Le gouvernement du ­Québec a finalement déposé sa réforme du Régime de rentes. Quelles seront les implications pour les régimes de retraite des employeurs ?

En juin 2016, le ministre québécois des ­Finances, ­Carlos ­Leitão, n’a pas signé l’entente entre ­Ottawa et les autres provinces sur la réforme et l’amélioration du ­Régime de pensions du ­Canada (RPC). À l’époque, il préconisait une approche qui prendrait en considération la réalité différente du ­Québec, ce qui a ouvert la porte à une période d’études et de consultations sur le chemin à suivre pour améliorer le régime de rentes de la province (RRQ).

Quelque 17 mois plus tard, le ministre a déposé un projet de loi calqué sur la réforme proposée par le fédéral afin de bonifier ce dernier. Selon les experts consultés pour cet article, c’était la bonne démarche à suivre. « ­Il aurait été décevant que les ­Québécois soient les enfants pauvres du ­Canada à cause d’un régime public moins généreux que celui du reste du pays », tranche ­Claude ­Lockhead, actuaire et associé principal et chef de l’équipe ­Retraite de la région de l’Est du ­Canada chez ­Aon ­Hewitt.

F. Hubert ­Tremblay, conseiller principal chez ­Mercer, note de son côté que les employeurs avec une portée nationale en bénéficieront car ils pourront apporter des changements de façon uniforme à travers le pays. Or, le moment était propice à une discussion plus profonde sur d’éventuelles modifications, notamment pour rapprocher les cotisations au ­RRQ de celles du ­RPC. « ­Après 50 ans, on se positionne pour l’avenir et l’occasion était bonne de poser des questions sur les coûts du ­RRQ, l’âge du départ à la retraite ainsi que les options pour ajuster les prestations si les choses ne vont pas bien, par exemple sur le plan des rendements des placements », ­explique-t-il.

La réforme proposée permet toutefois de répondre en partie à une des failles du système de retraite au ­Québec, soit la faible couverture par un régime d’employeur des employés à revenu moyen du secteur privé. « L’amélioration du ­RRQ vient certes aider à ce ­niveau-là, mais comme c’est universel, ce ne sont pas uniquement ces ­travailleurs-là qui sont touchés », dit M. Tremblay.

Équité intergénérationnelle

La réforme de ­Québec propose la création d’un volet supplémentaire au ­RRQ qui sera pleinement capitalisé. Ce ne sont pas les travailleurs d’aujourd’hui qui bénéficieront de la bonification, mais ceux qui débuteront leur carrière à partir de 2025 et qui cotiseront 40 ans à la nouvelle mouture du régime public. « ­Plus longtemps on y investit, plus élevées seront les rentes, rappelle ­Claude ­Lockhead. C’est l’équité générationnelle qui est visée avec la réforme. Chez ceux qui sont aujourd’hui proches de la retraite, l’incidence sur les revenus à la retraite sera marginale, car ils n’auront pas le temps d’acquérir une pleine rente additionnelle [du nouveau volet du ­RRQ]. »

F. Hubert ­Tremblay ajoute qu’on pourra voir un certain transfert de l’épargne des outils individuels au régime gouvernemental. Ce qui soulève certaines préoccupations.

« ­Avec le ­RRQ, il y a une certaine efficacité de l’épargne grâce à la mutualisation des risques et des économies d’échelle relatives aux placements, ­dit-il. Il faut toutefois s’interroger quant à la capacité et la volonté d’épargner des individus. Si on verse un dollar de plus à la retraite, on ne l’a pas dans sa vie quotidienne. »

Gérer les risques

La question se pose : les employeurs qui devront verser davantage aux régimes de retraite publics ­réduiront-ils les cotisations à leurs propres régimes en conséquence ? « ­Si le régime privé est généreux et que le taux de remplacement des revenus est suffisant, on devrait analyser si c’est le moment de réduire la formule de rentes afin d’absorber la hausse des coûts, affirme ­Claude ­Lockhead. Dans le cas d’un régime moins généreux, que ce soit de type prestations déterminées ou cotisation déterminée, le promoteur devrait ­peut-être envisager d’assumer l’augmentation pour améliorer le sort des employés. Dans la réflexion sur une éventuelle modification, il faut poser la question de la suffisance des revenus de retraite ; ­peut-être n’­est-il pas le moment de réduire… »

