Les régimes de retraite les plus aptes à offrir aux travailleurs une retraite confortable, comme les régimes à prestations déterminées ou à prestations cibles, sont coûteux et complexes à administrer pour les petits employeurs qui font cavalier seul. Mais s’ils joignaient leurs efforts au sein d’un régime interentreprises, ces employeurs ouvriraient le champ des possibles. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle reste pourtant méconnue au Québec, surtout dans le secteur privé.
Créé en 1963, le régime de retraite de l’industrie de la construction détenait en 2023 31 milliards de dollars en actifs sous gestion et comptait plus de 200 000 cotisants, 100 000 rentiers et 172 000 participants inactifs
« Le régime a été institué pour que les participants continuent d’être couverts même s’ils changent régulièrement d’employeurs ou qu’ils quittent temporairement l’industrie de la construction », explique Audrey Murray, PDG de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Une entente de réciprocité permet aux salariés de rapatrier leurs cotisations à la CCQ lorsqu’ils travaillent ailleurs au Canada (sur des chantiers syndiqués).
Cette formule de régime multi-employeurs aide de petits employeurs à offrir à leurs travailleurs un régime qu’ils ne pourraient pas offrir par leurs propres moyens. Il faut savoir que 80 % des entreprises du secteur québécois de la construction comptent moins de six salariés. « Ça devient un outil d’attraction et de rétention des travailleurs important dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre », souligne Audrey Murray.
Au départ, le régime était à prestations déterminées (PD), mais il est passé à un mode à cotisation déterminée (CD) au milieu des années 2000 en raison de difficultés financières. Le régime prévoit néanmoins le paiement d’une rente garantie à vie aux participants, calculée selon le nombre d’heures travaillées et les cotisations versées. « Le montant de la prestation est garanti à partir du moment où le participant prend sa retraite, mais les projections de rente fluctuent pendant la période d’accumulation », explique Nathalie Fréchette, directrice des avantages sociaux à la CCQ.
Les employeurs et leurs salariés ont l’obligation de cotiser au régime. Les syndicats et les patrons négocient le montant des cotisations en fonction des dispositions prévues aux conventions collectives des quatre secteurs d’activité. Le comité sur les avantages sociaux de l’industrie de la construction, qui décide des modalités du régime, ainsi que le comité de placement, sont composés de représentants syndicaux et patronaux.
Une solution polyvalente
Au fil des ans, les régimes de retraite interentreprises se sont multipliés. La loi permet d’en créer à partir de la plupart des formules disponibles pour un régime à employeur unique (PD, CD, financement salarial, prestations cibles, etc.). Parmi les plus récents, on retrouve le régime de retraite par financement salarial des groupes communautaires et de femmes, ou encore celui du personnel des CPE et des garderies conventionnées du Québec, un régime PD. La FTQ propose quant à elle un régime de retraite par financement salarial (RRFS), qui compte aujourd’hui plus de 260 groupes, alors que la CSN offre un régime de retraite à prestations cibles. L’UPA mise quant à elle sur un régime hybride PD/CD.
Les régimes interentreprises ont été explicitement reconnus par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (loi RCR) en 1989, même s’ils existaient avant. Aucune règle ne dicte le type d’entreprises qui peuvent s’associer dans un tel régime. « On voit beaucoup de régimes interentreprises sectoriels et surtout dans les milieux syndiqués, mais en fait, rien n’empêche d’en avoir dans des milieux non syndiqués ni entre des entreprises de différents secteurs », précise Me Tina Hobday, avocate associée chez Langlois Avocats, spécialisée dans les régimes de retraite.
« Ces régimes sont administrés essentiellement de la même manière qu’un régime d’un seul employeur, poursuit-elle. Une des distinctions importantes est qu’on doit nommer dans le texte du régime les conditions d’adhésion et de retrait d’un employeur. Tous les employeurs doivent être inscrits au texte et on doit les en retirer s’ils sortent du régime. »
«On voit beaucoup de régimes interentreprises sectoriels et surtout dans les milieux syndiqués, mais en fait, rien n’empêche d’en avoir dans des milieux non syndiqués ni entre des entreprises de différents secteurs. »
– Me Tina Hobday, Langlois Avocats
Me Hobday rappelle que tous les régimes offerts par plus d’un employeur ne constituent pas des régimes interentreprises au sens de la loi RCR. Par exemple, les regroupements qui misent sur un REER collectif n’en sont pas, puisqu’un tel véhicule n’est pas un régime de retraite au sens de la loi RCR. Les régimes d’employés du secteur public, comme le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), non plus, car la loi RCR ne s’applique pas à eux.
