Conférence Régimes collectifs & santé au travail

Lors de son grand retour en présentiel après trois éditions virtuelles, la conférence Régimes collectifs & santé au travail a été l’occasion pour les différents intervenants de l’industrie des avantages sociaux de partager leurs points de vue et leurs inquiétudes sur des sujets aussi variés que la santé des femmes, les médicaments anti-obésité ou encore l’équité, la diversité et l’inclusion. Voici les faits saillants de cet événement, qui s’est tenu au Windsor à Montréal le 12 octobre dernier.

Travailler ensemble pour la santé des femmes

Plusieurs secteurs de l’économie, comme la santé, l’éducation et le commerce de détail, sont encore à prédominance féminine et on constate des inégalités ­hommes-femmes, notamment en matière de soins de santé offerts aux travailleurs. Ces inégalités sont d’abord liées à la prévalence et la fréquence de certaines maladies. « ­On sait que les hommes sont plus à risque de souffrir de maladies cardiaques, mais les femmes sont plus à risque d’en décéder », indique ­Valérie ­Legendre, directrice, solutions en santé mentale à la ­Sun ­Life.

Les inégalités de soins sont également liées à une mauvaise compréhension des problèmes de santé qui sont spécifiques aux femmes. « ­Pas moins de 23 % des femmes vont souffrir de dépression ­post-partum, mais seulement 30 % d’entre elles auront accès à un traitement », déplore ­Valérie Legendre. Aussi, on constate des iniquités concernant la compréhension de certaines manifestations cliniques. « Certains symptômes sont dits « atypiques », parce qu’ils ne correspondent pas aux standards créés par la médecine, qui n’a fait des expérimentations que sur des hommes. Ainsi, lorsqu’une femme consulte à l’urgence avec ces symptômes, elle se fait souvent dire qu’elle fait du reflux gastrique ou qu’elle souffre d’anxiété. »

Par ailleurs, on constate des inégalités dans l’accès aux services de santé et leur utilisation. Les raisons évoquées sont le manque de représentation des femmes dans la recherche médicale (seulement 1,2 % des chaires de recherche au ­Canada étudient la santé des femmes), certains biais dans les diagnostics et les traitements, et les préjugés.

En ce qui concerne la santé mentale, on observe que la hausse des demandes d’invalidité de longue durée chez les femmes se poursuit toujours deux ans après la pandémie, alors qu’elle a atteint un plateau chez les hommes. Dès lors, Valérie ­Legendre énumère trois recommandations aux organisations pour améliorer la santé des femmes au travail : augmenter les montants maximums disponibles pour la couverture des soins psychologiques ou auprès de professionnels en santé mentale, donner accès à des soins virtuels globaux et intégrés et ajouter une couverture pour les services et les médicaments liés à la fertilité.

«On sait que les hommes sont plus à risque de souffrir de maladies cardiaques, mais les femmes sont plus à risque d’en décéder. »

Valérie ­Legendre tient aussi à aborder la ménopause, qui s’accompagne de préjugés et d’incompréhension. « ­Beaucoup de gens, y compris des employeurs, ignorent encore l’impact de la ménopause dans les milieux de travail, ­constate-t-elle. Il y a plus de cinq millions de femmes âgées de plus de 40 ans sur le marché du travail. Les employeurs n’ont pas le choix de considérer cet aspect dans les programmes de soutien des régimes de garanties collectives et dans l’étendue des couvertures qui seront proposées. » ­Elle recommande notamment des activités d’éducation et de sensibilisation, davantage de flexibilité au travail, des soins émotionnels et physiques ainsi que des congés additionnels.

Favoriser l’équité dans l’accès au bien-être

Le ­Dr ­Carl-Philippe ­Larose pratique la médecine dans des milieux très différents : en virtuel avec Teledoc ­Health ­Canada, dans des milieux favorisés et défavorisés et même dans le ­Grand ­Nord. « ­La santé mentale, c’est environ 30 % de ma pratique et 80 % des arrêts de travail que je signe », ­dit-il. Et lorsque les gens ne se sentent pas écoutés par leur employeur, les problèmes sont plus graves. » ­Selon son constat, les patients qui ne bénéficient pas d’un service d’aide en santé mentale offert par l’employeur sont en arrêt de travail plus longtemps.

