Au cours de la dernière décennie, plusieurs employeurs québécois du secteur privé ont modifié la conception de leurs régimes de retraite afin de le faire passer graduellement d’un régime à prestations déterminées (PD) à un régime à cotisation déterminée (CD) et ainsi stabiliser les coûts reliés aux programmes de retraite. Face à la détérioration considérable de la situation financière des régimes PD entre 2006 et 2012, les employeurs voyaient toutefois peu d’attrait à liquider ces régimes compte tenu de la facture salée qu’ils auraient à payer pour le remboursement du déficit actuariel.

Afin de mieux contrôler les coûts de leur régime, les promoteurs ont mis en place des plans de réduction des risques qui visent, dans la plupart des cas, à diminuer la répartition d’actifs en actions au profit des obligations à mesure que la santé financière du régime s’améliore. Mais qu’en est-il de ces plans de réduction de risque à la suite de la plus récente hausse des taux d’intérêt de l’automne 2016 et des assouplissements récents au mode de financement des régimes de retraite du secteur privé?

Selon les données sur les régimes de retraite canadiens d’Aon Hewitt, le degré de solvabilité médian des régimes PD au pays était de 96,4 % au 1er février 2017, soit légèrement en deçà du taux observé en 2013 et en hausse de plus de 10 % par rapport à celui observé à la fin du trimestre précédent.

Pour les régimes ayant adopté une stratégie de réduction des risques qui ont vu leur degré de solvabilité approcher le seuil de pleine capitalisation de 100 %, la question se posera quant au maintien ou à la fermeture des régimes, puisque le coût de liquider ceux-ci s’avérera dorénavant beaucoup moins vertigineux. Cependant, la réponse pourrait varier selon l’état du régime. En effet, pour un régime PD « fermé », les nouveaux employés admissibles accumuleront des droits dans un nouvel outil pour la retraite alors que les participants actuels du régime continueront d’accumuler des droits au régime pour l’année de service en cours.

Afin d’amoindrir le coût de financement de l’année de service supplémentaire qui sera créditée aux participants, la stratégie de placement d’un régime dont le ratio de solvabilité est de 100 % détiendra typiquement de 65 % à 85 % du portefeuille dans des titres à revenu fixe et le reste dans des actifs de croissance. Dans ce cas, les nouvelles règles de financement au Québec pourraient amener le promoteur à maintenir en vie le régime dans un état de risque plus faible sur le plan de la situation financière. Cependant, la tentation de fermer le régime sera plus grande au fur et à mesure que le nombre de participants actifs diminuera.

Pour les régimes « gelés », dans lesquels les participants n’accumulent plus de droits, la proportion du portefeuille investie en titres à revenu fixe approchera davantage les 90 % à 100 % lorsque la santé financière du régime atteindra la pleine capitalisation.

Rendu à ce point, le promoteur ne verra plus d’avantages à maintenir en vie le régime. Sa liquidation sera alors imminente et des rentes seront achetées auprès d’une compagnie d’assurance. Pour les régimes de retraite demeurés « ouverts », des stratégies de réduction des risques non graduelles telles que l’augmentation des titres à revenu fixe ou l’ajout de placements non traditionnels ont souvent été considérées par le passé. Avec de nouvelles règles de financement, certains promoteurs de régime verront une occasion d’abandonner cette stratégie et de rééquilibrer le portefeuille afin de privilégier davantage les placements qui couvrent le risque de taux d’intérêt (par exemple, les obligations, l’immobilier et les infrastructures) et ainsi minimiser leur réserve de stabilisation nouvellement créée.

Enfin, l’atteinte de la pleine capitalisation entraînera indubitablement son lot de liquidations de régimes PD, comme cela été le cas au Royaume-Uni et aux États-Unis au cours des dernières années. Il ne reste plus qu’à espérer que les nouvelles règles visant à réduire le fardeau du financement des régimes PD mises en place au Québec, qui sont présentement scrutées par les autres provinces, ralentiront le rythme de décroissance de ce type de régime de retraite.

Mario Delisle, CFA, est associé principal, Conseils en gestion de placements à Aon Hewitt.