La pandémie de COVID-19 a exacerbé les difficultés liées à la santé psychologique dans les milieux de travail. Lesquelles, dans les pires cas, se déplacent sur le terrain juridique. Les employeurs doivent-ils s’en inquiéter ? Tour d’horizon de quelques décisions rendues à cet égard par les tribunaux québécois au cours des dernières années.

Avant même le début de la pandémie, les lésions professionnelles attribuables au stress étaient en forte hausse chez les travailleurs québécois. Entre 2017 et 2020, elles ont en effet enregistré une croissance de 48 %, selon les données de la ­Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Le portrait est encore plus frappant concernant les lésions liées à du harcèlement psychologique et sexuel, avec une augmentation de 414 % sur la même période.

Or, la pandémie a exacerbé certains facteurs de risque, notamment le télétravail obligatoire, qui favorise l’isolement, la baisse du niveau d’appartenance et l’hyperconnectivité, a souligné Émilie ­Larivée, avocate et agente de formation à la ­Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), lors d’une conférence de l’Ordre des ­CRHA en janvier.

Évaluer la surcharge de travail

L’un des principaux facteurs de risque pouvant mener à des troubles de santé psychologique chez les travailleurs est la surcharge de travail. Mais en situation réelle, il est difficile de définir clairement ce qui constitue une charge de travail excessive, indique ­Mme ­Larivée.

Dans une cause opposant l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux au ­CIUSSS du ­Nord-de-l’­Île-de-Montréal, en 2017, des travailleurs ont déposé une plainte de surcharge de travail relative notamment à une nouvelle directive les obligeant à faire une intervention auprès de la clientèle dans les 30 jours suivant l’ouverture d’un dossier.

« ­Pour déterminer s’il y a surcharge de travail ou non, des critères objectifs et subjectifs sont analysés », explique Émilie Larivée.

Les critères objectifs incluent entre autres l’incapacité pour les salariés d’accomplir leurs tâches de façon importante et prolongée, l’impossibilité de profiter de leurs pauses, l’obligation de faire des heures supplémentaires sur une base trop fréquente ou encore la nécessité de faire des compromis sur le plan des standards professionnels.

Les critères subjectifs se rapportent davantage aux émotions ressenties par les salariés, comme la fatigue, le stress, l’insatisfaction ou la démotivation.

Dans le cas présent, l’arbitre a retenu certaines inquiétudes relevant de critères subjectifs, mais les salariés n’ont pas réussi à prouver que leur charge de travail était excessive d’un point de vue objectif.

« ­Il n’y avait pas d’exemple concret de temps supplémentaire ou de compromis qui ont dû être faits sur le plan des standards professionnels, précise ­Mme ­Larivée. Cela démontre qu’il faut être capable de trouver des indices objectifs pour pouvoir prouver une situation de surcharge de travail. »

Dans une autre cause opposant cette fois un infirmier à son employeur, un ­CISSS de la région de l’Outaouais, le ­Tribunal administratif du travail a reconnu que le stress de l’emploi ainsi que de nouvelles conditions de travail avaient causé des lésions professionnelles.

Après une inondation de son unité en centre hospitalier, l’infirmier et ses patients, des adolescents, ont dû être relocalisés dans un centre d’hébergement voué aux jeunes en difficulté. Cette situation, qui devait être temporaire, a duré un an et demi. Pour l’infirmier, cela s’est traduit par un environnement de travail plus complexe et une augmentation de ses tâches, tout cela dans un nouveau lieu qui n’était pas aménagé de manière optimale. Soumis à un stress intense, le travailleur a reçu un diagnostic de trouble de l’adaptation, puis de dépression.

Le tribunal a reconnu que le stress et les conditions de travail avaient entraîné des lésions professionnelles en se basant sur certains critères, notamment l’absence d’aide ou de soutien, qui engendre une surcharge de travail, une formation insuffisante pour exécuter convenablement les nouvelles tâches demandées et une augmentation des responsabilités avec cumul des tâches en raison de changements dans les conditions de travail.

Manque de personnel et pandémie

Dans certains cas, un roulement de personnel élevé peut mener à la reconnaissance de lésions professionnelles de nature psychologique. Dans une cause entendue en 2021, la plaignante, pâtissière dans une résidence pour personnes âgées, a été indemnisée pour un stress accru causé par un manque de personnel. En plus de ses tâches habituelles, elle a dû remplacer le chef et le ­sous-chef de l’établissement. La travailleuse devait effectuer de nombreuses heures supplémentaires et n’avait plus le temps de prendre de pauses.

