Préserver l’accumulation malgré l’inflation

Quand le coût de la vie augmente, la capacité d’épargne des participants aux régimes d’accumulation peut être affectée au point de leur faire prendre du retard sur leurs objectifs de retraite. Comment les employeurs ­peuvent-ils les aider à garder le cap malgré les turbulences inflationnistes ?

L’augmentation rapide du coût de la vie au cours des dernières années peut effectivement conduire à une diminution des versements d’­épargne-retraite par les participants. Avec un indice des prix à la consommation qui a plafonné à 8,5 % au ­Canada en juin 2022, et qui demeure deux ou trois points ­au-dessus de sa moyenne d’avant la pandémie, des participants ont clairement choisi de couper dans leurs cotisations plutôt que dans leur consommation.

Entre 2020 et 2022, les cotisations moyennes des participants aux régimes de capitalisation ont diminué dans tous les groupes d’âge, à l’exception des moins de 20 ans, indique le rapport ­Objectif épargne 2023 de ­Sun ­Life. « ­Depuis deux ans, les participants âgés de 30 à 50 ans ont réduit leur épargne de 7 %. C’est une diminution importante due à l’augmentation du coût de la vie », analyse Yashar ­Zarrabian, ­vice-président régional, développement des affaires et relations clients, régimes collectifs de retraite à ­Sun ­Life. « ­Avec la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt, tout coûte plus cher. Les gens n’ont pas le choix de revoir leurs dépenses et de couper quelque part. »

Cette diminution des cotisations aura une incidence plus ou moins grande selon la durée de la période d’inflation élevée, mais les jeunes travailleurs sont particulièrement à risque. « ­On est plus enclin à réduire les cotisations quand on est jeune, car la retraite paraît loin, observe ­Stéphanie ­Mariamo, conseillère principale chez ­Mercer. Certains pourraient préférer couper leurs cotisations plutôt que leurs sorties ou leurs divertissements. »

D’ailleurs, l’inflation n’est pas la seule menace à peser sur la retraite future des participants. Non seulement les cotisations sont moindres, mais les rendements sont eux aussi érodés. « ­Les tensions géopolitiques et les incertitudes sur l’économie rendent complexe la possibilité de prédire les rendements des portefeuilles, poursuit ­Stéphanie Mariamo. Dans le passé, certains véhicules de placement pouvaient compenser l’inflation grâce à des taux d’intérêt élevés. »

«L’employeur devrait être moins paternaliste dans son approche. Il devrait reconnaître que les participants ont des objectifs à court, moyen ou long terme. »

 – Stéphanie Mariamo, Mercer

Des cotisations patronales sans condition

Des mécanismes sont déjà en place pour assurer des niveaux de cotisation minimaux dans les régimes. De nombreux employeurs se sont tournés vers une formule qui comprend une cotisation patronale de base, sans obligation de cotiser de la part de l’employé, constate ­Jason ­Malone, associé chez ­Aon. « ­Dans les régimes d’accumulation de capital, on voit souvent une nouvelle norme où une cotisation de base de 2 à 4 % est versée par l’employeur. Puis il y a ensuite un appariement entre la cotisation de l’employé et celle de l’employeur, ­explique-t-il. Si l’employé cotise, il y a un versement équivalent par l’employeur. Si l’employé arrête de cotiser, l’employeur continue tout de même de cotiser un montant de base. »

La volonté de l’employeur d’aider ses employés à se constituer une retraite adéquate grâce à cette cotisation de base aura une incidence certaine au fil des années, alors que les employés commencent souvent trop tard à cotiser, précise ­Jason ­Malone.

De la même manière, on sait que les assureurs ont progressivement adapté les placements par défaut depuis l’émergence des régimes d’accumulation de capital, souligne ­Yashar ­Zarrabian. Les placements par défaut ont d’abord été orientés sur le marché monétaire, avant de migrer vers les fonds équilibrés. Aujourd’hui, l’option par défaut est essentiellement composée de fonds à date cible dont la répartition d’actif est basée sur l’âge du participant, ­précise-t-il.

