Alors que les promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ont à leur disposition une panoplie d’outils sophistiqués pour gérer le risque de longévité, les promoteurs et participants de régimes à cotisation déterminée (CD) sont beaucoup moins bien équipés pour y faire face. Et si aucun progrès n’est réalisé dans le domaine, employés et employeurs pourraient bien avoir de très mauvaises surprises dans quelques années.

« Dans les faits, un régime CD est la somme de plusieurs régimes de retraite individuels. Pourquoi la gestion des risques devrait-elle y être différente de celle des régimes PD, en tout cas du point de vue des participants ? », demande d’entrée de jeu Jonathan Morin, conseiller en gestion des risques de retraite à Willis Towers Watson.

Peu engagés dans cette voie pour le moment, les promoteurs de régimes CD auront tout intérêt à établir un processus clair pour identifier et quantifier le risque de longévité au sein de leur régime, mettre en place des outils pour le gérer, et finalement optimiser le rendement généré au sein des portefeuilles. De plus en plus d’outils de modélisation pour gérer ce risque seront d’ailleurs développés par l’industrie dans le futur, prévoit l’actuaire.

Des options limitées

Certaines solutions émergent pour mieux gérer le risque de longévité, mais l’offre demeure timide. À l’heure actuelle, peu de régimes CD ont entrepris de mesurer de façon systématique la longévité de leurs participants comme le font les régimes PD, mais il s’agit néanmoins d’une philosophie qui semble vouloir tranquillement s’implanter, note Jonathan Morin. « L’émergence de meilleurs outils pour les promoteurs, les participants et les planificateurs financiers permettra de mieux comprendre les risques liés à l’espérance de vie », croit-il.

Mais au final, l’achat de rentes est pratiquement la seule option qui s’offre aux participants pour gérer le risque de longévité, puisque les contrats d’assurance longévité ne sont pas disponibles pour les individus.

« Les gens prennent de plus en plus conscience de l’importance de couvrir le risque de longévité. Offrir aux participants la possibilité d’acheter des rentes de longévité pour s’assurer un revenu à un âge avancé est peut-être une solution à envisager », soutient Denis Latulippe, professeur titulaire à l’École d’actuariat de l’Université Laval.

Jean-Rémi Mayrand, chef de la pratique retraite à Montréal chez Willis Towers Watson, remarque pour sa part une tendance vers une approche d’investissement guidé par le passif (IGP) adaptée aux régimes CD.

« L’idée de base est que le participant a des dépenses à couvrir pendant sa retraite, ce qui constitue son passif. La question est de savoir comment on peut bâtir un portefeuille d’obligations qui va correspondre à ce passif pour disons les 30 premières années de retraite. Certains assureurs travaillent donc sur des produits permettant aux participants de recevoir exactement les paiements dont ils ont besoin pour couvrir leurs dépenses », explique-t-il.

En attendant que ce type de produits innovants fasse une réelle entrée sur le marché, les promoteurs peuvent essayer de négocier des achats de rentes à de meilleurs taux pour leurs participants. Cette pratique est toutefois peu répandue, seuls quelques régimes de grande taille y ont recours.

Mais devant le peu de choix qui s’offre aux promoteurs et participants actuellement, pourrait-on envisager une certaine forme de mutualisation du risque de longévité dans les régimes CD ? « Certaines juridictions ont exploré cette possibilité, mais au Canada le cadre législatif ne le permet pas, du moins pour l’instant », indique Jonathan Morin.

Le décaissement, encore une fois

Très peu de promoteurs ont à ce jour fait le choix de s’impliquer dans la phase de décaissement. Un peu plus d’initiative de ce côté pourrait pourtant faciliter la gestion des risques.

« En permettant aux participants de laisser leur argent dans le régime, on s’assurerait d’une gestion professionnelle des fonds. On sait que la gestion des placements est extrêmement importante en début de retraite », affirme Denis Latulippe.

