Les employeurs vivent une période tendue en ce moment. À la détérioration de la santé physique et mentale des travailleurs, vestige de la pandémie, s’ajoutent le problème de la pénurie de main- d’oeuvre et la forte poussée inflationniste. Tous ces éléments forcent les promoteurs de régimes d’avantages sociaux à ajuster leurs programmes liés à la santé et au mieux-être des employés. Vous avez manqué notre conférence Régimes collectifs & santé au travail en novembre dernier ? En voici les faits marquants.

Mieux-être et avantages sociaux : la nouvelle réalité

La pandémie et le contexte économique ont ajouté de nombreux défis sur les épaules des employeurs. William ­Lindsay, conseiller principal en gestion et prévention des invalidités chez ­Desjardins, a exposé les principaux changements observés dans l’industrie et les moyens de relever ces nouveaux défis.

­En début d’année, 35 % des ­Canadiens se sentaient épuisés et un autre 35 % disait souffrir de symptômes de détresse psychologique, mentionne ­William ­Lindsay. Avec de telles données, la crise de la santé mentale est loin d’être terminée ! »

On constate aussi la prise de poids, le manque de sommeil et l’augmentation de la consommation d’alcool. « ­Entre le confinement et le télétravail, nous sommes devenus des sédentaires chroniques », ­ajoute-t-il.

Finalement, la santé financière est la cause de stress numéro un pour 38 % des ­Canadiens.

La détérioration de l’état de santé des employés a eu une incidence sur les employeurs. Outre l’augmentation importante des demandes d’invalidité, particulièrement celles liées à la santé mentale, les employeurs font face à une « grande démission ». « ­Deux travailleurs sur trois envisagent de changer d’emploi, mentionne ­William ­Lindsay. Et 55 % des organisations ont des difficultés à recruter. »

La situation n’a fait qu’augmenter l’intérêt pour les assurances collectives. « ­Pour 71 % des employés, c’est la raison principale de demeurer en poste », ­indique-t-il.

Outre la télémédecine, que 82 % des employés souhaitent voir dans leur régime de base d’assurance collective, l’ajout de comptes de ­mieux-être ou de comptes de dépenses en soins de santé peut favoriser le ­mieux-être des employés.

Un autre levier pour les employeurs est d’augmenter les maximums couverts pour les services liés à la santé mentale. « ­On ne va pas régler la crise de santé mentale en remboursant seulement cinq séances avec un psychologue. »

Les conditions de travail vont également permettre de garder en poste des employés sains dans une entreprise saine. « ­Il faut repenser l’organisation du travail, ­croit-il. On peut offrir des journées de santé mentale pour se reposer, de quatre à six semaines de vacances par année ou des semaines de quatre jours, par exemple. »

Certains employeurs offrent désormais la possibilité de travailler à l’étranger, des espaces de travail partagés en plein air, un fonds d’urgence parrainé pour les femmes ou une politique de soutien à la ménopause. « ­La flexibilité est devenue le facteur de ­mieux-être le plus important, indique ­William ­Lindsay. Les organisations ont besoin d’une bonne réflexion et d’une bonne stratégie. »


Des régimes soucieux de l’équité, de la diversité et de l’inclusion

Les avantages d’intégrer l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) dans les régimes d’assurance collective sont nombreux. Gina ­Kawak, directrice, régimes d’assurance médicaments à ­Manuvie, a fait valoir les stratégies à adopter en la matière.

Lorsqu’un employeur priorise la diversité dans son entreprise, l’inclusion ne suit pas automatiquement. « ­Pour un employeur, l’inclusion consiste à s’assurer que les personnes marginalisées ont un sentiment d’appartenance, ­explique-t-elle. Pour un employé, l’inclusion, c’est se sentir assez à l’aise pour affirmer sa personnalité au travail et se sentir valorisé. »

Quant à l’équité, elle présuppose que tout le monde ait les mêmes chances d’être en aussi bonne santé que possible, ce qui implique que certaines personnes puissent avoir besoin de plus de ressources.

Intégrer des principes d’EDI aux régimes d’assurance collective augmente le sentiment d’appartenance des employés, qui sont alors plus efficaces et plus engagés. On note une augmentation de 56 % du rendement, une réduction de 50 % du risque de roulement de personnel et une réduction de 75 % des congés de maladie.

Pour intégrer les principes d’EDI dans les régimes d’avantages sociaux, il faut détecter les lacunes dans l’offre actuelle, communiquer avec les employés pour connaître leurs impressions, fixer des objectifs réalistes, établir un plan avec des solutions et des échéances, tout cela en privilégiant un langage simple et accessible.

« ­Certains assureurs ont créé une offre de produits pour les clients qui veulent inclure la garantie d’affirmation de genre, note ­Gina ­Kawak. Le produit couvre les dépenses chirurgicales de féminisation ou de masculinisation qui ne sont pas couvertes par la province. »

Des garanties de planification familiale pour les traitements contre l’infertilité, la maternité de substitution et l’adoption font également partie des principes d’EDI. « ­Il est important de vérifier que les congés de maternité sont aussi offerts dans le cadre des maternités de substitution et de l’adoption », ­ajoute-t-elle.

