Une panoplie de régimes de retraite et d’avantages sociaux prévoient le paiement de prestations au « conjoint » du participant, un terme qui inclut généralement un conjoint de fait. Les administrateurs de régimes sont donc régulièrement appelés à décider si un individu a la qualité de conjoint et peut ainsi bénéficier de prestations.
Dans le cas d’individus non mariés, la qualité de « conjoint » s’établit généralement en démontrant qu’il y a eu une période de « vie maritale » ou une « relation conjugale » entre deux individus pendant au moins un à trois ans (selon le régime) précédant la date de détermination.
La jurisprudence québécoise reconnaît que la notion de « vie maritale » repose sur trois critères : 1) la cohabitation, 2) le secours mutuel, comme celui qui existe entre époux (liens sociaux, affectifs et financiers) et 3) la commune renommée. Il est essentiel de satisfaire aux deux premiers critères. Le troisième critère n’est pas essentiel, mais demeure utile pour appuyer les conclusions à l’égard des deux autres critères.
La majorité des cas peuvent être tranchés relativement aisément. Pensons par exemple aux cas de couples non mariés qui sont dans une relation conjugale traditionnelle depuis plusieurs années. Les administrateurs sont toutefois de plus en plus confrontés à des situations atypiques qui peuvent être fort difficiles à résoudre. Nous voyons de plus en plus de cas où certains facteurs militent en faveur de la reconnaissance de la qualité de « conjoint », alors que d’autres nous mènent plutôt vers la conclusion opposée.
- Deux individus semblent avoir un projet de vie commune, mais conservent des résidences séparées. Devrait- on conclure qu’il y a « cohabitation » lorsque la période de corésidence est limitée ?
- Deux individus ont une relation ouverte ou polyamoureuse ou ont des relations extraconjugales. Le projet de vie commune est- il suffisamment clair pour conclure à l’existence d’une vie maritale ? S’il y a plusieurs partenaires, lequel se qualifie comme « conjoint » ?
- Deux individus se déclarent célibataires auprès de l’administrateur, des autorités gouvernementales, de la famille, etc. jusqu’au moment de la demande de prestations. Des déclarations volontaires et répétées peuvent- elles affecter la qualification de la relation ?
Nous pouvons difficilement tirer des conclusions d’application générale puisque la réponse dépendra des circonstances de chaque affaire. Un facteur déterminant dans un cas pourrait avoir peu de poids dans un autre dossier à cause de la présence d’autres facteurs.
Parfois, la difficulté n’est pas d’établir l’existence d’une vie maritale, mais plutôt de déterminer si celle- ci a cessé avant la date de détermination. Dans ces cas- là, la jurisprudence n’exige pas que les deux conjoints mettent fin à leur relation d’un commun accord. Il faut plutôt qu’un conjoint ait une intention arrêtée de mettre fin à la relation et ait adopté une conduite conforme à cette intention. Toutes les formalités liées à une séparation (ex. déménagement) n’ont pas à être accomplies pour mettre fin à la vie maritale. Il n’en demeure pas moins que certaines situations sont ambiguës.
- Un conjoint quitte la résidence commune pendant plusieurs mois en raison d’abus physique ou psychologique, mais indique par la suite à l’administrateur que la séparation était une mesure de protection temporaire.
- Deux conjoints quittent la résidence commune et emménagent dans des résidences séparées, mais continuent de participer à des sorties, voyages, événements familiaux ensemble.
- Un conjoint quitte la résidence commune pour une hospitalisation de longue durée et les visites de l’autre conjoint sont de moins en moins fréquentes.
Ces situations posent des dilemmes importants, particulièrement lorsqu’un autre bénéficiaire ou une succession pourrait avoir droit à une prestation en l’absence de « conjoint ». Le risque de litige peut alors être élevé pour l’administrateur. Celui- ci devra être en mesure de démontrer qu’il a agi raisonnablement en suivant un processus rigoureux.
L’administrateur peut malheureusement se retrouver dans une situation délicate, car ses pouvoirs d’enquête sont limités. Contrairement aux tribunaux, l’administrateur n’a pas le pouvoir de contraindre des témoins et il ne peut pas exiger la production de documents. L’étendue et la qualité de la preuve dépend souvent de la bonne volonté des témoins de coopérer.
Si les montants en jeu et les risques sont particulièrement élevés, il peut valoir la peine de présenter une demande pour un jugement déclaratoire auprès de la Cour supérieure afin de faire trancher la question dans un cadre judiciaire.
• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2024 du magazine Avantages.
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