Les entreprises ont longtemps cherché à limiter l’absentéisme en valorisant la présence au travail, sans se soucier d’un phénomène plus important et tout aussi préoccupant : le présentéisme.

Non identifié dans la plupart des entreprises, le présentéisme préoccupe de plus en plus de gestionnaires puisqu’il est non seulement lié à une perte de productivité, mais également annonciateur d’absentéisme. Cette présence au travail d’employés qui ne sont pas en état de donner leur plein rendement s’avère plus importante qu’on aurait pu l’imaginer. De récentes études ont sonné l’alarme, mais les gestionnaires se sentent encore démunis face à ce phénomène qu’ils ne savent comment identifier. Comment détecter, éviter ou réduire le présentéisme ? Des experts ont accepté de partager leurs analyses et pistes de solutions.

Portrait d’un problème méconnu

De nombreux gestionnaires ignorent encore l’existence du présentéisme ou ne savent pas réellement de quoi il s’agit. « Quelqu’un qui va sur Facebook pendant son travail ne fait pas du présentéisme », prévient Éric Gosselin, professeur titulaire en psychologie du travail et des organisations à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Le présentéisme se caractérise par le comportement du travailleur qui, malgré des problèmes de santé physiques ou psychologiques nécessitant une absence, persiste à se présenter au travail », précise-t-il.

Le présentéisme n’est pas un phénomène nouveau, mais de récentes études ont permis de mesurer son ampleur. Une enquête menée en 2015 par Morneau Shepell auprès d’employés, d’employeurs et de médecins de partout au Canada a révélé que huit répondants sur dix ont déjà fait du présentéisme, et que 81 % d’entre eux se sont déjà rendus au travail alors qu’ils étaient incapables de fournir un rendement aussi bon qu’ils l’auraient souhaité. D’autres études ont permis de constater que le présentéisme est plus important que l’absentéisme. L’étude publiée en 2011 par Gary Johns de l’école de gestion John-Molson de l’Université Concordia, et menée auprès de 444 diplômés d’écoles de commerce occupant différents emplois, rapporte une moyenne de trois jours de présentéisme par année et de 1,8 jour d’absentéisme.

Les causes du présentéisme sont de deux natures, soit les problèmes de santé physiques et psychologiques. « Plus de la moitié des absences au travail sont causées par des motifs psychologiques, ce qui nous amène à considérer qu’il y a probablement plus de présentéisme pour des raisons de santé mentale, souligne Éric Gosselin. Les problèmes de santé psychologiques sont souvent plus stigmatisés, si bien que les employés sont certainement plus enclins à se présenter au travail au lieu de déclarer leur problème de santé.

Le chercheur distingue également le présentéisme volontaire, « d’une personne qui a le loisir de s’absenter du travail pour des raisons de santé, mais qui ne le fait pas pour des motifs personnels ou organisationnels », du présentéisme involontaire, « d’une personne malade qui n’a pas le choix de se présenter au travail. » Le deuxième cas de figure touche surtout les personnes qui ont des emplois précaires, comme ceux qui sont payés à la commission ou aux pourboires, et ceux qui pourraient perdre leur emploi s’ils ne se présentent pas au travail. « Le présentéisme volontaire touche davantage les employés très engagés, qui se sentent essentiels dans leur travail », explique Éric Gosselin.

Les facteurs de risque identifiés

Les femmes, les travailleurs plus âgés et les personnes qui ont de jeunes enfants sont plus susceptibles de faire du présentéisme. « Lors d’une étude que nous avons menée en milieu scolaire, les enseignantes, qui ont six jours de congé de maladie par année, nous ont confié qu’elles préfèrent travailler quand elles sont malades et garder leurs congés pour les maladies de leurs enfants, précise M. Gosselin. C’est ce qui explique que les employés avec de jeunes enfants font plus de présentéisme. »
Les travailleurs qui affichent un haut niveau de stress sont également plus à risque de présentéisme. « Il s’agit d’un facteur à double risques, car le stress augmente le risque d’être malade et, une fois malade, il augmente le présentéisme », ajoute-t-il. Les autres facteurs de risque sont les horaires de travail variables, les fortes charges de travail, le faible contrôle sur son travail, la culture d’assiduité au travail et la faible cohésion au sein du groupe de travail. Enfin, « les emplois en relation d’aide sont plus touchés, mentionne Éric Gosselin. Les infirmières, les enseignantes, les médecins, les travailleurs sociaux font plus de présentéisme. On associe cela au fait que l’absence aura une incidence sur la clientèle. »

