Présents dans le paysage canadien de la retraite depuis un bon bout de temps déjà, les régimes de retraite à cotisation déterminée (CD) ont atteint un certain niveau de maturité. Si les faux pas et les tâtonnements qui ont caractérisé leurs premières années d’implantation sont maintenant chose du passé, ils ont néanmoins besoin d’une petite mise au point pour être en mesure de répondre adéquatement aux besoins des travailleurs et des retraités. En novembre dernier, ­Avantages a rassemblé six promoteurs de régimes d’accumulation de capital qui ont mis en commun leur vision d’un programme de retraite prêt à relever les défis de demain.

« ­Ce qu’on met de l’avant, c’est un programme d’épargne, et non un régime de retraite », nuance ­Hélène ­Thibault, ­vice-présidente, rémunération globale et analytique à ­WSP. La société de ­génie-conseil offre à ses quelque 10 000 employés canadiens une solution d’épargne flexible. Les participants peuvent verser leurs cotisations dans un ­REER collectif, un ­CELI collectif ou encore dans un compte non enregistré. Les cotisations de l’employeur, elles, s’accumulent dans un ­RPDB.

« ­On ne veut pas viser uniquement la retraite, ­poursuit-elle. On veut interpeller les jeunes qui arrivent sur le marché du travail et pour qui la retraite paraît très lointaine. Selon ses projets, l’employé décide où il envoie sa cotisation. L’idée, c’est de créer l’habitude d’épargner sur chaque paie. Ce n’est pas grave même si au début c’est pour un voyage plutôt que pour la retraite. »

Malgré le fait que le programme d’épargne soit entièrement optionnel, 85 % des employés de l’entreprise y adhèrent. Aucune cotisation minimale n’est imposée. En revanche, pour avoir droit à des cotisations de l’employeur, le participant doit en verser lui aussi, une question de « philosophie », soutient ­Mme ­Thibault. « ­Au moins 80 % des gens qui participent cotisent suffisamment pour obtenir la contribution maximale de l’employeur. »

Intact ­Corporation financière mise de son côté sur une stratégie singulière en matière de régimes de retraite : ses employés ont le choix entre un régime à cotisation déterminée et un régime à prestations déterminées (PD). « C’est un différenciateur très important pour nous, on met beaucoup en valeur notre offre de régimes de retraite », indique ­Claudie ­Brunelle, directrice principale, retraite et avantages sociaux à ­Intact.

À l’heure actuelle, environ 60 % des employés adhèrent au régime ­PD, et 40 % au régime ­CD. Tous les cinq ans, ­ceux-ci ont le choix de passer d’un à l’autre. « ­La dernière fois que les gens ont eu la possibilité de changer, on en a vu plusieurs qui avaient choisi le ­CD à leur embauche sans trop savoir migrer vers le ­PD, raconte ­Mme ­Brunelle. À force de parler avec leurs collègues et d’avoir expérimenté la volatilité des marchés ces dernières années, ils ont compris la valeur des ­PD. »

Le volet ­CD, créé en 2014 et comptant environ 250 M$ d’actif, demeure toutefois apprécié par certaines catégories de travailleurs, notamment les plus jeunes, qui souhaitent utiliser leur épargne pour autre chose que la retraite. « C’est une façon de donner de la flexibilité aux employés », ­indique-t-elle.

Contrairement à ­WSP, ­Intact a pris la décision de verser une cotisation de base de 3 % du salaire à tous les participants du régime ­CD, même si ­ceux-ci n’y contribuent pas ­eux-mêmes. Les quatre premiers pour cent de cotisation de l’employé sont ensuite égalés, pour un maximum de 11 %.

Pour demeurer attractive, en particulier auprès des jeunes travailleurs, ­Bell mise également sur la souplesse dans son régime ­CD, qui détient un actif de deux milliards de dollars.

« ­Plus on offre de la flexibilité, plus les gens sont intéressés et participent aux programmes. Notre but n’est pas nécessairement de créer le meilleur régime ­CD en ville, mais plutôt le meilleur programme global d’épargne », soutient ­Robert ­Marchessault, directeur, pension et avantages sociaux chez ­Bell.