« Les participants partent à la retraite alors qu’ils ont le solde le plus élevé de leur carrière et ils sont laissés à eux-mêmes, ajoute M. Mayrand. Les frais de gestion élevés du marché au détail leur font très mal sur une retraite de 40 ans. »

Une plus grande rétention des actifs dans les régimes paverait aussi la voie à de nouveaux produits d’investissement. Bien qu’encore à l’état embryonnaire, les fonds à date cible conçus pour la période de décaissement semblent prometteurs. Ceux-ci tiendraient compte de la longévité projetée du participant, en se basant notamment sur son état de santé. « Ce serait un prolongement logique de ce qui existe déjà dans la période d’accumulation », dit Jean-Rémi Mayrand.

Quel rôle pour le promoteur ?

Comme on peut le constater, la gestion des risques se fait avant tout sur une base individuelle dans les régimes CD. Mais devant la complexité des produits offerts et le caractère déterminant des décisions à prendre, les participants ont probablement besoin d’un plus grand soutien des promoteurs.

« Les gens sont dépassés par la complexité des marchés. Les promoteurs doivent donc se tourner vers des produits plus standardisés et structurants pour mieux gérer les risques de taux d’intérêt et de longévité dans leur régime », affirme Denis Latulippe, qui ajoute qu’il est primordial de mettre en place des mesures d’accompagnement pour les employés.

La littératie financière est tout aussi indispensable, puisqu’une part non négligeable de la gestion du risque de longévité dans les régimes CD passe par un contrôle des dépenses discrétionnaires des retraités.

Fondamentalement, le passif actuariel d’un régime CD dépend de la longévité, des dépenses de base (logement, alimentation, etc.) et des dépenses discrétionnaires (voyages, restaurant, etc.). Or, seules les dépenses discrétionnaires sont réellement sous le contrôle du participant, note Jonathan Morin.

Autrement dit, le risque de longévité doit être très bien géré pour la portion de l’actif servant à couvrir les dépenses de base, alors que davantage de risque peut être pris du côté de l’actif dédié aux dépenses discrétionnaires.

Le mur approche

Les lacunes en gestion du risque de longévité dans les régimes CD semblent donc sérieuses. Si rien n’est fait pour renverser la tendance, le réveil pourrait être brutal. « Ça ne regarde pas bien pour les retraités à 100 % dans un régime CD si les promoteurs maintiennent le statu quo », affirme Jean-Rémi Mayrand.

Car des risques mal gérés dans les régimes CD vont obliger les employés à travailler plus longtemps, ce qui va grandement compliquer la vie des employeurs, ajoute-t-il. « Quand il va devenir plus rentable pour les promoteurs de faciliter la prise de la retraite de leurs employés, les assureurs vont subir plus de pression pour développer de nouveaux produits. Mais nous n’en sommes pas encore là, les régimes sont plutôt frileux. »

Achat de rentes : l’enjeu des taux d’intérêt

Pour les participants à des régimes CD, le risque de taux d’intérêt se matérialise surtout au moment de liquider une partie du portefeuille pour acheter des rentes. Dans l’optique de réduire ce risque, Ian Claveau, conseiller actuariel principal à l’épargne et retraite collectives à iA Groupe financier, prône l’achat de rentes différées sur une longue période. « Un participant qui achète des rentes au fur et à mesure de sa carrière se trouve à “niveler” son risque de taux d’intérêt. Il prend donc moins de risque que celui qui décide d’acheter toutes ses rentes lors de son départ à la retraite », explique-t-il.

La stratégie consiste à répartir une partie des cotisations à l’achat de rentes, le reste étant investi de façon traditionnelle dans des fonds de placement. Bien qu’il s’agisse d’une solution intéressante pour gérer le risque d’achat de rentes, Jonathan Morin, de Willis Towers Watson, souligne l’importance « d’étudier attentivement les coûts » d’une telle option sur une longue période. « Dans certains cas, il peut être plus avantageux d’accumuler des obligations d’une durée similaire à l’espérance de vie. »