Le traitement du TDAH figure en septième position des dépenses en médicaments sur ordonnance au Canada, et cette classe thérapeutique est en constante augmentation. Quelle est l’incidence de cette hausse sur la gestion des régimes d’assurance collective ?

Chez les enfants, les molécules utilisées pour le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) constituent la catégorie de médicaments la plus coûteuse. Chez les adultes, elle est en rapide augmentation. De 2020 à 2021, les dépenses associées à cette classe thérapeutique ont enregistré une croissance de 16,6 %, tandis que le volume de réclamations a monté de 11,4 %. Certains intervenants se demandent donc si cela peut représenter un risque financier pour les régimes privés d’assurance médicaments.

Le ­Québec champion

Depuis 1997, l’usage des médicaments spécifiques au ­TDAH est plus marqué au ­Québec que dans les autres provinces canadiennes. En 2017, le total des dépenses par personne liées aux médicaments utilisés dans le traitement du ­TDAH était deux fois plus élevé dans la ­Belle ­Province que dans le reste du pays.

« ­Les médicaments qui traitent le ­TDAH représentent actuellement 6,4 % du coût total des médicaments dans nos régimes collectifs, rapporte Éric ­Trudel, ­vice-président exécutif et leader, assurance collective à ­Beneva. L’augmentation se chiffre à 21 % depuis 2016. »

Le constat est le même à iA ­Groupe financier, où le pharmacien ­Frédéric ­Leblanc, leader stratégique, programmes de médicaments, signale un accroissement de 11,4 % des demandes de règlement liées au ­TDAH entre 2021 et 2022. « ­Cela représente une croissance des réclamations de 43 % au cours des quatre dernières années, renchérit Éric ­Trudel. C’est clair que de plus en plus de monde consomme des médicaments pour traiter le ­TDAH ! »

Une clientèle adulte en forte croissance

La hausse des réclamations liées au ­TDAH serait en partie due à une clientèle adulte plus nombreuse. « À ­Beneva, les réclamations pour ces médicaments chez les adultes sont passées de 0,9 % du coût de tous les médicaments en 2016 à 1,8 % aujourd’hui, soit le double », indique Éric ­Trudel. « C’est la clientèle qui enregistre la plus forte croissance dans la dernière décennie », ajoute ­Frédéric ­Leblanc.

Deux raisons expliquent ce bond. Tout d’abord, une partie des patients ayant reçu un diagnostic durant l’enfance est devenue adulte et vit encore avec des symptômes du ­TDAH. « ­Ce n’est pas un trouble de santé qui disparaît, soulève ­Frédéric Leblanc. Avec la maturation du cerveau, certaines personnes parviennent à bien maîtriser les symptômes et à développer des stratégies de contrôle, mais d’autres poursuivent leur traitement. »

D’autre part, le ­TDAH possède une composante héréditaire. « ­Beaucoup de parents se reconnaissent dans la description que nous faisons de leur jeune au moment du diagnostic et veulent ensuite se faire évaluer », confie le neuropsychologue ­Benoît ­Hammarrenger, directeur de la ­Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive (CERC), à ­Laval. Ce dernier spécifie toutefois que la moitié des personnes à qui on a diagnostiqué ce trouble durant l’enfance verra une ­quasi-disparition des symptômes à l’âge adulte et pourra donc cesser les traitements.

Une hausse difficile à expliquer

Le sujet a été maintes fois abordé dans les médias et il semble encore difficile d’identifier les causes exactes de la hausse constante du nombre de patients suivant un traitement contre le ­TDAH. Chacun y va de son hypothèse. « L’augmentation pourrait être liée à une amélioration des techniques de diagnostic, pense Éric ­Trudel. De plus, le ­Québec a toujours été en avance concernant la déstigmatisation de certaines maladies comme le ­TDAH ou les troubles de santé psychologique. »