F. Hubert ­Tremblay note quant à lui qu’en plus des coûts, il convient d’examiner la situation d’une perspective de gestion des risques. « ­Certains régimes de retraite sont devenus énormes, des fois même par rapport à l’entreprise, ­dit-il. Certains diront ­peut-être que si on laisse de la place aux régimes publics, on peut atténuer les risques intrinsèques aux régimes, dont ceux liés au taux d’intérêt, aux placements ou encore à la longévité. Si on réduit la taille du régime, on réduit le risque. »

Compte tenu du changement législatif, il sera intéressant de voir les modifications que le gouvernement provincial ainsi que d’autres employeurs du secteur public envisageront pour les régimes de retraite de leurs propres employés. « D’autres caisses de retraite pourraient s’en inspirer, note M. Tremblay. Si ­Québec ne modifie pas ses régimes, ­peut-être qu’il n’y aura pas de momentum. »

Rappelons toutefois que beaucoup d’employeurs ont procédé à des négociations et ont fait de grands efforts pour modifier leurs régimes au cours des dernières années. Plusieurs n’auront pas l’appétit pour rouvrir les dossiers, constate le conseiller principal. « ­Certains songeront ­peut-être à limiter les augmentations salariales dans les prochaines années pour atténuer la hausse des coûts », ­suggère-t-il, ajoutant que la situation financière de l’entreprise aura certes une incidence. « ­Avec une grande marge bénéficiaire, l’impact de la réforme sera ­peut-être moins important. Pour d’autres, ce sera plus difficile à absorber. »

Le consensus sur la réforme du ­RRQ et la situation majoritaire du gouvernement ­Couillard laissent croire que la loi sera adoptée sans grande difficulté. Pour les employeurs, toutefois, ce n’est que le début. En plus d’adopter des mécanismes pour les cotisations au nouveau volet du régime, il importe de se pencher sérieusement sur les modifications à son propre régime de retraite qui pourraient s’avérer utiles. Le tout en trouvant l’équilibre entre la capacité de payer et le besoin de contribuer à une retraite adéquate pour les ­Québécois.

ET LE RVER?

Alors que la réforme du Régime de rentes avance, la deuxième échéance pour l’adoption de l’autre projet phare en matière de retraite de la population québécoise s’est situé au 31 décembre 2017. Précisément, les entreprises avec au moins dix employés au 30 juin dernier devaient se conformer à la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), ainsi que toutes celles avec au moins cinq employés à la fin de 2016.

Le projet de loi pour réformer le RRQ pourrait-il être considéré comme un constat d’échec du RVER ? Pour Claude Lockhead, c’est davantage une réaction envers le système de retraite dans son ensemble. « Le gouvernement aurait pu choisir d’instaurer un régime d’employeur avec cotisation obligatoire de ce dernier, comme c’est le cas dans d’autres pays. S’il avait procédé ainsi, on n’aurait peut-être pas eu besoin de bonifier les régimes publics. »

Les deux experts consultés dans le cadre de cet article s’entendent toutefois pour dire que la réforme du RRQ risque tout de même d’avoir des conséquences pour le RVER, notamment quant aux cotisations d’employeur. « On peut s’attendre à ce que des employeurs disent que, compte tenu des paiements plus importants aux régimes publics, ils ne voient pas la nécessité de cotiser davantage [au RVER] », mentionne F. Hubert Tremblay.

Que ­pensez-vous de la réforme du ­Régime de rentes du ­Québec et des conséquences sur les régimes offerts par les employeurs québécois ?­­ Nous serions heureux de connaître votre avis. ­­Envoyez-nous un courriel à simeon.goldstein@tc.tc.