Le médecin soulève aussi des enjeux d’équité dans les soins de santé. « ­Au ­Québec, qui a le plus de chance de se sortir d’un cancer ? ­Celui qui habite à Montréal ou celui qui habite à ­Havre-Saint-Pierre ? ­questionne-t-il. C’est celui qui a le ­CHUM à côté de chez lui, avec des traitements de radiothérapie ! La réalité, c’est que nous avons un gros territoire géographique avec des soins très épars. Cela fait en sorte qu’on a un manque d’équité par rapport au territoire, un manque d’équité par rapport au revenu et un manque d’équité du point de vue culturel. » ­Et même si 42 % des entreprises se sont engagées à mettre en place un plan pour assurer l’équité, la diversité et l’inclusion en 2022, il s’agit d’une baisse de 5 % par rapport à 2021. « ­Parce que c’est difficile de mettre une politique claire en place », ­admet-il.

Néanmoins, les effets de ces politiques sont observables. « ­La moitié des démissions ou des changements d’emploi dans les dernières années sont liés au fait que les employés ne se sentent pas écoutés ou intégrés, ­souligne-t-il. On voit une corrélation évidente entre les politiques qui favorisent la diversité et l’équité, et l’engagement des employés à rester au travail. »

Une stratégie solide commence par des soins de santé efficaces. « ­Les soins virtuels sont un avantage incroyable pour les troubles de santé mentaux, notamment parce qu’ils réduisent le temps d’attente, souligne le ­Dr ­Larose. La moitié des Canadiens attendent au moins un mois avant d’avoir accès à des soins de santé mentale, et 10 % attendent quatre mois. Cela peut conduire à l’automédication ! » ­De plus, le numérique donne accès à des soins précis et des ressources qui répondent à la réalité du patient, et dans sa région. « ­Depuis le début de la pandémie, 40 % des personnes autochtones ont présenté des symptômes de dépression. Les soins virtuels sont un gros moteur d’équité, ­indique-t-il. Sans compter qu’ils offrent aussi une sécurité en présence de cas graves. »

«La santé mentale, c’est environ 30 % de ma pratique et 80 % des arrêts de travail que je signe. »

Le présentéisme, face cachée de l’absentéisme

Desjardins ­Assurances a dévoilé en juillet les résultats d’une étude sur l’absentéisme et le présentéisme. « ­Il y a dix ans, ­Statistique ­Canada avait indiqué que le coût de l’absentéisme s’élevait à 17 milliards de dollars par année, relève William Lindsay, conseiller principal en gestion et prévention des invalidités chez ­Desjardins Assurances. Et c’est juste la pointe de l’iceberg parce que, sous l’eau, il y a le présentéisme, soit le fait qu’un employé travaille malgré le fait de souffrir de problèmes de santé physique ou mentale qui mériteraient de prendre une journée ou deux de repos. C’est difficile à quantifier. »

Le présentéisme coûterait trois fois plus cher que l’absentéisme et aurait été responsable de 11 journées d’absence par employé en 2022. « Pourtant, seulement 4 % des organisations suivent le phénomène », déplore ­William ­Lindsay, qui insiste pour qu’on n’associe pas le problème à un manque de motivation, un désengagement ou de la paresse. « ­Et les employeurs encouragent un peu le présentéisme lorsqu’ils disent à l’employé malade de rester travailler de la maison ! »

Parmi les raisons du présentéisme, les problèmes de santé mentale arrivent en troisième position. « Ils sont responsables de 25 % de présentéisme, contre 12 % d’absentéisme, observe ­William ­Lindsay. Deux employés sur trois ne considèrent pas que la santé mentale est une raison valable de prendre une journée de congé. Après tous les efforts mis par les organisations et la santé publique pour sensibiliser à l’importance de la santé mentale auprès des Canadiens, c’est une statistique surprenante, et même décevante ! »