Plus concrètement, l’entreprise de télécommunications souhaite que les cotisations versées dans le régime ­CD puissent un jour être utilisées par les employés plus jeunes pour rembourser un prêt étudiant. Dans la même optique, ­WSP aimerait ajouter à son éventail d’outils d’épargne le nouveau compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) dès que ­celui-ci sera offert sur le marché.

«On ne veut pas viser uniquement la retraite. On veut interpeller les jeunes qui arrivent sur le marché du travail et pour qui la retraite paraît très lointaine. Selon ses projets, l’employé décide où il envoie sa cotisation. L’idée, c’est de créer l’habitude d’épargner sur chaque paie. »

 – Hélène Thibault, WSP

Dans certaines industries, les travailleurs sont cependant moins mobiles et les préoccupations liées à la conception des régimes de retraite diffèrent.

C’est notamment le cas à l’Union des producteurs agricoles (UPA), dont les employés bénéficient d’un régime hybride comportant un volet ­PD et un volet ­CD. Le régime interentreprises compte 45 employeurs à travers le ­Québec, 1 200 participants, et un actif sous gestion s’élevant à 150 M$. « ­Je suis à l’UPA depuis 35 ans, et ce n’est pas rare de voir des gens qui ont passé toute leur carrière dans l’organisation, assure ­Denis ­Roy, trésorier et directeur de la ­Direction finances et ­main-d’œuvre agricole. J’ai tendance à présenter le régime comme un outil de planification de fin de carrière. » ­Signe que les employés de l’UPA attachent beaucoup d’importance à leur régime de retraite, l’assemblée annuelle compte souvent plus de 150 participants.

Dans d’autres organisations, c’est parfois le fossé générationnel qui complique la conception des régimes. « ­On sent une divergence entre les employés plus jeunes et plus âgés », note ­Philippe ­Keough, directeur, rémunération et avantages sociaux pour le producteur de bois ­Interfor.

Dans les usines syndiquées de l’est du pays, la participation au régime ­CD est obligatoire et prévoit une cotisation de 6 % pour l’employé et de 6 % pour l’employeur. « ­Les employés plus âgés apprécient le régime, mais les plus jeunes préféreraient ne pas être obligés d’adhérer, ­ajoute-t-il. Ils voudraient plutôt utiliser leur argent pour acheter une maison ou réaliser d’autres projets. En plus, ils ne s’attendent pas à travailler 35 ou 40 ans pour l’organisation. Ils se disent : « Ça me donne quoi de mettre de l’argent ­là-dedans, je ne serai plus là dans trois ou quatre ans. » ­On sent cependant que les employés qu’on embauche plus âgés sont beaucoup plus intéressés par le régime de retraite. »

« ­Ce n’est pas une mauvaise idée de favoriser l’adhésion dès le premier jour d’emploi, comme ça les employés ne voient pas leur « baisse de salaire » quand les cotisations au régime de retraite commencent à être prélevées », juge ­Denis ­Roy.

Éric ­Filion, directeur général de ­Bâtirente, est lui aussi bien conscient du défi d’amener les participants à réaliser la valeur de leur régime. Mis sur pied en 1987 à l’initiative de la ­CSN, ­Bâtirente est un système de retraite collectif qui regroupe l’épargne de quelque 300 groupes syndiqués et 26 000 travailleurs, pour un actif total de près d’un milliard de dollars. « ­On a un responsable dans chaque groupe dont le rôle est de convaincre les gens de la valeur du régime, et ça a été tout un défi avec la chute des rendements en 2022. Ce n’est pas si simple de faire comprendre aux participants qu’une hausse de sa cotisation, ce n’est pas l’équivalent d’une baisse de salaire. Et de la même façon, une augmentation de la cotisation de l’employeur, c’est en quelque sorte une augmentation de salaire. »

«Les gens ne savent pas qui aller voir avec leur argent. C’est pour ça qu’on a colmaté la brèche en offrant le décaissement, mais on a aussi commencé à organiser des séances de préparation à la retraite avec notre fournisseur deux ou trois fois par année. »

 – Denis Roy, UPA

Des communications ciblées… avec doigté

Les plus grands défis auxquels sont confrontés les régimes ­CD ne sont pas forcément liés aux aspects techniques de conception, de stratégies d’investissement ou encore de gouvernance. Dans bien des cas, ce sont les difficultés de communication qui donnent des maux de tête aux promoteurs.

