Les gestionnaires de caisses de retraite espèrent depuis des années que les taux d’intérêt aient enfin atteint leur niveau plancher. Sauf que l’adage qui veut que tout ce qui descende finisse par remonter ne semble pas vraiment s’appliquer aux rendements obligataires à long terme. Et ce n’est certainement pas la crise causée par la COVID-19 qui va améliorer la situation. Comment les promoteurs doivent-ils maintenant positionner leur portefeuille de revenu fixe dans un univers de taux «encore plus bas»?

Au 31 juillet dernier, le taux des obligations 7 ans du gouvernement du Canada s’établissait à 0,35 %, alors que celui des obligations à long terme n’affichait guère mieux : 0,95 %. « Même si ça fait des années qu’on dit qu’on a atteint un plancher historique, les taux ont continué de descendre constamment », soulignait Danny Martin, chef de la pratique des placements et de la gestion des risques chez Eckler, lors d’un webinaire de l’International Foundation of Employee Benefits Plans au mois de septembre.

Rien ne laisse présager que cette situation soit temporaire. Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a prévenu les investisseurs que les taux resteront bas pour une période prolongée. « On veut éviter un taux d’inflation trop faible causé par un niveau de consommation trop bas », indique Danny Martin.

Pour les caisses de retraite, cette perspective n’a évidemment rien de réjouissant. En plus de plomber les attentes de rendement des titres à revenu fixe à long terme, les politiques monétaires extrêmement accommodantes font gonfler leur passif actuariel. « Une proportion importante des stratégies de placement dans les caisses de retraite sont basées sur les taux, qu’il s’agisse de titres à revenu fixe, de dette privée, d’immobilier ou d’infrastructure », poursuit l’actuaire.

S’éloigner de la courbe de taux

Comme il devient de plus en plus difficile pour les régimes de retraite de dégager de la valeur avec les titres à revenu fixe seulement en agissant sur la courbe de taux, Danny Martin invite ceux-ci à diversifier leur portefeuille obligataire en greffant des mandats plus spécifiques à leur stratégie de base. Les mandats core plus, qui consistent en des stratégies diversifiées complémentaires à l’indice de référence univers ou long terme, « ont le potentiel de générer du rendement avec une moins grande exposition au risque que les actions », soutient-il.

Dans les mandats core plus, les gestionnaires ont davantage de latitude pour sélectionner les stratégies complémentaires en fonction de l’évolution des marchés. Bref, pour investir dans les bonnes catégories de titres à revenu fixe au bon moment, explique Danny Martin.

La composante plus peut notamment inclure des obligations de société, des obligations à haut rendement, de la dette des marchés émergents, des prêts bancaires, des maple bonds (obligations émises en dollars canadiens par des sociétés étrangères), des hypothèques, de la dette privée ou encore des actions privilégiées.

Les stratégies d’investissement guidé par le passif sont elles aussi affectées par les taux d’intérêt toujours plus bas. Ces stratégies comportent généralement des mécanismes de taux déclencheurs, c’ est-à-dire des seuils indiquant qu’il est peut-être temps d’accroître la répartition en obligations et d’allonger la durée du portefeuille. « Ces stratégies d’IGP ont souvent été mises en place il y a 5 ou 10 ans, alors que les taux n’étaient pas aussi faibles. Il peut être pertinent aujourd’hui de réviser à la baisse les taux déclencheurs », estime Danny Martin.

Les placements non traditionnels, encore et toujours

Pour pallier les faibles rendements obligataires attendus à long terme, les caisses de retraite peuvent aussi envisager d’augmenter leur exposition à des actifs non traditionnels moins liquides qui, comme les titres à revenu fixe, génèrent des revenus courants.

Il y a néanmoins plusieurs éléments à prendre en considération avant de troquer des obligations publiques pour des actifs illiquides, prévient Menahem Lousky, conseiller principal, investissement chez Eckler. Outres les enjeux de liquidités, les régimes de retraite doivent notamment anticiper des besoins plus grands en matière de revue diligente et de gouvernance. « Les clauses peuvent être très différentes d’un contrat à l’autre. C’est primordial d’être bien au courant des spécificités de chacune des catégories d’actif pour éviter les surprises », mentionne-t-il.

Dans les catégories d’actif très peu liquides, les effets réels de la crise de la COVID-19 mettront davantage de temps avant de se matérialiser, ajoute-t-il.