Les participants dans la trentaine et la quarantaine ont diminué leurs cotisations de 7 % 
entre 2020 et 2022


17 % 
des participants dans la vingtaine ont fait un retrait de leur REER collectif en 2022, contre seulement


9 %
en 2020

Source : ­Sun Life

Miser sur l’épargne, pas seulement la retraite

La flexibilité des régimes pourrait également être accrue dans l’intérêt des participants. Pourquoi ne pas présenter le régime comme un programme d’épargne, et pas seulement comme un régime d’épargne-retraite ? « L’employeur devrait être moins paternaliste dans son approche. Il devrait reconnaître que les participants ont des objectifs à court, moyen ou long terme », avance ­Stéphanie Mariamo.

Cette flexibilité accrue pourrait se traduire par une autorisation de verser les cotisations dans un ­REER ou un ­CELI avec la possibilité de retirer des montants à court terme, ­poursuit-elle. « ­La cotisation de contrepartie de l’employeur resterait dans un véhicule duquel on ne peut pas retirer de montant. Ainsi, si l’employé décide de retirer de l’argent pour couvrir la hausse du coût de la vie ou toute autre raison, il continue de recevoir la contrepartie de l’employeur. C’est un régime flexible pertinent pour traverser la période que l’on vit, avec des besoins en évolution permanente », illustre-t-elle.

Ce type de flexibilité s’observe depuis quelques années, selon ­Yashar ­Zarrabian. « L’objectif est de faire bénéficier les employés des avantages du régime collectif même pour leurs projets personnels. » Certains employeurs ont lancé des discussions pour revoir le design de leur régime de retraite en matière de règles de cotisation et de flexibilité. « ­Pour l’instant, on ne voit pas de changements importants. Ce sont surtout des discussions sur les différentes possibilités d’améliorer la situation et de sensibiliser les employés. »

Cette recherche de flexibilité ne cessera pas, même si l’inflation venait à retrouver ses niveaux d’avant pandémie, croit ­Stéphanie ­Mariamo. « ­Au-delà de l’inflation, tout le monde demande plus de flexibilité. Il existe une tendance générale à vouloir faire cadrer les régimes avec tous les ­sous-groupes existants dans les entreprises. »

Outre la flexibilité, le suivi des versements de cotisations pourrait permettre de déceler les ajustements nécessaires à apporter au régime. Le quart des participants (25 %) ne profitent pas pleinement des cotisations complémentaires de leur employeur, indique le rapport de ­Sun ­Life. « ­Ils laissent de l’argent sur la table, déplore Yashar ­Zarrabian. Les employeurs pourraient identifier les gens qui ne maximisent pas leurs cotisations. Ils peuvent aussi observer s’il y a un problème de retrait dans les régimes. Si les retraits sont excessifs, une analyse plus approfondie de la situation peut se révéler pertinente. »

Sensibiliser, communiquer, informer

Plus largement, les employeurs doivent faire des efforts de sensibilisation et d’information auprès des participants. « ­Si l’employeur propose un régime de retraite, encore ­faut-il que les gens le comprennent et en profitent, martèle ­Nathalie Bachand, planificatrice financière et présidente d’ÉducÉpargne. Si la communication n’est pas adéquate, c’est un coup d’épée dans l’eau. »

Le développement de la littératie financière est aussi un impératif à développer. « L’employeur a une responsabilité indirecte : il n’a pas à s’assurer de la littératie financière de ses employés ni à offrir une formation. Mais les fournisseurs de services doivent s’assurer qu’il y a un minimum de prise de conscience par les participants », estime ­Denis Latulippe, professeur à l’École d’actuariat de l’Université ­Laval.