Intact mise sur les communications régulières et ciblées auprès de ses participants pour que ­ceux-ci puissent pleinement tirer parti de leur régime. « ­On envoie des messages ciblés et on met en œuvre des campagnes de sensibilisation lorsque l’on constate que des gens sont mal investis, par exemple », indique ­Claudie ­Brunelle.

Les promoteurs doivent néanmoins faire preuve de prudence lorsqu’ils ont recours aux communications personnalisées, car ­celles-ci ne sont pas toujours bien accueillies par les participants.

« ­Nous aussi, on fait des communications ciblées, mais on a eu de drôles de réactions de la part des participants, relate ­Hélène ­Thibault, de ­WSP. Certains étaient outrés et nous disaient de nous mêler de nos affaires ! ­Beaucoup de ces commentaires provenaient de gens à qui on avait indiqué que leur portefeuille était trop pondéré en actions pour leur âge. On a donc un peu ajusté notre approche. C’est important de garder en tête que les gens ont des placements à l’extérieur du régime, en tant qu’employeur on n’a pas le portrait complet. Il faut donc être prudent avec les communications ciblées. »

Claudie ­Brunelle a elle aussi demandé que certains critères utilisés par le fournisseur pour envoyer des communications ciblées soient modifiés. « ­Je trouvais parfois que c’était trop intrusif, ­affirme-t-elle. À mon avis, un employé de 30 ans a le droit d’investir largement en actions sans que l’on remette son choix en question. J’avais aussi une réserve à signaler aux gens qu’ils n’avaient pas fait de choix de placement. Certains pourraient potentiellement en déduire que l’option par défaut n’est pas bonne. »

Le décaissement, lentement mais sûrement

L’intégration de solutions de décaissement à même les régimes d’accumulation de capital anime les discussions dans l’industrie depuis maintenant plus d’une décennie, mais force est de constater que le progrès en la matière demeure timide, en dépit d’un intérêt grandissant de la part des promoteurs.

Bell fait partie des premiers employeurs à s’être lancés dans l’aventure. « ­Nous avons mis en place le décaissement dans le régime il y a deux ou trois ans. Ça a engendré beaucoup de stress au début, mais l’entreprise a fini par comprendre que ça ne créait par de risque additionnel pour elle », relate ­Robert ­Marchessault.

Le géant des télécommunications a pris la décision d’offrir à ses retraités ­CD la possibilité de recevoir des rentes viagères à paiements variables parce que leur expérience était jugée moins bonne que celles des retraités ­PD. « ­Avant, c’était « ramasse ton actif et pars avec », regrette M. Marchessault. Ce n’est pas ce que l’on voulait pour nos retraités. L’objectif est qu’ils soient heureux et qu’ils continuent d’être des ambassadeurs pour ­Bell. »

Le principal défi d’une solution de décaissement, ­poursuit-il, ne se trouve pas du côté de la gouvernance, mais plutôt de l’éducation des participants. « ­On l’a appris à nos dépens. La réaction initiale des employés a été : « Pourquoi l’employeur fait ça ? C’est sûr qu’il y a une pogne quelque part ! » »

Des rencontres avec le syndicat ont été organisées pour trouver des moyens de faire la promotion de l’option de décaissement et rassurer les employés. À l’heure actuelle, environ 20 % des retraités du régime ­CD de ­Bell reçoivent des prestations variables. « Ça fonctionne bien, mais pas de façon exponentielle pour le moment », admet ­Robert ­Marchessault. L’adhésion n’est pas automatique, ils doivent s’inscrire. Il faut dire que les gens qui partent à la retraite actuellement ont la plupart une rente ­PD d’accumulée en parallèle, ils préfèrent donc garder l’actif dans leur régime ­CD plus liquide. Et peu importe, il y en a toujours qui vont aller voir leur ­beau-frère ou leur conseiller à la banque plutôt que de faire confiance au décaissement du régime. »