La politique d’absentéisme en place, les obligations familiales, les maladies chroniques et l’historique d’invalidité sont parmi les facteurs de risque du présentéisme. « L’absentéisme, le présentéisme et la santé mentale sont étroitement liés et leurs relations changent selon les différents facteurs personnels et organisationnels », note ­William Lindsay. Parmi ses recommandations : être capable d’identifier les symptômes de l’employé qui fait du présentéisme, utiliser les régimes collectifs comme levier (soins virtuels, cliniques de sommeil, etc.), mettre de l’avant la culture d’entreprise (principes d’équité, de diversité et d’inclusion) et réduire les barrières pour prendre une journée de congé quand ça va moins bien. « ­Les congés de maladie, il faut les voir comme une absence productive, suggère William Lindsay. C’est quelque chose qui peut prévenir l’absentéisme et même l’invalidité. »

«Les employeurs encouragent un peu le présentéisme lorsqu’ils disent à l’employé malade de rester travailler de la maison ! »

Une saine gestion des médicaments anti-obésité

Les dernières années ont marqué un tournant dans le traitement de l’obésité. « ­En 2015, l’obésité a été reconnue comme une maladie et en 2020 elle a été reconnue comme une maladie chronique, rappelle ­Philippe ­Laplante, directeur chez ­Eckler. Dès lors, on s’éloigne de l’idée que c’est purement cosmétique, on amène de la bienveillance et on commence à réfléchir à comment on pourrait aider les gens qui en souffrent. »

D’autant plus que l’obésité exacerbe souvent les risques de comorbidité (diabète, apnée du sommeil, hypertension, asthme, etc.). « ­Le régime d’assurance peut donc couvrir un ensemble de traitements pour aider les participants, comme la nutrition, l’ergothérapie, les services de professionnels en activité physique, la thérapie ­cognitivo-comportementale ou la pharmacothérapie », précise ­Philippe Laplante.

Les coûts des traitements médicamenteux sont relativement élevés, soit environ 4 500 $ par année par patient. Les promoteurs de régime doivent donc être bien conseillés afin de prendre les bonnes décisions. Philippe ­Laplante recommande de considérer les raisons d’un remboursement, les traitements offerts sur le marché, les conditions de remboursement et le ratio ­coût-bénéfice. « ­Les molécules ­anti-obésité ne sont pas remboursées par la ­RAMQ mais apportent une bonne amélioration de la qualité de vie, nuance ­Philippe ­Laplante. Il y a aussi une rentabilité possible puisque, à long terme, elles peuvent aider à réduire d’autres maladies. »

Tous les assureurs n’exigent pas la préautorisation. « ­Certains disent qu’il y a trop de préautorisations à gérer, mais cela permet de s’assurer que ces molécules ne sont pas utilisées par des personnes qui veulent perdre du poids et n’ont aucun problème de santé, fait observer ­Philippe ­Laplante. On peut aussi passer par l’IMC et les comorbidités. »

Certains outils permettent d’estimer, selon la démographie du groupe, le nombre de personnes qui ont un trouble d’obésité, ce qui permet d’évaluer les coûts à court terme.

Repenser la couverture vaccinale

La pandémie a mis les vaccins au cœur de l’actualité, mais pas tous. Repenser la couverture vaccinale dans les régimes privés peut s’avérer utile, estime la ­Dre Dominique Tessier, médecin de famille, santé voyage et vaccination générale à la Clinique médicale du ­Quartier ­Latin. « ­On peut prévenir des cancers, des maladies cardiovasculaires avec des vaccins. On peut réduire le risque d’accident vasculaire cérébral et on peut prévenir des épidémies dans des milieux de travail, ­dit-elle. On sait depuis longtemps que les maladies infectieuses sont une cause très importante de décès, mais aussi de morbidité et de comorbidité qui surviennent à la suite de ces maladies. »

D’ailleurs, la ­Dre ­Tessier signale que 10 % des personnes touchées par la grippe, le virus respiratoire syncytial ou la ­COVID-19 n’auront pas, six mois après l’infection, retrouvé leur niveau de capacité initial d’avant l’infection. « ­De toutes les mesures de santé publique mises en place au Canada, aucune ne sauve autant de vies que la vaccination, ­rappelle-t-elle. C’est vraiment un investissement rentable ! »

