, en substance, le message que ­Retraite ­Québec devrait envoyer à la grande majorité des ­Québécois à l’aube de la soixantaine. Un message que les promoteurs de régimes complémentaires de retraite auraient tout intérêt à relayer auprès de leurs participants.

Dans son dernier budget, le ministre des ­Finances ­Eric ­Girard a confirmé qu’il n’augmentera pas l’âge minimum d’admissibilité au ­RRQ à 62 ans, comme il envisageait de le faire. Une sage décision, car la hausse de ce seuil aurait injustement pénalisé certains individus parmi les plus vulnérables de la société.

En revanche, ce statu quo ne doit surtout pas inciter les ­Québécois à penser que de percevoir sa rente du ­RRQ dès 60 ans est souhaitable. Parce que pour la très grande majorité d’entre eux, il pourrait s’agir de la décision la plus coûteuse de leur vie. Inutile de rappeler à quel point la pénalité est élevée lorsque la rente commence à être versée à 60 ans : elle ne représente que 64 % du montant de la rente « normale » versée à partir de 65 ans. Pour un retraité qui touche le montant maximal, il s’agit d’une perte de 470 $ par mois… à vie. Tout ça pour ne pas avoir attendu seulement cinq ans.

Encore 33 % des ­Québécois choisissent de toucher leur ­RRQ dès 60 ans. C’est mieux qu’il y a quelques années, mais c’est encore beaucoup trop. Pour changer les perceptions, le gouvernement devra toutefois faire preuve de beaucoup de doigté. Car, pour le citoyen moyen, faire l’impasse pendant plusieurs années sur un chèque auquel il a droit est totalement ­contre-intuitif.

Les experts conseillent par exemple aux jeunes retraités de retarder le plus possible le versement du ­RRQ et, dans l’intervalle, de décaisser plus rapidement leur épargne personnelle pour soutenir leur niveau de vie. D’un point de vue financier, cette approche est tout à fait logique, puisque contrairement aux rentes du ­RRQ garanties à vie, l’épargne personnelle finira un jour ou l’autre par s’épuiser. Mais essayer de convaincre le ­Québécois moyen de vider ses ­REER durement accumulés lors de ses premières années de retraite afin de se prémunir contre le risque de longévité est un défi titanesque.

Pour éviter ces écueils, ­Retraite ­Québec devrait ­peut-être présenter le ­RRQ comme une assurance plutôt qu’un régime de retraite. Après tout, une assurance sert à se protéger contre un risque et, pour la plupart des aînés, le risque de manquer d’argent et de sombrer dans la pauvreté se matérialise dans les dernières années de vie, pas en début de retraite.

Le gouvernement devrait aussi insister sur le fait qu’il n’y a aucune urgence à prendre une décision. Nul besoin de déterminer dès 60 ans à quel âge commencer à toucher sa rente du ­RRQ. Par le fait même, il faudrait aussi commencer à semer dans l’esprit des gens l’idée que rente du ­RRQ et retraite sont deux concepts qui peuvent être dissociés : ils n’ont pas besoin de débuter au même âge.
Mais pour convaincre les ­épargnants de faire preuve de patience, il faudrait aborder de front une notion encore plus fondamentale : celle de l’espérance de vie. C’est bien connu, les gens ont tendance à surestimer leur risque de mourir prématurément, mais à ­sous-estimer leur risque de vivre jusqu’à un âge avancé.

Pour évaluer leur longévité, la plupart des gens se réfèrent aux données d’espérance de vie à la naissance. Or, en matière de planification de la retraite, c’est plutôt l’espérance de vie à 65 ans qui est pertinente. Et l’écart entre ces deux données est loin d’être anodin. Selon l’Institut de la statistique du ­Québec, ­l’espérance de vie à la naissance en 2021 était de 80,6 ans pour les hommes et de 84 ans pour les femmes. Mais pour les gens âgés de 65 ans, l’espérance de vie atteignait plutôt 85 ans chez les hommes et 87,5 ans chez les femmes. De quoi chambouler la planification de la retraite.

Et le rôle des employeurs dans tout ça ? ­Eux aussi devraient tenter de convaincre les participants à leurs régimes d’accumulation de capital de retarder le plus possible le moment où ils toucheront leur rente du ­RRQ. Le calcul est simple : plus les prestations du ­RRQ reçues par les participants seront élevées, plus la pression sur le régime de l’entreprise s’estompera, et moins ses lacunes deviendront apparentes aux yeux des employés. C’est ce qu’on appelle une solution ­gagnant-gagnant !


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2023 du magazine Avantages.
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