« ­Tu te bats beaucoup contre le gars de la banque, confirme Éric ­Filion. Si tu ne commences pas tôt à parler de l’option de décaissement, tu laisses la relation avec l’institution financière s’installer. C’est difficile quand tu as peu de notoriété de concurrencer le banquier qui conseille ton participant depuis 20 ans. Ça prend du temps bâtir une relation de confiance. »

Le temps semble néanmoins bien faire les choses. Le décaissement à même le régime est offert depuis 10 ans à ­Bâtirente, et le taux d’adhésion atteint maintenant 75 %. « ­Ce n’est plus nous qui convainquons les participants d’adhérer, ce sont les retraités qui en bénéficient depuis des années qui le font. Le bouche-à-oreille, c’est puissant », affirme M. Filion.

Bell espère également que le ­bouche-à-oreille parviendra à mousser la popularité des prestations variables au cours des prochaines années. En attendant, l’entreprise mise sur la flexibilité pour convaincre ses participants. ­Ceux-ci peuvent en effet sortir du programme de décaissement à tout moment, et ils ont la possibilité de transférer leurs actifs accumulés dans le ­REER collectif et le ­CELI collectif vers le régime ­CD, un avantage indéniable pour simplifier la stratégie de revenus de retraite. « Étrangement, quand on a lancé le décaissement, c’était beaucoup les participants du régime ­PD qui voulaient l’utiliser pour décaisser leur ­REER collectif ! », dit ­Robert ­Marchessault.

L’UPA a également fait le saut vers les prestations variables il y a quelques années. Là aussi, le programme est apprécié, mais encore ­sous-utilisé. Sur une trentaine de départs à la retraite cette année, une dizaine de participants ont adhéré à la solution de décaissement, précise ­Denis ­Roy, pour qui l’option s’inscrit dans une stratégie à long terme. « ­Avant, on n’avait rien à proposer à nos participants, ils devaient partir avec leur argent et aller voir quelqu’un. Là, au moins, l’option de conserver l’actif dans le régime existe. On essaie de les mettre en garde face au marché de détail et ses frais de gestion élevés. » ­Le promoteur permet aussi à ses participants de transférer leur actif accumulé dans des comptes personnels dans le régime ­CD, ce qui leur permet d’avoir un coup d’œil complet sur leur épargne.

WSP n’offre pas d’option de décaissement pour l’instant, mais a entamé une réflexion sur le sujet. « ­Du point de vue de l’expérience employé, c’est une belle solution », admet ­Hélène ­Thibault.

La question est un peu différente pour ­Intact, puisque les employés peuvent choisir entre un régime ­CD ou un régime ­PD. « ­On ne s’attend pas à avoir des actifs considérables dans le régime ­CD, puisqu’on voit un transfert vers le régime ­PD s’opérer vers un certain âge, souligne ­Claudie ­Brunelle. Le décaissement n’est donc pas sur notre radar à l’heure actuelle, mais à mesure que des options vont être implantées dans l’industrie et que les possibilités vont s’élargir, on pourrait reconsidérer la question. »

Interfor ne prévoit pas non plus offrir une option de décaissement à même son régime ­CD prochainement.

«Plus on offre de la flexibilité, plus les gens sont intéressés et participent aux programmes. Notre but n’est pas nécessairement de créer le meilleur régime CD en ville, mais plutôt le meilleur programme global d’épargne. »

 – ­Robert Marchessault, Bell

Un besoin criant d’accompagnement

Qu’ils bénéficient ou non d’une option de décaissement, les participants de régimes d’accumulation de capital ont un cruel besoin d’accompagnement et de conseil, et à ce chapitre, certains promoteurs ont fait preuve d’imagination.

Philippe ­Keough, d’Interfor, a par exemple entrepris il y a quelques années d’organiser des séances préretraite individuelles avec les employés qui le désirent et leurs conjoints. « ­Le but est qu’ils sachent quelles questions se poser et où obtenir l’information dont ils ont besoin, ­explique-t-il. Au début, il y avait peu de participation, mais maintenant, les gens dans les usines m’attendent. C’est vraiment une initiative très appréciée par les employés. »

Lors de ces rencontres, que M. Keough réalise ­lui-même dans le cadre de ses visites périodiques dans les usines de l’entreprise situées dans le nord du ­Québec et de l’Ontario, les questions de l’âge de la retraite, de la provenance des revenus à la retraite (régimes publics, régime de l’entreprise, épargne personnelle), tout comme les considérations entourant la succession et les assurances sont abordées. Il juge également primordial de toucher au volet non financier de la retraite.

