Aujourd’hui confrontées à des vents de face, les stratégies de superposition obligataire n’ont pas perdu de leur pertinence pour autant.

L’attrait de la superposition obligataire a pris de l’ampleur depuis 2008, en raison de l’effondrement des taux d’intérêt. Encore récemment, le regain d’appétit pour ces stratégies était soutenu par une conjoncture combinant faiblesse des taux et durée plus longue dans l’indice de référence, suggérant une sensibilité aux fluctuations de taux plus grande que dans le passé. « On se retrouve aujourd’hui avec moins de rendement obligataire et plus de risque », souligne Frédérick Demers, directeur général, solutions d’investissement multiactif à BMO Gestion mondiale d’actifs. La superposition permet de viser le rendement absolu, de faire la répartition « comme si on était à levier, mais avec un objectif de performance et moins de risque ».

Yvan Breton, membre du partenariat et chef, services délégués pour le Canada chez Mercer, y voit également beaucoup d’avantages, principalement pour les régimes à prestations déterminées (PD) recherchant un appariement élevé sans sacrifier le rendement. Concluant à l’efficacité de cette approche, notamment pour gérer la sensibilité ou la volatilité de la situation financière de la caisse de retraite, il rappelle que le passif réagit aux taux d’intérêt au même titre que le portefeuille obligataire.

« ­On ne peut pas être 100 % en obligations. Le rendement espéré serait alors très bas. Si on tend vers une répartition, disons, de 40 % d’obligations et de 60 % d’actions et de placements non traditionnels, on aura alors 40 % de notre passif couvert face aux mouvements des taux d’intérêt, mais 60 % sensible à ces mouvements. » ­Si on adhère au principe de base voulant qu’il soit extrêmement difficile de prévoir l’ampleur et les changements de direction des taux d’intérêt, une telle répartition entraîne un risque qui n’est pas compensé.

« ­Lorsqu’un risque n’est pas compensé, on cherche à le réduire ou à l’éliminer. Et on pense qu’en augmentant l’actif de croissance, on va le compenser par un rendement additionnel. Or la superposition obligataire permet de couvrir ce risque tout en maintenant notre exposition aux actifs de croissance », explique Yvan Breton. ­On visera alors à accroître le rendement espéré sans modifier la répartition en obligations.

Résumée simplement, pour un régime ­PD, la superposition apporte de la diversification et vient réduire la volatilité de la situation financière dans une approche de gestion guidée par le passif. Pour un régime à cotisation déterminée, elle aide à mieux performer.

À cette réduction du risque d’appariement ­actif-passif, ­Jean-François ­Paquin, ­vice-président, répartition d’actif à ­Trans-Canada ­Capital, filiale d’Air ­Canada, ajoute l’avantage d’une protection contre un scénario déflationniste et d’une assurance contre les événements non anticipés et hautement imprévisibles, et ce, sans sacrifier le rendement.

Des vents contraires

Si la stratégie apporte une certaine immunisation contre une baisse des taux d’intérêt et une réplique à la faiblesse des rendements obligataires, ne ­fait-elle pas face aujourd’hui à des vents contraires en raison des pressions inflationnistes et de la hausse prévisible des taux ? « ­Depuis dix ans, avec la baisse des taux, une caisse de retraite avec superposition pouvait se classer dans le premier quartile. Depuis octobre 2020, elle se retrouverait probablement dans le dernier. Mais sa position financière aura été stable », répond ­Yvan ­Breton.

«Depuis dix ans, avec la baisse des taux, une caisse de retraite avec superposition pouvait se classer dans le premier quartile. Depuis octobre 2020, elle se retrouverait probablement dans le dernier. Mais sa position financière aura été stable. »

– Yvan Breton, Mercer

Le spécialiste de ­Mercer propose de voir cela comme une police d’assurance. « ­Certes, les stratégies de superposition peuvent être moins intéressantes dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Il y aura alors un coût d’opportunité pour le portefeuille obligataire en superposition, mais le passif va diminuer, produisant alors un effet neutre. » ­Et rien n’empêche d’être plus proactif, voire tactique, de jouer avec le niveau de couverture ou, selon la conjoncture, de recourir à des obligations à rendement réel, qui se veulent plus sensibles à l’inflation.

Moins compliqué qu’avant

Si la complexité, apparente ou réelle, de ces stratégies a déjà eu un effet repoussoir chez nombre de gestionnaires et de comités de retraite, elles peuvent aujourd’hui être peu coûteuses et faciles à implanter si l’on en comprend les principes de base, affirme ­Yvan ­Breton.

Cette accessibilité est renforcée par la présence de plusieurs produits, dont des fonds négociés en Bourse venant répliquer l’indice de référence, ajoute ­Frédérick ­Demers. « ­Mais on peut aussi parler de stratégies parfois complexes, exigeant alors certaines connaissances et une capacité à évaluer les différents risques associés au titre et à l’émetteur. » À ses yeux, ces stratégies interpelleront alors davantage les investisseurs plus pointus et les plus grandes caisses, lesquelles peuvent se permettre d’engager des spécialistes leur apportant une meilleure compréhension.