Le tribunal a noté que même si la travailleuse avait accepté volontairement cette surcharge de travail, et que l’employeur n’avait pas abusé de ses droits de direction, cela n’empêchait pas la reconnaissance d’un accident de travail.

Dans cette cause, il est aussi important de noter que la travailleuse présentait certaines caractéristiques physiques ou psychologiques « qui auraient pu constituer un terrain fertile au développement d’un trouble de l’adaptation ». Cela ne représente toutefois pas un obstacle à son droit d’être dédommagée, ­peut-on lire dans le jugement. « ­Le fait que les conséquences de la lésion soient plus importantes chez la travailleuse à cause de ses prédispositions n’empêche pas l’indemnisation. »

Une autre décision récente démontre de façon claire les effets que la pandémie peut avoir sur la santé psychologique des travailleurs. Le tribunal a reconnu que la surcharge de travail vécue par une secrétaire dentaire pendant plusieurs mois est à l’origine du développement d’un trouble de l’adaptation. Les conditions de travail plus difficiles entraînées par les rénovations de la clinique où travaille la salariée à l’automne 2019 ont « définitivement engendré une surcharge de travail inhabituelle », ­peut-on lire dans le jugement. Mais le début de la pandémie a été la « goutte qui a fait déborder le vase », alors que la secrétaire a dû appeler tous les clients pour leur annoncer la fermeture de la clinique.

« ­Cette cause nous fait prendre conscience que les employeurs doivent surveiller attentivement les indices de surcharge de travail dans le contexte actuel », note Émilie ­Larivée.

L’avocate précise néanmoins qu’en matière d’identification, de contrôle et d’élimination des risques associés à la charge de travail, « les obligations imposées à l’employeurs par la ­Loi sur la santé et la sécurité du travail sont des obligations de moyens, et non de résultats ». Le choix des moyens à mettre en place revient d’ailleurs à l’employeur.

La loi stipule que « le ­Tribunal n’a pas à déterminer si les mesures mises en place ont eu le résultat escompté, mais seulement à valider si l’employeur s’est acquitté de son obligation de moyens ».

Le harcèlement en version numérique

Outre la surcharge de travail, le harcèlement psychologique est l’un des plus grands facteurs de risque en matière de santé mentale dans les milieux de travail. Si le recours massif au télétravail dans de nombreux secteurs d’activité a minimisé les contacts entre collègues au cours des deux dernières années, il n’a pas permis de réduire les cas de harcèlement. L’utilisation accrue d’outils de communication numériques a même parfois empiré les choses.

« ­Le travail à distance a créé davantage d’occasions de harcèlement par internet et de cyberintimidation. D’autant plus que ce type de harcèlement passe plus facilement sous le radar », relève ­Vanessa ­Batik, avocate et agente de formation à la ­SOQUIJ.

La cyberintimidation consiste en l’utilisation d’internet pour harceler, menacer ou embarrasser quelqu’un de façon malicieuse. Elle peut se manifester par la transmission de courriels non sollicités et/ou menaçants, la diffusion de rumeurs ou encore la publication de commentaires diffamatoires.

En 2014, l’ancienne ­Commission des relations du travail a accueilli la plainte pour harcèlement psychologique déposée par une employée de l’entreprise ­Eye-in, spécialisée dans l’installation et l’entretien de systèmes internet sans fil. La preuve inclut des échanges de courriels dans lesquels la présidente de l’entreprise tient des propos grossiers, blessants et vexatoires envers la plaignante. Certains courriels contiennent également des menaces répétées de congédiement, avec une utilisation marquée des lettres majuscules.

Dans son jugement, la ­Commission indique que ces propos pourraient être considérés comme l’exercice maladroit du droit de direction. Sauf que dans le cas présent, les courriels n’étaient pas envoyés uniquement à la plaignante, mais à l’ensemble des employés de l’entreprise. « ­Leur transmission à toute l’équipe, incluant les employés qu’elle est en charge de superviser, les transforment en des manifestations de harcèlement psychologique, rendant le milieu de travail néfaste », ­peut-on lire dans le jugement.

« ­Le fait que les échanges se fassent par courriel peut faciliter l’élaboration de la preuve », commente ­Vanessa ­Batik.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2022 du magazine Avantages.
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