Diagnostiquer avant l’absentéisme

Selon une étude américaine réalisée en 2003, la perte de productivité liée au présentéisme coûterait plus de 225 G$ US par année aux entreprises américaines, soit trois fois plus cher que l’absentéisme. « Ce n’est pas parce que la personne est présente au travail qu’elle fait bien son travail, explique M. Gosselin. C’est pourquoi il faut changer les mentalités des employeurs. L’absentéisme est devenu un indicateur insuffisant pour évaluer la santé d’une organisation. De plus, les récentes études ont démontré que le présentéisme d’aujourd’hui est un facteur d’absentéisme futur. »

Mesurer le présentéisme peut se faire à l’aide d’un questionnaire. « Certaines organisations utilisent les nouvelles technologies et envoient un texto ou un courriel à leurs employés chaque matin, pendant un mois, afin de leur demander s’ils sont malades, s’ils sont au travail et s’ils ont une perte de productivité », relate Éric Gosselin.

Comment prévenir le présentéisme ?

Les moyens efficaces pour prévenir le présentéisme sont essentiellement les mêmes que ceux utilisés pour prévenir l’absentéisme. Les actions à prendre concernent la culture d’entreprise, le style de gestion, le climat de travail, l’organisation du travail et la promotion de la santé.

La jeune entreprise montréalaise de génie logiciel GSOFT, qui est passée de 50 à plus de 200 employés en trois ans, n’y va pas par quatre chemins. « Nous offrons à nos employés des vacances payées illimitées et des congés de maladie illimités, annonce Marianne Lemay, directrice Culture et Talent. Cela ne signifie pas qu’ils peuvent partir n’importe quand sans prévenir. Il faut communiquer avec son équipe pour que cela ne nuise pas au projet, à l’équipe et au client. » Les employés de GSoft peuvent également prendre une année de congé sans solde. « Un de nos employés est en train de faire le tour du monde en voilier », précise Marianne Lemay.
En plus de stratégies telles le télétravail et l’installation d’aires de détente, la société vient également de mettre en place un programme d’aide aux employés. « Les gens auront accès en tout temps à des psychologues qu’ils pourront appeler ou rencontrer, explique Mme Lemay. Certaines personnes ont des problèmes dans leur vie personnelle et nous voulons les aider pour éviter le présentéisme ou l’absentéisme. »

Rencontrer l’équipe

Avec de telles mesures, rares sont les employés qui quittent GSOFT, mais on pourrait craindre aussi une forte tendance au présentéisme. Le constat est tout autre : « Les vacances illimitées ont eu un impact important sur la performance, explique Marianne Lemay. Auparavant, les heures supplémentaires étaient payées. Les gens restaient donc plus longtemps au bureau pour faire plus d’argent. Maintenant, les gens font leurs 37,5 heures et sont beaucoup plus productifs quand ils sont là. »
L’entreprise a également mis en place des mesures pour détecter le présentéisme. « Chaque manager rencontre chacun de ses employés une fois par mois pour lui demander comment il se sent et s’il est productif, explique la responsable des ressources humaines. Aussi, le gestionnaire et l’équipe ont un grand rôle à jouer pour suggérer à un employé de travailler moins tard ou de passer moins de temps au travail. Et lorsqu’on constate qu’un employé n’a pas pris de vacances depuis longtemps, on lui suggère d’en prendre. »

Éric Gosselin croit quant à lui que ces nouveaux modèles offrent des solutions pour lutter contre le présentéisme. « Plus les gens seront bien au travail, moins ils auront de problèmes de santé psychologique causés par l’organisation et moins ils feront d’absentéisme et de présentéisme, dit-il. Actuellement, rien n’oblige les employeurs à réduire le niveau de stress de leurs employés, alors que des lois les obligent à réduire le niveau de danger physique lié au travail. Il faut que les organisations permettent de prévenir les problèmes de santé psychologiques au travail, pour qu’au moins ce ne soit pas la source du problème de santé, ce qui est souvent le cas actuellement. »