L’opinion est partagée par ­Stéphanie ­Mariamo : « Les promoteurs doivent indéniablement favoriser un niveau d’éducation permettant aux gens de comprendre comment optimiser leur ­REER et leur ­CELI, et pleinement profiter de leur régime flexible. On ne doit pas tomber dans l’inertie et le statu quo, du type : adhérer au régime et ne jamais bouger par la suite. »

Parmi les informations importantes à communiquer, les employeurs pourraient mentionner l’accessibilité nouvelle des rentes viagères. « ­Un des bons points des taux d’intérêt élevés est que le prix des rentes viagères est à un de ses plus bas niveaux depuis des années. Au cours de la dernière année, leur prix a baissé radicalement. On est capable d’acheter une rente viagère à un prix bien plus faible qu’il y a quatre ans », assure ­Martin ­Boyer, professeur de finance et titulaire de la ­Chaire de recherche ­Power ­Corporation du ­Canada sur les régimes de retraite et d’assurances à ­HEC ­Montréal. « ­Leur coût était prohibitif quand les taux étaient très bas. Pour la personne qui approche de la retraite, c’est beaucoup plus intéressant que ça ne l’était », renchérit ­Jason ­Malone.

42 % des employés canadiens affirment qu’il ne leur reste plus rien pour épargner une fois leurs dépenses payées
Source : ­­PwC


travailleur britannique sur  10 renoncé ou s’apprête à renoncer à verser des cotisations à son régime de retraite en raison de l’inflation
Source : ­­Canada Vie


39 %
des Canadiens s’attendent à devoir retarder leur départ à la retraite pour soutenir l’augmentation du coût de la vie
Source : ­RBC

«Depuis deux ans, les participants âgés de 30 à 50 ans ont réduit leur épargne de 7 %. C’est une diminution importante due à l’augmentation du coût de la vie. »

 – Yashar Zarrabian, Sun Life

Le cas des retraités

Si l’inflation amène son lot d’incertitudes pour les travailleurs, les retraités sont parmi les plus touchés par l’inflation. Le pourcentage de retraités de 75 à 79 ans ayant retiré plus que le minimum requis de leur ­FERR a presque doublé ces deux dernières années pour atteindre 21 % en 2022, indique le rapport de ­Sun ­Life.

« ­Les salariés peuvent s’attendre à ce que leur rémunération augmente, alors que les retraités ne peuvent rien faire d’autre que de subir l’inflation », résume ­Martin ­Boyer. Certes, les participants pourraient travailler une année de plus s’ils considèrent qu’ils ne disposent pas de l’épargne suffisante pour prendre leur retraite. « ­Mais on ne peut pas toujours retarder la retraite pour diverses raisons, qu’elles soient physiques ou familiales », rappelle-t-il.

Si la marge de manœuvre des retraités est limitée, c’est par le biais du décaissement que les prochains retraités peuvent trouver un moyen de limiter les dégâts. « Doivent-ils acheter un fonds de revenu viager, une rente viagère ? ­Dans quel ordre ­doivent-ils décaisser leur épargne, incluant le ­CELI, le REER et les pensions gouvernementales ? ­Pour eux, il est crucial de recevoir des conseils pour planifier toute cette phase », souligne ­Yashar ­Zarrabian.

Et les employeurs pourraient bien s’intéresser à ce domaine dans les années à venir, préoccupés par la retraite de leurs participants. « ­Aujourd’hui, les employeurs regardent le décaissement. Ils se demandent s’ils devraient s’impliquer dans ce volet ou s’ils doivent laisser les participants le régler ­eux-mêmes. Des employeurs de grande taille s’intéressent à ce qui peut être fait pour soutenir les participants en phase de décaissement. C’est une tendance, on entend beaucoup de discussions sur ce point », mentionne ­Yashar ­Zarrabian.

«L’employeur a une responsabilité indirecte : il n’a pas à s’assurer de la littératie financière de ses employés ni à offrir une formation. Mais les fournisseurs de services doivent s’assurer qu’il y a un minimum de prise de conscience par les participants. »

 – Denis Latulippe, Université Laval

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• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2023 du magazine Avantages.
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