« ­Certains travailleurs n’ont absolument rien planifié. J’essaie de leur donner des idées d’activités, de loisirs, de façons de rencontrer des gens lorsqu’ils n’auront plus de contacts quotidiens avec leurs collègues, raconte M. Keough. Certains envisagent une « retraite ­Netflix » qui ne coûte pas trop cher, mais d’autres ont des projets de se construire un chalet ou de faire des voyages de chasse et pêche. Les implications financières ne sont pas les mêmes. »

Il a eu l’idée de mettre en place ces rencontres personnalisées en réponse au très faible taux de participation aux séances de groupe organisées par l’assureur. « ­Des représentants du fournisseur ont effectué quelques visites sur nos lieux de travail, mais la dernière fois, il n’y a eu aucun participant sur quatre usines », ­déplore-t-il, en pointant du doigt le caractère souvent trop générique des séances d’information données par les assureurs.

« ­On avait même déjà essayé d’offrir des rencontres gratuites avec des planificateurs financiers indépendants de notre fournisseur, mais la seule personne à s’être inscrite, c’était moi !, s’­exclame-t-il.

Les gens se méfient et pensent que le fournisseur est là pour leur vendre quelque chose. Moi, comme je suis un représentant de l’employeur, les employés me font davantage confiance. »

Bien que la technologie lui permettrait désormais de mener ses rencontres individuelles à distance avec les employés, ­Philippe ­Keough privilégie encore la formule face à face. « ­Notre population d’employés n’est pas très techno, même de jeunes employés de 30 ans n’ont parfois pas d’adresse courriel ou d’ordinateur. Les gens veulent vraiment parler à quelqu’un en personne. »

Denis ­Roy constate aussi le besoin de soutien qu’ont ses travailleurs approchant de la retraite, souvent désemparés face aux nombreuses décisions à prendre. « ­Les gens ne savent pas qui aller voir avec leur argent, ­dit-il. C’est pour ça qu’on a colmaté la brèche en offrant le décaissement, mais on a aussi commencé à organiser des séances de préparation à la retraite avec notre fournisseur deux ou trois fois par année. »

Un des objectifs de ces rencontres est de mousser l’option de décaissement de façon à conserver le plus d’argent possible dans le régime. « ­Les séances sont maintenant offertes en format virtuel et autant l’employeur que le syndicat en font la promotion. Les commentaires des participants et les taux de participation sont excellents », rapporte M. Roy.

À ­WSP, les participants peuvent obtenir des conseils financiers indépendants de la part de salariés du fournisseur. Autrefois réservé aux employés à dix ans ou moins de la retraite, ce service est désormais accessible à tous. « ­Il est toutefois vraiment important que les conseillers qui donnent les consultations ne soient pas rémunérés avec des commissions, insiste ­Hélène ­Thibault. On ne veut pas que, quand nos employés appellent pour obtenir des conseils, ils se retrouvent perdus dans le marché de détail avec des représentants qui vont essayer de leur vendre des produits. »

Bâtirente a pour sa part un programme d’accompagnement bien rodé et connu des participants. « ­On a six planificateurs financiers sur la route qui rencontrent les employés à partir de 55 ans, explique Éric ­Filion. Ils font le tour de la planification de revenu de retraite et s’assurent que le profil d’investisseur convient au participant. Sur environ 400 départs à la retraite chaque année, on en rencontre environ 300. »

Les participants à la table ronde soulignent néanmoins que l’éducation financière est la responsabilité de l’ensemble de la société, pas seulement des employeurs. « ­Le niveau de littératie financière est faible au ­Québec. Les gens connaissent peu les notions de budget, de crédit, d’hypothèque. Oui, les employeurs ont un rôle à jouer, mais le défi est beaucoup plus large. La sensibilisation doit débuter dès l’enfance », estime ­Claudie ­Brunelle. Intact a notamment développé des petits modules de formations en ligne portant sur différentes notions, notamment l’élaboration d’un budget, l’investissement et les revenus de retraite.