« Une proportion importante des stratégies de placement dans les caisses de retraite sont basées sur les taux, qu’il s’agisse de titres à revenu fixe, de dette privée, d’immobilier ou d’infrastructure. »

– Danny Martin, Eckler

Cela dit, la pandémie a créé des occasions dans certaines catégories d’actif, particulièrement dans la dette privée. « Les changements réglementaires des dernières années font en sorte qu’il est plus complexe pour les banques de prêter rapidement de l’argent aux sociétés privées, ce qui a ouvert la voie aux gestionnaires de dette privée », explique Menahem Lousky.

Gérer le risque de crédit

Malgré l’ampleur de la crise de la COVID‑19, les écarts de crédit dans le marché des obligations de société de haute qualité (cotes BBB à AAA) ont été bien moins grands que lors de la crise de 2008. La raison : un assouplissement monétaire beaucoup plus rapide de la part de la Banque du Canada et de la Réserve fédérale américaine, affirme Nicolas Desjardins, gestionnaire de portefeuille à Canso Investment Counsel.

« En 2008‑2009, les banques centrales ont dû créer de nouveaux outils pour faire face à la crise. Cette année, ces outils étaient déjà prêts à être déployés. »

Lors d’une autre conférence virtuelle de l’International Foundation of Employee Benefits Plans, il a rappelé que l’écart de crédit entre les obligations de société de haute qualité et les obligations du gouvernement du Canada dépassait les 350 points de base en 2008. Lors de la crise au printemps dernier, l’écart de crédit pour ces mêmes titres n’a pas franchi les 260 points de base, comparativement à environ 110 en 2019, plus ou moins la moyenne historique des 30 dernières années.

Aux États‑Unis, ces écarts de crédit ont atteint 600 points de base en 2008‑2009, par rapport à environ 400 au début de la crise de la COVID‑19, au printemps dernier.

Pour démontrer l’impact majeur que de tels écarts peuvent avoir sur le portefeuille de crédit des caisses de retraite, Nicolas Desjardins a analysé les obligations à très long terme émises par ExxonMobil en décembre 2019. Ces titres, cotés AA, ont un coupon d’un peu plus de 3 % et viennent à échéance en août 2049

Lorsqu’elles ont été émises à la fin de 2019, l’écart de crédit avec les obligations du gouvernement américain se chiffrait à 70 points de base, avant de grimper à 240 points de base au mois de mars. Après l’intervention de la Fed, l’écart est redescendu à 150 points de base. « Un investisseur qui a été en mesure d’acheter le titre au creux de 82 $ et de le vendre à la fin août, à 105 $, a obtenu un rendement de 30 % », signale Nicolas Desjardins.

Investir dans les obligations de société n’a donc rien d’un long fleuve tranquille. Pour se protéger des risques inhérents à cette catégorie d’actif, le gestionnaire de portefeuille conseille l’utilisation d’options, de contrats à terme ou de contrats d’échange sur risque de défaillance (credit default swap). « Il faut quand même accepter de prendre un certain niveau de risque. Si on couvre tout, on annule toute possibilité de rendement », prévient-il.

Encore des occasions favorables ?

Même si les écarts de crédit se sont resserrés depuis le printemps, Nicolas Desjardins juge qu’il reste encore des occasions à saisir dans l’univers du crédit aux sociétés. La prise de risque doit néanmoins être adéquatement rémunérée, insiste-t-il. « Si les écarts de crédit sont de seulement 350 points de base pour les obligations à rendement élevé, ce n’est pas le temps d’investir, à mon avis. Elles sont trop coûteuses, mieux vaut alors se tourner vers des titres détenant des cotes de crédit plus élevées. Par contre, lorsque les écarts dépassent les 550 points de base, ça devient beaucoup plus intéressant. »

Sauf qu’en temps d’incertitude économique, les écarts de crédit peuvent s’élargir et se resserrer en un court laps de temps. « On peut accorder davantage de discrétion à ses gestionnaires dans l’application de la politique de placement pour qu’ils soient en mesure de prendre avantage des dislocations dans les marchés. Avec des rencontres aux trois mois, on manque des occasions. »

« Il faut quand même accepter de prendre un certain niveau de risque. Si on couvre tout, on annule toute possibilité de rendement. »

– Nicolas Desjardins, Canso Investment Counsel


• Ce texte a été publié dans l’édition de Novembre-décembre 2020 du magazine Avantages. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.