209
Nombre de régimes de retraite regroupant plus d’un employeur sous la surveillance de Retraite Québec (au 31 décembre 2023)
999 077
participants
32 328
milieux de travail ou employeurs
La formule comporte plusieurs avantages. « Elle permet aux petits employeurs d’offrir des régimes qui sont plus avantageux pour les employés que des REER collectifs ou des régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), par exemple des régimes à prestations déterminées, qui coûtent plus cher et qui sont plus complexes à administrer », souligne Me Sonia Massicotte, avocate et conseillère à PBI Conseillers en actuariat, firme qui conseille entre autres le Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes.
Elle ajoute que les employeurs peuvent réaliser des économies d’échelle, par exemple sur les frais de gestion, mais aussi accéder à plus d’options de placements, notamment les actifs réels et privés, en raison de leur taille. Le Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes s’est d’ailleurs allié avec onze autres caisses de retraite dans une fiducie pour décupler l’actif sous gestion, ce qui a permis d’établir les frais de gestion à 0,5 % par année.
Une alliance d’universités
En Ontario, des universités et leurs parties prenantes s’organisent actuellement pour faire croître le régime de retraite conjoint (RRC) University Pension Plan. Un RRC est un régime PD dans lequel les décisions et les cotisations sont partagées entre les participants et les employeurs. « La réflexion a commencé après la crise financière de 2008‑2009, qui a ébranlé la solvabilité des régimes de retraite des universités ontariennes », explique Barbara Zvan, présidente et chef de la direction de University Pension Plan Ontario (UPP).
«Notre plus grand défi, c’est que nous héritons de régimes de retraite différents, donc nous avons un texte de régime différent pour chaque groupe qui nous rejoint, ce qui est très atypique. Nous devons nous assurer de bien intégrer chaque université qui s’associe à nous. »
– Barbara Zvan, University Pension Plan
La décision a rapidement été prise de convertir les régimes des universités en RRC. « Cette approche permettait de protéger les régimes PD, d’établir un financement plus stable et d’octroyer aux participants une voix égale à celle des employeurs dans la gestion », ajoute-t-elle.
Le régime a débuté en convertissant en RRC, en 2019, les régimes de retraite de l’Université de Toronto, de l’Université de Guelph et de l’Université Queen’s. L’Université Trent en est devenue le quatrième membre en 2022. L’UPP compte actuellement près de 40 000 participants. On y trouve des professeurs, mais aussi les employés de 14 autres secteurs du monde universitaire.
L’arrivée d’UPP a soulagé les administrations universitaires, lasses de devoir gérer un lourd régime de retraite. Son actif sous gestion, qui dépasse déjà 12 milliards de dollars, lui permet d’obtenir des économies d’échelle, d’accéder à une plus vaste gamme de placements et de pouvoir embaucher des spécialistes à l’interne, plutôt que des consultants externes.
L’utilisation d’un régime de retraite conjoint permet aussi aux participants de gérer activement leur régime. « Notre gouvernance comprend un comité d’employés et un comité d’employeurs, qui décident ensemble des modalités du régime, des politiques de placement, de la nomination des administrateurs et de l’admission des nouvelles institutions qui veulent adhérer au régime », explique Gale Rubenstein, présidente du conseil d’administration de UPP. Le CA est lui aussi composé en parts égales d’administrateurs nommés par les employés et les employeurs ainsi que d’un représentant des milieux non syndiqués et d’un représentant indépendant.