Le programme de santé et ­mieux-être de ­WSP comporte pour sa part un volet financier. Différents webinaires abordent des éléments de littératie financière.

« ­Avec les régimes ­CD, il faut commencer l’éducation plus jeune, renchérit ­Robert ­Marchessault. Si on commence à leur parler de planification de la retraite à 55 ans, bien des participants réalisent qu’ils auraient dû commencer à y penser avant. Améliorer le niveau de littératie financière de nos participants sera notre cheval de bataille dans les deux ou trois prochaines années, on veut vraiment investir ­là-dedans. L’idée est d’abord de leur parler de choses plus près d’eux pour commencer, la gestion des cartes de crédit, par exemple. On ne veut pas juste leur parler du régime de retraite. »

Bâtirente travaille aussi à bonifier les connaissances financières de ses participants. « ­On essaie entre autres de leur faire comprendre la valeur des frais réduits de notre régime, souligne Éric ­Filion. Les gens vont dans une institution financière avec leurs placements et paient des frais de gestion de 2,5 %, mais sont convaincus qu’ils n’en déboursent pas. »

«Tu te bats beaucoup contre le gars de la banque. Si tu ne commences pas tôt à parler de l’option de décaissement, tu laisses la relation avec l’institution financière s’installer. C’est difficile quand tu as peu de notoriété de concurrencer le banquier qui conseille ton participant depuis 20 ans. Ça prend du temps bâtir une relation
de confiance. »

 – ­Éric Filion, Bâtirente

Les actifs non traditionnels sur la glace, mais pas l’ESG

Il n’y a plus de doute possible, les fonds de type cycle de vie dominent presque sans partage le marché des régimes d’accumulation de capital. On ne peut pas en dire autant des catégories d’actifs non traditionnels, qui peinent toujours à s’y tailler une place. Les participants de la table ronde ressentent toutefois l’urgence d’agir au chapitre de l’intégration des placements ­ESG.

À ­Interfor, de 80 % à 85 % des participants sont investis dans des fonds cycle de vie offerts en trois profils : audacieux, équilibré et prudent. À l’UPA, on a même fait le choix de ne pas offrir de fonds à la carte, mais les participants peuvent modifier l’âge de la retraite et le profil d’investisseurs des fonds cycle de vie disponibles. « ­On ne remarque pas de grands écarts de rendements entre les différentes dates d’échéance et profils d’investisseurs, même avec les importantes fluctuations de marché qu’on a connues dernièrement », note ­Denis ­Roy.

Chez ­Bell aussi, les fonds cycle de vie sont dominants avec un taux d’adoption de 90 % parmi les participants. « ­On a seulement un profil et on n’a jamais reçu de plainte. On essaie de garder ça simple, parce que quand on donne trop d’informations, on perd les gens. S’ils veulent prendre plus de risque, ils peuvent le faire avec les fonds à la carte », expose ­Robert ­Marchessault.

«Le niveau de littératie financière est faible au Québec. Les gens connaissent peu les notions de budget, de crédit, d’hypothèque. Oui, les employeurs ont un rôle à jouer, mais le défi est beaucoup plus large. La sensibilisation doit débuter dès l’enfance. »

 – ­Claudie Brunelle, Intact Corporation financière

Chaque année, le régime calcule le taux de remplacement du revenu à la retraite basé sur le fonds à date cible, qui bat systématiquement le rendement obtenu par les participants qui construisent leurs propres portefeuilles avec les fonds à la carte, ­poursuit-il.

Mais contrairement à la très grande majorité des régimes ­CD, celui de ­Bell n’est pas hébergé sur une plateforme d’assureur. Il partage plutôt la plateforme d’investissement du régime ­PD de l’entreprise, ce qui rend possible l’intégration de stratégies beaucoup plus sophistiquées à faible coût. « ­Dans notre fonds cycle de vie, on a de l’infrastructure, de l’immobilier, des placements privés, bref, toutes les catégories d’actifs auxquelles on est exposé dans notre régime ­PD », ­explique-t-il.

