Migraine : Des conséquences qui donnent la nausée

Bien plus qu’un mal de tête, la migraine souffre d’une méconnaissance et d’un manque de considération dans les milieux de travail. Sa prévalence mérite pourtant qu’on en parle.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, 15 % des personnes vivent avec la migraine dans le monde. Ces statistiques ne tiennent pas compte de ceux qui n’ont jamais reçu de diagnostic officiel, parce que ce problème de santé demeure peu connu et mal compris. Devant l’ampleur des conséquences en milieu de travail, assureurs et employeurs auraient intérêt à s’intéresser à ce problème de santé, d’autant plus que de nouveaux traitements améliorent grandement la qualité de vie des personnes atteintes et leur efficacité au travail.

Des symptômes multiples

« C’est une maladie neurologique qui vient avec d’autres symptômes que le mal de tête, comme une hypersensibilité à la lumière ou aux odeurs », explique ­Anouk Brière-Godbout, conseillère en défense des droits à ­Migraine ­Québec. Vomissements, raideur de la nuque, nausées, vertiges, dysfonctionnement cognitif, hypersensibilité aux mouvements et troubles visuels peuvent également accompagner les maux de tête.

On distingue trois types de migraine, bien que cette catégorisation soit remise en question par plusieurs spécialistes : la migraine épisodique, qui survient moins de huit fois par mois et touche 80 % des personnes atteintes, la migraine épisodique fréquente, qui survient de 8 à 14 fois par mois et concerne près de 15 % des personnes ayant reçu le diagnostic, et la migraine chronique, qui compte plus de 15 épisodes par mois et affecte 5,5 % des migraineux. Sachant que la migraine peut durer jusqu’à 72 heures, « on comprendra que la migraine chronique consiste à avoir des symptômes tous les jours ! », précise ­Anouk Brière-Godbout.

Plusieurs causes sont associées à la migraine, principalement la génétique. Toutefois, énormément de personnes souffrent de migraine sans le savoir. « ­En moyenne, les gens attendent sept ans avant d’avoir un diagnostic, déplore madame Brière-Godbout. Il y a une stigmatisation importante autour du problème, que l’on associe souvent à un simple mal de tête. Même les médecins connaissent mal la migraine. »

Sur 100 employés…

25 ­souffrent de migraine

12 ­ont reçu un diagnostic d’un professionnel de la santé

­ont des migraines plus de deux fois par semaine

­La migraine est le 3e problème de santé le plus coûteux au Canada en matière d’absentéisme, après les douleurs au dos et les troubles de l’humeur

­Les employés canadiens souffrant de migraine chronique rapportent en moyenne 40 jours de présentéisme par année

Source : ­Migraine Canada

Absentéisme, présentéisme… et coûts élevés

Puisque la prévalence de la migraine, tant chez les hommes que chez les femmes, est plus élevée entre 30 et 49 ans, son incidence sur les milieux de travail est non négligeable. « ­Au  Canada, on rapporte sept millions de jours de travail perdus chaque année à cause de la migraine et il s’agit probablement d’une ­sous-estimation », signale ­Anouk ­Brière-Godbout. Les absences au travail causées par la migraine coûteraient chaque année 10 458 $ par personne atteinte au ­Canada, alors que la perte de productivité associée à la maladie se chiffrerait à 12 462 $, et le chômage à 16 525 $. L’invalidité de longue durée entraîne quant à elle un coût annuel moyen de 32 679 $ par personne atteinte de ce problème de santé au pays.

Outre l’absentéisme, la migraine est associée à un haut taux de présentéisme. Une étude publiée en 2018 aux ­États-Unis place la migraine en troisième position en ce qui concerne les coûts du présentéisme pour les entreprises, après les allergies et l’hypertension. « ­Les gens n’osent pas prendre congé, car ils se sentent incompris, explique ­Anouk ­Brière-Godbout. Aussi, certains traitements coupent la douleur, mais ont des effets secondaires qui affectent la capacité à travailler. »

«En moyenne, les gens attendent sept ans avant d’avoir un diagnostic. Il y a une stigmatisation importante autour du problème, que l’on associe souvent à un simple mal de tête. Même les médecins connaissent mal la migraine. »

 – Anouk Brière-Godbout, Migraine Québec

En effet, le présentéisme associé à la migraine est souvent lié à la stigmatisation qui accompagne ce problème de santé. « ­Les patients qui participent à notre programme d’accompagnement sentent souvent une incompréhension de la part de leurs collègues, mentionne ­Sandra ­Demers, directrice, expertise pharmaceutique et gestion des médicaments coûteux à ­Beneva. Certains rapportent se sentir impuissants ou coupables. Ils peuvent avoir tendance à s’isoler. Il est possible qu’il y ait un manque d’information, que les gens banalisent le problème ou l’associent à un simple mal de tête. »

De nouveaux médicaments à la rescousse

Pendant plusieurs décennies, il n’existait aucun traitement spécifiquement conçu pour la migraine et les patients atteints devaient se rabattre sur des médicaments contre l’hypertension ou des antidépresseurs qui s’avéraient partiellement efficaces et pouvaient entraîner des effets secondaires affectant leur capacité à travailler.