Les promoteurs de régime peuvent également couvrir les consultations auprès d’un psychologue, d’un travailleur social, d’un conseiller clinique, d’un thérapeute matrimonial et familial, d’un psychanalyste ou d’un psychothérapeute. « ­On pense que cela peut diminuer le temps d’attente pour avoir accès aux soins, surtout dans les communautés éloignées », mentionne ­Gina ­Kawak.


Comprendre le rôle des organismes destinés aux patients

Myélome ­Canada, organisme dirigé par ­Martine ­Elias, vient en aide aux ­Canadiens atteints du myélome multiple, un cancer non guérissable qui est le deuxième type le plus commun parmi les cancers du sang. Bien que l’espérance de vie des personnes atteintes soit de cinq à dix ans, elle a été prolongée au cours des dernières années grâce à de nouveaux traitements très coûteux. 

La mission de l’organisme consiste à améliorer la vie de tous les ­Canadiens touchés par le myélome, notamment en favorisant l’accès à de meilleurs soins et traitements. « ­Nous avons des programmes d’éducation, de sensibilisation, de recherche et de défense des droits », explique ­Martine ­Elias.

Myélome ­Canada a un rôle à jouer dans le long parcours vers l’approbation d’un nouveau traitement qui permettra de prolonger la vie des patients et de leur offrir une meilleure qualité de vie. « ­Nous avons des possibilités d’apporter, dans le processus d’approbation d’un médicament, nos commentaires sur un médicament, explique la directrice générale. Pour ce faire, nous interrogeons les patients afin de savoir comment ils vivent avec les symptômes de la maladie et avec les effets secondaires des médicaments. »

Martine ­Elias croit que les assureurs devraient être plus sensibilisés aux barrières sur lesquelles plusieurs patients se butent pour obtenir des remboursements.

Elle a relaté le parcours de quelques patients, dont celui d’un homme qui a reçu son diagnostic au moment où son employeur changeait d’assureur. « ­Comme il était en arrêt de travail, il était couvert par la première compagnie d’assurance pour ses prestations d’invalidité, ­raconte-t-elle. Il n’a pas pu retourner travailler, car en abandonnant son assurance invalidité avec son premier assureur, il aurait eu des problèmes à se faire assurer avec le nouvel assureur. »

Une autre patiente, âgée de 69 ans, avait besoin d’un traitement qui n’était couvert ni par le régime provincial ni par son régime privé. Son conjoint, avec l’aide de ­Myélome ­Canada, a réussi à recueillir 73 000 $ en dons et l’assureur privé a finalement accepté de rembourser la somme. « L’accès aux médicaments, c’est un problème pour les personnes qui vivent avec un cancer », déplore ­Martine ­Elias.


Prévention et soutien face à la hausse des troubles de santé mentale

Les sondages ne cessent de confirmer une détérioration de la santé mentale des ­Canadiens. Les conséquences économiques sont d’autant plus importantes que la prise en charge de cette problématique s’avère de plus en plus difficile. Il faut donc agir en prévention et faire preuve de créativité pour accompagner les employés, comme le suggère ­Valérie ­Legendre, directrice, solutions en santé mentale à ­Sun ­Life.

Avant la pandémie, les problèmes liés à la santé mentale étaient déjà les premières causes de demandes d’invalidité de longue durée. « ­Le ­Conference ­Board du ­Canada a démontré que les troubles de santé mentale engendrent annuellement près de 21 milliards de dollars en perte de productivité pour les organisations, et on estime que cela grimpera encore de dix milliards d’ici 2030 », avance ­Valérie ­Legendre. La dépression constitue la première cause d’invalidité. « ­Avant la pandémie, moins de un ­Canadien sur cinq rapportait avoir eu un diagnostic de dépression, note ­Valérie ­Legendre. Cette proportion s’élève maintenant à un sur quatre. »

Malheureusement, un accès restreint à des soins optimaux se traduit par un taux de rétablissement inférieur ou une période de rétablissement prolongée. Actuellement, les professionnels en santé mentale sont moins nombreux en région éloignée et les médecins de famille se sentent souvent moins compétents puisque ce n’est pas leur spécialité.

Un sondage mené par ­Sun ­Life en avril dernier révèle que 60 % des répondants disent ne pas avoir obtenu l’aide dont ils avaient besoin. « ­Le manque de diversité des soins spécialisés est aussi un obstacle », ajoute ­Valérie ­Legendre.

La santé mentale des ­Canadiens exige une implication de tous les acteurs. « D’après une récente enquête du ­Conference ­Board, il y a encore un travail à faire pour que les organisations se conforment à la ­Norme nationale sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail », ­précise-t-elle.

Sun ­Life a récemment développé un ­projet-pilote de coach en santé mentale qui permet d’outiller et de sensibiliser le participant, de l’accompagner, de le responsabiliser et de le guider. Cette nouvelle solution a entraîné une réduction de 74 % de la gravité des symptômes liés à l’anxiété généralisée, de 65 % de la gravité des symptômes liés à la dépression et de 69 % de la gravité des symptômes liés aux troubles du sommeil.