L’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments est évoquée par ­Frédéric ­Leblanc, qui mentionne aussi une plus grande sensibilisation à ce trouble. « ­Les causes environnementales sont parmi les hypothèses évoquées, mais il serait surprenant qu’elles soient aussi prononcées au ­Québec, ajoute le ­Dr ­Hammarrenger. Une des raisons appartient ­peut-être aux médias, qui en ont beaucoup parlé. Dès qu’un enfant est un peu inattentif à l’école ou difficile à la maison, on évoque le ­TDAH, alors qu’il existe de nombreuses autres possibilités de difficultés ou de troubles. »

«Ce n’est pas un trouble de santé qui disparaît. Avec la maturation du cerveau, certaines personnes parviennent à bien maîtriser les symptômes et à développer des stratégies de contrôle, mais d’autres poursuivent leur traitement. »

 – Frédéric Leblanc, iA Groupe financier

Y ­a-t-il surdiagnostic ?

Jusqu’à présent, personne n’est parvenu à expliquer précisément les raisons expliquant le nombre record de réclamations au ­Québec, si bien que de nombreux intervenants ont évoqué un surdiagnostic et une surmédication. « À travers le monde, il devrait y avoir un taux de ­TDAH de 7,2 % chez les enfants et cela devrait s’estomper avec la maturation du cerveau pour passer à 5 % chez les adolescents, puis à 2 % ou 3 % chez les adultes, illustre le ­Dr ­Hammarrenger. Or, le ­Québec enregistre un taux de 14 % d’ordonnances chez les adolescents, ce qui est deux à trois fois plus élevé que ce à quoi on devrait s’attendre ! »

Selon le ­Dr ­Guy ­Falardeau, pédiatre à la retraite et auteur de plusieurs livres sur le ­TDAH, l’anxiété chez l’enfant est en forte croissance, notamment avec la pandémie, et constitue la plus grande cause de faux diagnostics. « ­De nombreux diagnostics sont basés uniquement sur les symptômes. Cependant, les symptômes de l’anxiété ressemblent à ceux du ­TDAH, comme l’agitation motrice et les problèmes de concentration, ­dit-il. Il faut d’abord s’assurer qu’il n’y a pas autre chose que le ­TDAH qui explique les symptômes, mais les médecins ne le font pas, parce qu’ils n’ont pas le temps. »

Le ­Dr ­Falardeau s’inquiète du fait que les médicaments pour traiter le ­TDAH peuvent augmenter l’anxiété, ce qui entraîne une révision à la hausse de la posologie. « ­Si on avait la bonne approche, l’utilisation des médicaments pour traiter le ­TDAH serait moindre et les doses plus faibles, ­croit-il. Les vrais cas de ­TDAH fonctionnent bien avec de faibles doses. Lorsque la dose est trop forte, c’est qu’il y a un autre problème. » Quoi qu’il en soit, tous s’entendent pour dire que l’augmentation du nombre de demandes de règlement liées au ­TDAH se poursuivra encore pendant quelques années. « ­Mais cela ne doublera plus, affirme Éric ­Trudel. Cela ne représente donc pas un gros risque financier pour l’avenir. »

13,3 %
­des réclamants de 19 ans et moins ont pris des médicaments pour traiter le TDAH en 2021

Source : ­Telus Santé

Rien d’inquiétant pour les régimes

Outre le fait que le nombre de demandes de règlement devrait se stabiliser à long terme, les experts en assurance collective ne considèrent pas les médicaments pour traiter le ­TDAH commeune menace financière. « ­On ne voit pas de nouvelles molécules coûteuses en développement, et le coût par ordonnance se situe autour de 80 $ ou 90 $, ce qui n’est pas inquiétant », estime Éric Trudel.