Depuis quelques années, l’arrivée de nouveaux traitements spécifiques est perçue comme une lumière au bout du tunnel. « ­Les anticorps ­CGRP et les gépants sont une véritable révolution et un grand progrès scientifique, s’enthousiasme la Dre Elizabeth ­Leroux, neurologue spécialisée en médecine des céphalées à ­Montréal. Les gépants sont plus coûteux que les ­anti-inflammatoires, environ 16 $ la dose, mais si on pense au coût d’une journée de travail perdue ou d’une visite à l’urgence, c’est bien peu. »

Les différentes molécules offertes pour traiter la migraine sont soit des « ­casse-crises », soit des traitements préventifs comme les anticorps ­CGRP et les gépants. « ­On souhaite que les différentes molécules soient remboursées, car leur efficacité diffère d’une personne à une autre, souligne Anouk Brière-Godbout. On voit désormais des ­super-répondants, c’­est-à-dire des gens qui n’ont presque plus de migraine grâce à ces médicaments ! »

«Les anticorps CGRP et les gépants sont une véritable révolution et un grand progrès scientifique. Les gépants sont plus coûteux que les anti-inflammatoires, environ 16 $ la dose, mais si on pense au coût d’une journée de travail perdue ou d’une visite à l’urgence, c’est bien peu. »

 – Dre Elizabeth Leroux, neurologue spécialisée en médecine des céphalées

À ­Beneva, on remarque que le nombre de réclamations a bondi pour ces nouveaux traitements. « ­De 2019 à 2023, le nombre de réclamants a quadruplé », illustre ­Sandra ­Demers. Elle ajoute que les traitements les plus coûteux doivent passer par une autorisation préalable. « ­Ils nécessitent un formulaire médical pour évaluer l’état du patient, tant à la ­RAMQ que chez les assureurs privés. Certains de ces traitements peuvent coûter 7 000 $ par année. Ils sont coûteux, mais nécessaires pour ceux qui n’ont pas répondu aux traitements de première ligne et qui ont des crises de migraine plus fréquentes. »

Les 3 meilleurs types de soutien que peuvent offrir les employeurs, selon les employés atteints de migraine

Horaires de travail flexibles
51 %

Accès à des programmes de santé et de mieux-être
48 %

Meilleur accès aux médicaments vendus sur ordonnance
44 %

Source : ­PMG Intelligence

Tous les traitements ne sont pas remboursés par la RAMQ. « ­Quant aux assureurs privés, ils ont souvent toutes les médications contre la migraine dans leur portefeuille, mais toutes ne sont pas incluses dans la couverture des régimes fournis par les employeurs », précise madame ­Brière-Godbout. De nombreuses personnes souffrant de migraine chronique souhaiteraient notamment que les injections de ­Botox combinées avec les ­anti-CGRP soient remboursées. « ­On voit que c’est un traitement efficace, mais ce n’est pas encore reconnu par la recherche », explique la conseillère de Migraine ­Québec. Le traitement consiste en plusieurs injections là où les patients ressentent des raideurs, comme dans la nuque ou autour des yeux.

Visionnez une vidéo réalisée par Migraine Québec sur l’incidence de la maladie sur les personnes atteintes : bit.ly/49I2nQ5

Pourcentage d’employés ayant pris un congé

Les saines habitudes de vie changent la donne

Outre les traitements médicamenteux, la migraine nécessite un mode de vie sain. La gestion du stress, le sommeil, l’exercice et l’alimentation font indéniablement partie de l’arsenal du migraineux. « ­Je recommande toujours une approche holistique et personnalisée qui commence avec un calendrier de crises et un ajustement raisonnable des habitudes de vie, dit la ­Dre Leroux. Il faut être proactif, surtout avec les traitements spécifiques récents qui sont bien tolérés. Je vois des miracles dans mon bureau chaque semaine ! »

À ­Beneva, les assurés inscrits au programme d’accompagnement offert aux personnes qui prennent des médicaments de spécialité reçoivent gratuitement l’application ­MedHelper pour les aider à faire le suivi de leurs saines habitudes de vie.

« ­Nous avons intégré un plan de soins personnalisé pour le suivi des migraines avec des conseils sur les habitudes de vie, la gestion du stress et l’alimentation, explique ­Sandra ­Demers. On encourage également les participants à utiliser un calendrier de migraine. Ils peuvent noter la fréquence, la durée, l’intensité des migraines, essayer d’identifier les déclencheurs qui ont été associés et faire un suivi de l’efficacité du traitement. »

Yoga, méditation, ostéopathie ou acupuncture peuvent également contribuer à réduire les crises de migraine. « ­Il peut être bénéfique de rembourser des approches moins traditionnelles comme l’ergothérapie », estime ­Anouk ­Brière-Godbout.

Outre l’importance d’être bien renseigné sur les symptômes et les conséquences de la migraine, les employeurs peuvent contribuer au ­bien-être de leurs employés migraineux en ajustant l’éclairage du bureau et l’ergonomie du poste de travail. « ­La clé de la productivité de ces personnes est la flexibilité des horaires en raison des crises imprévisibles souvent sévères, indique la ­Dre ­Leroux. Le télétravail aide beaucoup. Les personnes vivant avec la migraine font souvent de grands sacrifices personnels pour préserver leur emploi, rattrapant sur leur temps libre. Il masquent leur état de santé et endurent beaucoup. »

Une étude récente menée au ­Canada montre que seulement 15 % des patients migraineux parviennent à obtenir des soins appropriés, car chaque étape est difficile. « ­La recherche est active, mais les bloqueurs ­CGRP sont une révolution unique et je ne crois pas qu’il y aura des nouveautés de cette ampleur dans les dix prochaines années, alors la priorité devrait être d’améliorer l’accès aux traitements existants », insiste la ­Dre ­Leroux.


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2023 du magazine Avantages.
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