Santé mentale : au-delà du rendement du capital investi

La hausse des réclamations liées à la santé mentale nécessite une mobilisation des organisations. Éric ­Nauss, ­vice-président, ­Québec, et ­Miguel ­Fried, directeur principal, solutions ­Santé pour ­La ­Corporation ­People, ont fait part des améliorations à apporter dans la conception, l’administration et la valorisation des régimes d’avantages sociaux.

« ­Au début de la pandémie, les employés étaient résilients, a souligné Éric ­Nauss. Mais on constate un certain essoufflement et un désengagement. On voit aussi des pratiques de gestion qui n’ont pas suivi, un isolement, une certaine confusion quant aux services offerts, des incohérences dans les programmes et des problèmes d’accessibilité. »

Les facteurs de risque les plus souvent associés à l’épuisement professionnel sont : une charge de travail excessive, la perception du manque de contrôle des employés dans leurs fonctions, les récompenses vues comme mineures par rapport aux efforts requis, le manque de soutien, les défis d’équité et l’incohérence entre la valeur des individus et les organisations.

Éric ­Nauss recommande d’agir sur trois volets pour accroître la santé mentale des employés. Tout d’abord, il faut être capable de mobiliser les bons employés. « Demander à un marathonien de faire plus de sport, ce n’est ­peut-être pas ça qui aura le plus d’effet », ­illustre-t-il. Ensuite, il faut prendre en compte l’environnement de travail, qui a évolué. Finalement, il faut agir sur la culture d’entreprise et aider les gestionnaires à soutenir les employés.

Pour illustrer les erreurs à éviter, ­Miguel ­Fried a employé le scénario fictif d’un employé malade qui ne reçoit pas le soutien de sa gestionnaire, peine à obtenir un ­rendez-vous médical, puis à trouver un psychologue, et qui se retrouve dans une situation financière précaire parce que son régime d’assurance ne couvre que quelques séances de psychothérapie. « ­Cela engendre des répercussions pour l’employé, mais aussi pour l’employeur, avise ­Miguel ­Fried. Sans compter la surcharge de travail pour les collègues, les plaintes de clients, les efforts et les coûts de recrutement pour le remplacer. »

Miguel ­Fried insiste sur la nécessité d’avoir une approche différente, avec des rencontres proactives entre la gestionnaire et l’employé, une amorce de traitement en amont avant que l’employé atteigne sa limite, une consultation médicale possible sans délai et un accès à des services ayant une incidence financière moins grande pour l’employé. « ­La qualité la plus importante d’un gestionnaire, c’est la communication, qu’elle soit verbale ou non verbale », ajoute ­Miguel ­Fried.


Des programmes de mieux-être adaptés à la nouvelle réalité


Bien que les dernières années aient été difficiles pour la santé mentale de tous, ­Annie ­Payant, conseillère santé et ­mieux-être à ­SNC-Lavalin, a vu des changements s’opérer. « ­Il y a eu beaucoup d’ouverture pour simplement parler de santé et de ­bien-être. Cela ouvre des portes aux échanges et aux discussions, et la culture évolue. »

Geneviève ­Hébert, directrice, rémunération globale à ­UAP, se réjouit pour sa part d’avoir mis en place un programme de santé globale en 2020‑2021 au sein de son organisation. « ­Notre première initiative a été des formations sur la santé mentale adressées aux gestionnaires, ­explique-t-elle. On a rendu ces formations obligatoires en voulant lancer le message que pour nous la santé mentale était une priorité. On voulait outiller les gestionnaires pour diriger les employés aux bons endroits quand ils en avaient besoin et pour qu’ils prennent soin d’­eux-mêmes aussi. »

Geneviève ­Hébert constate que cela a ouvert les discussions. « ­Maintenant, cela fait partie de la normalité de parler de santé mentale », se ­réjouit-elle.

De son côté, ­Annie ­Payant s’est demandé pourquoi les employés avaient peu recours aux ressources disponibles dans le programme d’aide aux employés et a cherché un moyen de faire mieux connaître l’offre de soutien. « ­On a constaté que c’est l’orgueil qui fait qu’on ne veut pas demander de l’aide, ­dit-elle. On a voulu démystifier la thérapie, notamment avec des webinaires gratuits. »

L’autre mesure dont ­Annie ­Payant est particulièrement fière est l’offre de ­rendez-vous de 30 minutes avec la thérapeute du programme d’aide. « ­Les plages horaires se sont remplies en une ­demi-journée et nous avons même ajouté une deuxième journée. La thérapeute m’a dit qu’il lui arrive de se présenter en entreprise pour une situation de crise et de rester assise dans un bureau vide. Là, tout le monde est venu, personne n’a annulé ! C’était une petite initiative, mais ça a permis aux gens de s’ouvrir à la thérapie. Si on réussit à attraper des employés qui vont moins bien, cela va devenir préventif. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2022 du magazine Avantages.
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