« L’arrivée sur le marché de versions génériques des médicaments à longue action devrait avoir un effet à la baisse sur les dépenses », ajoute ­Frédéric ­Leblanc. Par ailleurs, les médicaments pour traiter le ­TDAH s’avèrent très efficaces. « L’effet sur l’attention et sur l’hyperactivité a été démontré hors de tout doute », explique le pharmacien, qui tient néanmoins à ne pas ­sous-estimer certains effets indésirables sur l’appétit, le sommeil et l’humeur. Le pharmacien considère que les dépenses liées aux traitements du ­TDAH sont justifiées, puisqu’elles permettent de réduire d’autres effets négatifs, notamment sur la santé de l’entourage. « ­Le TDAH d’un enfant affecte beaucoup le niveau de stress, la santé mentale et la productivité des parents », rappelle ­Frédéric Leblanc.

Quant aux fraudes, elles font l’objet d’un contrôle soutenu des assureurs, car on sait que l’utilisation illicite du ­Ritalin s’accentue dans les écoles en raison de son effet excitant ou euphorisant. « ­Le problème vient aussi de la facilité avec laquelle certains étudiants en médecine se font prescrire des médicaments pour le ­TDAH afin de performer davantage alors qu’ils ne présentent aucun symptôme, poursuit le ­Dr ­Hammarrenger. Cela leur permet de forcer l’attention ­au-delà de ce que le corps est capable de fournir, mais il y a un risque à ne pas écouter ses besoins, en sommeil notamment. »

«À travers le monde, il devrait y avoir un taux de ­TDAH de 7,2 % chez les enfants et cela devrait s’estomper avec la maturation du cerveau pour passer à 5 % chez les adolescents, puis à 2 % ou 3 % chez les adultes. Or, le ­Québec enregistre un taux de 14 % d’ordonnances chez les adolescents, ce qui est deux à trois fois plus élevé que ce à quoi on devrait s’attendre ! »

 – Benoît ­Hammarrenger, ­Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive de ­Laval

Les médicaments approuvés par ­Santé ­Canada pour le traitement du ­TDAH sont les psychostimulants (méthylphénidate et dérivés d’amphétamines), l’atomoxétine et la guanfacine à libération prolongée. La ­Canadian ­ADHD ­Resource ­Alliance (CADDRA) rapporte un taux d’efficacité de 50 à 70 % (2011), et une étude américaine cite un taux de réponse de 60 à 80 % aux psychostimulants.

« ­Les médicaments les plus utilisés sont le ­Concerta, qui arrive en 4e place des dépenses globales en médicaments à iA Groupe financer, et le ­Vyvanse, qui arrive à la 7e place », précise ­Frédéric ­Leblanc. Un générique du ­Vyvanse devrait faire son apparition dans quelques années, ce qui entraînera des économies importantes. Quant au générique du ­Concerta, il demeure peu employé puisqu’il n’a pas la même pharmacocinétique que le médicament d’origine. « ­Il n’utilise pas la même technologie que celle du ­Concerta pour libérer lentement le médicament afin d’assurer une durée d’action d’environ 12 heures », explique le pharmacien.

Couvrir d’autres formes de traitement

Un rapport de l’INESSS publié en 2017 précise que « même si les médicaments indiqués pour le ­TDAH sont en mesure de réduire considérablement les symptômes, les traitements pharmacologiques employés seuls ne suffisent pas ».

Certains experts considèrent donc qu’un meilleur remboursement de certaines thérapies ou de programmes d’accompagnement serait bénéfique. « ­Outiller les parents pour gérer les enfants plus difficiles auprès de psychologues ou de psychoéducateurs est très aidant », juge le ­Dr Hammarrenger.
Certaines de ces ressources sont accessibles dans les programmes de ­mieux-être au travail et les programmes d’aide aux employés. « ­Cela doit venir en complément aux médicaments », souligne ­Frédéric ­Leblanc.

Le ­Dr ­Hammarrenger ajoute que les évaluations devraient être mieux remboursées par les régimes d’assurance collective. « ­Cela permettrait de s’assurer qu’on a le bon diagnostic chez l’enfant, et donc le bon traitement par la suite. »

Coût par ordonnance pour le TDAH
Entre 80et 90 $

Source : ­Beneva


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2022 du magazine Avantages.
Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site web
.