Les restrictions sanitaires en place depuis maintenant un an ont forcé des millions d’employés de bureau à faire du télétravail. Le phénomène du présentéisme n’a pas disparu pour autant, loin de là. Il est simplement passé du bureau à la maison.

Le présentéisme se définit par le fait de se présenter au travail malgré des problèmes de santé ou des préoccupations psychologiques qui affectent le rendement du travailleur.

« ­Le présentéisme peut prendre plusieurs formes », explique ­Caroline ­Biron, professeure titulaire à l’Université ­Laval et directrice du ­Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail. « ­Il y a des gens qui passent de longues heures au travail de peur de perdre leur emploi. Depuis les années 90, le concept a évolué. On décrit maintenant le présentéisme comme le fait de travailler malade. »

Les études démontrent que le fait de travailler alors qu’on est malade est néfaste pour la santé. Pourtant, le travail peut aussi être bénéfique. Les gens qui occupent un emploi sont en meilleure santé mentale et physique que ceux qui ont perdu leur travail. « ­Par contre, on ne dit pas aux gens qu’il faut travailler envers et contre tout. Il faut parvenir à trouver un équilibre entre le travail et la santé. Il se peut que l’absence devienne une solution justifiée », commente ­Mme ­Biron.

La spécialiste souligne que beaucoup se définissent par leur travail. « ­On se demande si c’est toujours négatif de travailler malade ou si ça peut être positif dans certaines circonstances. Pendant cette pandémie, le présentéisme, à certains égards, peut être thérapeutique. S’installer pour travailler, avoir une routine, c’est plutôt salutaire en période de confinement, même si on travaille à la maison. Quelqu’un qui a des problèmes personnels peut être moins performant au travail, mais tout de même retirer des bénéfices de continuer à travailler, notamment pour penser à autre chose. »

«Pendant cette pandémie, le présentéisme, à certains égards, peut être thérapeutique. S’installer pour travailler, avoir une routine, c’est plutôt salutaire en période de confinement, même si on travaille à la maison. Quelqu’un qui a des problèmes personnels peut être moins performant au travail, mais tout de même retirer des bénéfices
de continuer à travailler, notamment pour penser à autre chose. »

– Caroline Biron, Université Laval

Difficile de détecter les problèmes

Mme ­Biron ne constate pas vraiment de différence entre le présentéisme au bureau et à la maison. « ­Je peux tout aussi bien travailler malade dans les deux cas. Par contre, c’est plus difficile de détecter l’état de santé de ses employés en télétravail. En ce moment, des gestionnaires voient apparaître le nom de l’un de leurs employés sur la liste des absents sans qu’ils n’aient rien vu venir. »

Le gestionnaire ­lui-même peut avoir des problèmes et se sentir débordé, poursuit ­Caroline ­Biron. « ­Le présentéisme n’est pas seulement l’apanage des employés, il peut aussi toucher les cadres. C’est essentiel en télétravail de prendre quelques minutes pour faire le tour des travailleurs et leur demander comment ils vont. C’est aussi plus important que jamais de souligner leurs bons coups. »

LES TÂCHES MONOTONES FAVORISENT LE PRÉSENTÉISME

L’absence d’autonomie et de latitude décisionnelle pousse les employés à se présenter au boulot lorsqu’ils ne sont pas vraiment en état de travailler, a conclu en 2019 une étude française publiée par le ­Centre d’études de l’emploi et du travail. Au contraire, les employés qui réalisent des tâches « jamais monotones », qui apprennent souvent des choses nouvelles et dont le travail est reconnu sont davantage à l’abri du présentéisme. Les perspectives de promotion intéressante et la stabilité d’emploi sont également des facteurs positifs, tout comme le soutien des collègues et du gestionnaire, qui a pour effet de limiter la durée du présentéisme. Lorsque ces conditions sont réunies, les travailleurs ont davantage tendance à tout simplement s’absenter lorsqu’ils sont malades, plutôt que de se présenter au travail et être inefficaces.

Besoin de repos

Depuis le début de la pandémie, la conseillère en orientation ­Krystel ­Raymond, qui pratique en ­Abitibi, a reçu plusieurs travailleurs lui disant vouloir changer de carrière. « ­En les questionnant, je me rends compte que plusieurs d’entre eux ont plus besoin d’un repos que d’un changement de carrière. Ils font du présentéisme, ce qui les amène à moins aimer leur travail. La pandémie a accentué la problématique du présentéisme, c’est clair. »

Mme ­Raymond insiste sur la distinction entre le présentéisme et la procrastination. « ­Dans le premier cas, le rendement est affaibli parce que l’employé n’est pas en état physique et/ou mental pour être efficace. Le stress et l’anxiété sont évidemment des facteurs contributifs au présentéisme qui sont amplifiés par la pandémie et le télétravail. Les gens ne sont pas en mesure d’offrir leur plein potentiel dans leur emploi. »

Facteurs anxiogènes

Plusieurs facteurs anxiogènes affectent aussi les employés, que ce soit le fait de travailler à la maison avec la famille ou la peur de perdre leur emploi en raison de la situation économique liée à la pandémie. « ­Il a fallu apprendre à travailler avec la présence des enfants à la maison. Il ne faut pas oublier non plus la perte de la socialisation avec les collègues et dans la vie en général. La pandémie affecte beaucoup notre vie sociale et certains vivent cela plus difficilement que d’autres. Il faut que les employeurs mettent en place des mesures d’accompagnement et les fassent connaître », souligne ­Krystel ­Raymond, qui recommande au moins une rencontre par semaine par visioconférence entre gestionnaires et travailleurs de manière à favoriser le sentiment d’appartenance.