Quant aux coûts afférents, « l’offre de service clés en main s’est améliorée. Ce faisant, si la gestion s’effectue à l’externe et de manière passive, elle peut être moins coûteuse », précise ­Patrick ­Duplessis, directeur principal, solutions clients et conception de portefeuilles à ­Trans-Canada ­Capital. « Toutefois, si cela est fait à l’interne, il s’agit d’une stratégie potentiellement coûteuse. Une certaine expertise est requise et l’approche exige du personnel spécialement affecté au risque lié à la gestion des produits dérivés. Si l’on applique une gestion active, il faut alors voir si l’exercice en vaut la peine selon un rapport ­coût-bénéfice. La taille de l’actif du portefeuille peut, ici, devenir une variable importante. »

« ­Les produits peuvent être complexes à gérer, ce qui nécessite le développement d’une expertise appuyée par une équipe de soutien et d’exécution très forte », ajoute son collègue ­Jean-François Paquin.

«On se retrouve aujourd’hui avec moins de rendement obligataire et plus de risque. La superposition permet de viser le rendement absolu, de faire la répartition comme
si on était à levier, mais avec un objectif de performance et moins de risque. »

 – Frédérick Demers, BMO Gestion mondiale d’actifs

Des obligations aux dérivés

Les stratégies de superposition obligataire impliquent essentiellement des obligations gouvernementales et d’entreprise. Beaucoup d’investisseurs vont aussi se tourner vers des produits obligataires à l’international. Une gestion plus active fera, dans certains cas, appel à des produits synthétiques dérivés, qui offrent une efficacité opérationnelle avec ses arbitrages plus raffinés et l’horizon d’investissement recherché. « On peut être à levier plus facilement et prendre des micropositions dans ce que le marché obligataire peut offrir », explique ­Frédérick ­Demers.

Chez ­Mercer, on préfère mettre l’accent sur les titres offrant les mêmes caractéristiques que le passif en matière de durée et d’exposition au crédit. En règle générale, les obligations fédérales et provinciales sont favorisées, les obligations de sociétés étant plus risquées et moins liquides. Certaines stratégies utilisent également des swaps ou ont recours au marché des pensions (repo market), notamment pour obtenir un effet de levier.

De son côté, ­Patrick ­Duplessis appuie sa gestion active sur « un coffre d’outils diversifié permettant des arbitrages obligataires et empruntant à une stratégie de transfert d’alpha ». Ce coffre contient aussi des dérivés venant améliorer la diversification, élargir l’accès à davantage de primes de risque, et même isoler certains risques. « L’objectif étant de s’assurer que les opérations à valeur ajoutée ne viennent pas modifier le comportement du portefeuille obligataire. »

«La superposition obligataire est une stratégie potentiellement coûteuse si elle est mise en œuvre à l’interne. Une certaine expertise est requise et l’approche exige du personnel spécialement affecté au risque lié à la gestion des produits dérivés. »

– Patrick Duplessis, Trans-Canada Capital

Bien comprendre le degré de risque

On le voit, pour le gestionnaire, l’enjeu ultime est de bien comprendre le degré de risque actif auquel il s’expose et de mesurer le niveau du levier que l’on veut employer. Ainsi, aux caisses de retraite désirant s’y aventurer, ­Yvan ­Breton suggère une implantation selon le niveau de couverture recherché. « ­Une caisse prudente peut aller jusqu’à 75 ou 80 % du risque de taux d’intérêt couvert. » Ensuite, mieux vaut y aller graduellement, le faire sur plusieurs trimestres dans un contexte de hausse des taux. Il conseille aussi d’éviter les comparaisons. « ­Une caisse de retraite s’adonnant à la superposition pourrait afficher un rendement plus volatil, mais sa position financière, elle, le sera moins. »

En bout de piste, ­parle-t-on d’une façon différente de gérer ? ­De l’avis d’Yvan ­Breton, « c’est la seule façon de gérer, mais je dirais qu’encore aujourd’hui, moins du tiers des caisses de retraite ont recours à ces stratégies ». ­Peut-être ­faut-il y voir le reflet des changements réglementaires des dernières années venues exempter le financement selon l’approche de solvabilité, réduisant ainsi la nécessité d’un appariement ­actif-passif plus serré. « ­Je pense que si plus de caisses avaient eu recours à ces stratégies de superposition, on se retrouverait aujourd’hui avec plus de régimes ­PD, et en bonne santé. »

L’EXEMPLE PROBANT D’AIR CANADA

La remise sur pied des régimes de retraite d’Air ­Canada depuis 2010 est une illustration probante de l’efficacité des stratégies de superposition obligataire. Pilotée par ­­
Trans-Canada ­Capital, l’opération de redressement a reposé sur quatre grandes étapes. D’abord, un doublement de la répartition obligataire en faisant appel à des stratégies de superposition. Puis une réduction de l’exposition aux actifs plus risqués et une augmentation de celle aux placements non traditionnels pour diversifier les sources de bêta. Le tout a été complété par des investissements dans des fonds de couverture. « ­On a joué pleinement la carte de la superposition obligataire, explique ­Patrick ­Duplessis. Ça a très bien fonctionné. La volatilité de la situation financière du régime a grandement diminué. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2021 du magazine Avantages.
Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site web
.