Il existe actuellement 17 vaccins offerts aux Canadiens, en dehors des vaccins santé voyage, qui peuvent protéger les personnes à risque, mais aussi réduire les risques de contamination et éviter l’absentéisme, les hospitalisations et les coûts secondaires. « ­Les personnes immunodéprimées ou à risque de le devenir sont très susceptibles d’avoir des complications, fait remarquer la ­Dre ­Tessier. Beaucoup de problèmes médicaux, comme les cancers, vont conduire à des traitements qui affaiblissent temporairement ou de façon permanente le système immunitaire. Les greffes et d’autres maladies augmentent les risques d’immunosuppression. Et la liste des personnes qui ont déjà un système immunitaire affaibli par des comorbidités est longue ! »

Pour Frédéric Leblanc, leader stratégique en programmes de médicaments à iA ­Groupe financier, il n’est pas logique de rembourser des traitements pour la pneumonie, mais pas nécessairement pour la prévention. « ­Certaines populations à risque pourraient bénéficier d’une meilleure couverture de vaccination », ­mentionne-t-il.

«De toutes les mesures de santé publique mises en place au Canada, aucune ne sauve autant de vies que la vaccination. C’est vraiment un investissement rentable ! »

On constate toutefois une augmentation de la couverture vaccinale. « ­On est passé de 45 % à 53 % de nos groupes qui l’offrent, se réjouit ­Frédéric ­Leblanc. Cela représente entre 0,92 % et 0,95 % des dépenses totales en assurance médicaments. C’est une dépense qui mérite d’être couverte au même titre que les traitements d’autres maladies chroniques. »

La culture organisationnelle plus importante que jamais

La conférence ­Régimes collectifs & santé au travail 2023 s’est conclue avec un panel de discussion en lien avec les résultats du ­Sondage sur l’avenir du travail de ­Benefits ­Canada et ­Avantages publié plus tôt cette année. ­Celui-ci s’est notamment intéressé au rôle des politiques de ressources humaines dans l’attraction et la fidélisation du personnel. Les résultats montrent que 44 % des employeurs estiment que leurs principaux problèmes en matière de ressources humaines avaient changé au cours des dernières années. Près de 61 % des répondants citent le maintien de l’engagement des salariés comme leur principal problème, suivi de la fidélisation (57 %) et de l’attraction du personnel (55 %).

Claire ­Guichard, ­vice-présidente des ressources humaines au ­Canada chez ­Schneider ­Electric, affirme que les priorités de l’entreprise française en matière de ressources humaines n’ont pas changé au cours des dernières années, mais se sont accélérées. « ­Le salarié est encore plus au cœur des décisions, ­dit-elle. Il sait ce qu’il ne veut plus. Il y a un aspect mission que l’entreprise doit mettre de l’avant. »

Carlee ­Bartholomew, ­vice-présidente régionale, assurance collective à ­RBC ­Assurances, constate que les employeurs se penchent beaucoup, actuellement, sur les avantages sociaux offerts aux employés. « ­Un employé qui a accès à un régime d’avantages sociaux se dit que son employeur se soucie de lui, se sent plus soutenu quant à la gestion de sa vie personnelle et est encore plus engagé lorsqu’il est au travail », ­mentionne-t-elle. « ­On a évolué énormément, ajoute ­Claire ­Guichard. La télémédecine, le traitement de l’infertilité, la flexibilité avec les congés sont parmi les améliorations que nous avons apportées. »

«Un employé qui a accès à un régime d’avantages sociaux se dit que son employeur se soucie de lui, se sent plus soutenu quant à la gestion de sa vie personnelle et est encore plus engagé lorsqu’il est au travail. »

Près de la moitié des employeurs qui ont participé au sondage ont déclaré que le développement et le maintien de la culture organisationnelle est un défi critique. « L’employeur doit se poser des questions pour rendre l’environnement de travail plus inclusif et mieux répondre aux besoins des travailleurs en matière de santé financière et de santé mentale », croit ­Carlee ­Bartholomew.


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2023 du magazine Avantages.
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