« ­Sans contact, il est facile de perdre la valeur du travail. Il faut aussi être capable de décrocher, de se créer une routine et de prendre des pauses, même si on télétravaille. Et le plus important, apprendre à se déconnecter. Quand on travaille à la maison, on peut avoir l’impression d’être tout le temps au boulot », ajoute ­Mme ­Raymond.

Écoute et bienveillance

Les assureurs sont bien conscients de la croissance des problèmes de santé mentale dans les milieux de travail. « C’est évident qu’il y a une hausse du présentéisme depuis le début de la pandémie, dans les milieux qu’on assure », affirme ­Brigitte ­Marcoux, directrice nationale, expertise ­mieux-être à ­Beneva, entreprise née du regroupement de ­SSQ ­Assurance et de ­La ­Capitale. « ­Les signaux sont clairs : 38 % des employés font du télétravail, et les prescriptions d’antidépresseurs ont grimpé de 11 % au ­Québec entre avril et septembre 2020. »

Mme ­Marcoux, qui précise que les effets du présentéisme sont plus importants que ceux de l’absentéisme, estime que les solutions les plus efficaces sont généralement les plus simples à mettre en place au sein des organisations. « ­Il faut favoriser l’utilisation des ressources d’aide déjà présentes dans les entreprises. Porter attention à nos employés ou nos collègues et ne pas hésiter à demander aux gens comment ils vont. »

Le plus grand levier de prévention demeure la bienveillance et l’écoute active, ­ajoute-t-elle. « ­Nous sommes tous touchés par la situation. La première chose que doit faire un employeur, c’est de recenser les mesures de soutien que l’entreprise offre déjà. Elles sont généralement éparpillées. Il faut en faire un coffre à outils facilement accessible pour les travailleurs. »

Au début avril, la ­SSQ a mis en place une ligne téléphonique ­Aide-COVID pour tous ses assurés. « ­On note une diminution de 24 % de la détresse psychologique chez les utilisateurs, et une hausse de 12 % de la bienveillance », rapporte ­Mme ­Marcoux.

Le monde du travail a bien changé depuis les années 1990, alors que la principale préoccupation des employeurs et des assureurs concernant la santé des employés était les maux de dos. « ­Aujourd’hui, ce sont les problèmes de santé mentale, ­assure-t-elle. On risque de devoir vivre avec les répercussions du confinement chez nos étudiants actuels lorsqu’ils feront leur entrée sur le marché du travail. Ça va laisser des séquelles. Les employeurs devront être de plus en plus attentifs au volet humain. Ces ­jeunes-là vont avoir besoin d’un équilibre entre le virtuel et le contact humain ».

Le télétravail modifie les relations de travail

Pour le président et chef de la direction du ­Conseil du patronat, ­Karl ­Blackburn, le télétravail vient changer complètement les relations de travail. « ­Les employeurs ont un rôle important à jouer pour que leurs employés soient bien en télétravail et éviter des cas de présentéisme, plus difficiles à déceler quand les gens travaillent à distance. C’est pour cela que les gestionnaires doivent être choisis pour des qualités différentes aujourd’hui.

«C’est évident qu’il y a une hausse du présentéisme depuis le début de la pandémie. Les signaux sont clairs : 38 % des employés font du télétravail, et les prescriptions d’antidépresseurs ont grimpé de 11 % au ­Québec entre avril et septembre 2020. »

– Brigitte Marcoux, Beneva

89 % des employés se sont déjà rendus au travail alors qu’ils étaient malades

54 % d’entre eux disent faire du présentéisme parce qu’ils ont trop de travail à accomplir

33 % ne veulent pas utiliser une journée de congé de maladie

Source : Robert Half

Auparavant, on voulait des gestionnaires très axés sur le côté technique du travail. Maintenant, on opte pour des gens ayant une meilleure aptitude pour la socialisation », mentionne-t-il.

M. Blackburn estime que le principal défi est de parvenir à créer une bonne cohésion entre la direction et les employés. « ­Le rôle des gestionnaires exige davantage de qualités humaines. Cela va de soi qu’il y a des éléments de santé et de sécurité qui deviennent encore plus importants en télétravail. Il faut prendre le pouls des employés régulièrement, établir un mode de communication efficace et rehausser les compétences sociales des gestionnaires. »

Respecter le droit à l’erreur

Parmi les secrets de la réussite, M. Blackburn parle du droit à l’erreur dont devraient pouvoir bénéficier tous les employés pour diminuer leur stress, particulièrement en télétravail. « ­Il faut que les travailleurs se sentent impliqués, même à distance. Il faut prévoir des rencontres ­employé-gestionnaire, mais aussi des rencontres entre employés. Des employés qui se sentent impliqués sont généralement plus productifs et développent moins de problèmes liés au présentéisme », ­indique-t-il.
M. Blackburn ajoute que la direction doit vraiment maintenir le lien avec le personnel. Elle doit poser des gestes pour soutenir ses gestionnaires dans la façon de communiquer avec les employés. « ­Le contexte de crise causé par la pandémie amène son lot d’inquiétude et d’insécurité. Il est important de prendre les mesures nécessaires pour bien accompagner les travailleurs. »

Le ­Conseil du patronat estime que la pénurie de ­main-d’œuvre demeure le principal problème pour les entreprises, et qu’elle a des conséquences sur les salariés en poste. « ­Nous avons vécu les effets négatifs de la ­Prestation canadienne d’urgence (PCU), alors que certaines personnes préféraient rester à la maison, ce qui a eu pour effet de surtaxer les autres employés », conclut M. Blackburn.


• Ce texte a été publié dans l’édition de Mars 2021 du magazine Avantages.
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