Sortir des traditionnelles actions et obligations est en revanche plus complexe pour les promoteurs qui n’ont pas accès au raffinement d’un régime ­PD. « ­Nous n’avons pas beaucoup de placements non traditionnels dans nos fonds cycle de vie, mentionne ­Hélène ­Thibault. Pour l’instant, on mise davantage sur l’offre de fonds à la carte pour intégrer les fonds non traditionnels et ­ESG. » ­Il faut dire que les fonds à la carte jouissent d’une certaine popularité à ­WSP, récoltant l’adhésion de 40 % des participants, malgré le fait que les fonds cycle de vie soient désignés comme option par défaut.

« ­On vient de modifier notre offre à la carte en retirant certains fonds qui n’étaient pas bien notés du point de vue ­ESG pour les remplacer par d’autres, ­ajoute-t-elle. De nouvelles options commencent à arriver du côté de notre assureur. Pour l’intégration dans les fonds à date cible, on est encore au stade des discussions. Ce n’est pas aussi facile. Ce qui est certain, c’est qu’on reçoit des demandes de nos employés pour plus d’options ­ESG. »

L’intégration ­ESG est également une préoccupation devenue incontournable à ­Intact. « ­On a réalisé une évaluation de notre profil ­ESG pour l’ensemble de nos fonds ­CD avec l’aide de notre consultant. Résultat : 80 % ont obtenu un bon profil ­ESG », se réjouit ­Claudie ­Brunelle.

Intact n’est pas encore fixé sur la meilleure façon d’intégrer les placements ­ESG à son régime ­CD. Offrir pour chaque fonds une option ­ESG et une option ­non-ESG, au risque de mélanger les participants ? ­Ou bien proposer seulement un choix restreint de fonds ­ESG dans quelques catégories d’actifs ? « ­Je crains que les participants les plus ­pro-environnement ne choisissent que ça, et que leur portefeuille ne soit pas assez diversifié, poursuit ­Mme ­Brunelle. Ce n’est pas évident, on est toujours en réflexion. »

Situation semblable à l’UPA, qui en est encore au début du processus. « ­On a commencé à poser des questions à nos gestionnaires », soutient ­Denis ­Roy. En tant qu’organisation rassemblant des producteurs agricoles, l’UPA aimerait particulièrement être en mesure de suivre au sein de ses portefeuilles le critère « faim zéro », l’un des 17 objectifs de développement durable des ­Nations ­Unies. « C’est difficile pour le moment d’obtenir des données sur ce critère précis, mais on veut inciter les gestionnaires à compiler des données à cet égard, parce que c’est un sujet qui nous tient particulièrement à cœur vu la nature de notre organisation. »

Figurant parmi les premiers signataires des ­Principes pour l’investissement responsable, en 2006, ­Bâtirente a été un précurseur en intégration des critères ­ESG au ­Québec. Son portefeuille obligataire est par exemple composé à 80 % d’obligations vertes. L’organisation vise par ailleurs à réduire de 50 % son empreinte carbone entre 2020 et 2025. « ­Notre vision, c’est de réconcilier investissement et société, sans avoir besoin de sacrifier de rendements, explique Éric ­Filion. Quand on a commencé au début des années 2000, c’était mal vu qu’une société syndicale fasse des placements. On a réussi à changer les perceptions avec ­Bâtirente. »

«On avait déjà essayé d’offrir des rencontres gratuites avec des planificateurs financiers indépendants de notre fournisseur, mais la seule personne à s’être inscrite, c’était moi ! Les gens se méfient et pensent que le fournisseur est là pour leur vendre quelque chose. »

 – ­Philippe Keough, Interfor

Une équipe interne est responsable de la sélection des fonds et de la relation avec les gestionnaires. Par le biais de sa filiale Æquo, l’investisseur fait de l’engagement actionnarial en assistant aux assemblées des actionnaires et en mettant de la pression sur les banques canadiennes et les sociétés pétrolières avec des propositions d’actionnaires. « ­Les banques nous connaissent par notre petit nom, et on demande aux pétrolières d’avoir un vrai plan climat, pas seulement une bannière sur leur site web, lance M. Filion. On a une très grande ouverture de la part de nos gestionnaires. On veut montrer qu’on est capable de faire mieux en ­ESG sans sacrifier notre profil risque-rendement. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2023 du magazine Avantages.
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