« Notre plus grand défi, c’est que nous héritons de régimes de retraite différents, donc nous avons un texte de régime différent pour chaque groupe qui se joint à nous, ce qui est très atypique, note Barbara Zvan. Nous devons nous assurer de bien intégrer chaque université qui s’associe à nous. »
Les administrateurs du régime doivent aussi demeurer attentifs aux attentes des parties prenantes, y compris les étudiants. C’est le cas par exemple en ce qui concerne les préoccupations ESG. En 2022, un sondage auprès des participants a montré que la majorité d’entre eux désiraient des investissements responsables et une bonne gestion des risques climatiques.
« Nous faisons preuve d’une grande transparence quant à nos investissements et nos votes dans les assemblées des actionnaires, et nous sommes ouverts à en discuter avec les parties prenantes des universités, affirme Gale Rubenstein. C’est important que tous nos participants aient une voix. »
Une formule encore méconnue
Si les régimes multi-employeurs comportent tant d’avantages, pourquoi n’en voit-on pas plus ? Sonia Massicotte estime qu’ils ne sont pas assez connus, en particulier dans les milieux non syndiqués. « Les difficultés qu’ont vécues les régimes interentreprises à cotisations négociées, qui sont un peu les ancêtres des régimes interentreprises actuels, ont peut-être contribué à en donner une image négative alors que ce sont des véhicules d’épargne-retraite intéressants . »
Dans ces régimes, les cotisations et les prestations sont déterminées et aucun employeur ne peut les modifier de manière unilatérale. On en compte huit au Québec, tous de très grande taille. « Comme les cotisations et les rentes étaient fixes, la solvabilité de ces régimes était menacée quand les rendements de leurs placements diminuaient », explique Me Hobday.
La situation s’est envenimée à la suite de la crise financière de 2008, au point où legouvernement a légiféré sur ces régimes. Québec a éliminé le financement sur une base de solvabilité (comme dans les régimes PD du secteur privé) et permis de couper les rentes actuelles et futures, à condition d’avoir un plan de redressement accepté par au moins 70 % des participants. La nouvelle loi stipule également que si un employeur quitte le régime, tous les participants associés à cet employeur doivent aussi partir. Le gouvernement a en outre interdit la création de nouveaux régimes de ce type.
«Les régimes interentreprises permettent aux petits employeurs d’offrir des régimes qui sont plus avantageux pour les employés que des REER collectifs ou des RVER, par exemple des régimes à prestations déterminées, qui coûtent plus cher et qui sont plus complexes à administrer. »
– Me Sonia Massicotte, PBI Conseillers en actuariat
Les régimes interentreprises comportent tout de même quelques défis. « Certains employeurs préfèrent garder le contrôle sur leur régime, afin de pouvoir plus facilement en moduler les modalités, note Riel Michaud-Beaudry, professionnel de recherche à l’Observatoire de la retraite. Ces régimes exigent en outre un plus gros effort de communication de la part des employeurs, avec les participants, mais également avec les gestionnaires du régime. »
Riel Michaud-Beaudry est toutefois convaincu que les avantages dépassent de loin les inconvénients, et que l’on gagnerait à utiliser davantage les régimes interentreprises. « On a besoin d’innover au Québec pour augmenter l’épargne-retraite des travailleurs qui n’ont pas accès à un régime de retraite, et cette formule est certainement prometteuse. »
QUELQUES RÉGIMES MULTI-EMPLOYEURS AU QUÉBEC
• Régime de retraite de l’industrie de la construction
• Régime de retraite du personnel des CPE et des garderies privées conventionnées du Québec
• Régime complémentaire de rentes des techniciens ambulanciers/paramédics et des services préhospitaliers d’urgence
• RRFS-FTQ
• RRFS des groupes communautaires et de femmes
• Régime à prestations cibles de la CSN
• Régime de retraite de l’Union des producteurs agricoles
… ET AILLEURS AU CANADA
• CAAT Pension Plan
• University Pension Plan
• Saskatchewan Pension Plan
• IAM Multi-Employer Pension Plan
• Co-operative Superannuation Society Pension Plan
• Christian Labour Association of Canada Pension Plan
• Ideal Canadian Pension Plan
Téléchargez les tableaux du Top 30 des caisses de retraite au Québec en format PDF.
• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2024 du magazine Avantages.
Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.