Le taux de remplacement du revenu de retraite des participants de régimes de capitalisation connaît une érosion continue. Comment l’industrie ­peut-elle renverser la vapeur ?

Depuis 2006, ce ratio est tombé  d’une tranche comprise entre 80 et 85 %, selon le sexe, à une autre située entre 55 et 60 % en décembre 2019, montre l’indice de suivi des régimes de capitalisation de la firme ­Eckler.

Pourtant, cette chute s’est produite alors que les marchés financiers ont été haussiers durant les onze dernières années. Cette période historique de hausse n’a pas permis d’éviter le recul du taux de remplacement du revenu de retraite.

Plusieurs raisons expliquent cette diminution. Pour faire face à la crise financière de 2008‑2009, les banques centrales ont abaissé leurs taux d’intérêt à des niveaux historiquement faibles. Cela a conduit à un moindre rendement des placements rémunérés par l’intérêt, comme les obligations. De manière générale, les gains proposés par les marchés financiers ont suivi cette tendance, en offrant des rendements sans rapport avec ce qu’ils étaient dans les décennies précédentes.

Les gains en matière d’espérance de vie ont aussi contribué à la baisse du taux de remplacement. « ­Aujourd’hui, à l’âge de 65 ans, un ­Canadien peut raisonnablement envisager de vivre jusqu’à 90 ans », observe ­Dany ­Pineault, conseiller stratégique en développement de produits à ­Solutions d’assurance et d’épargne collectives ­Industrielle ­Alliance. Il faut donc disposer de davantage d’actifs ou de revenus pour financer ces 25 années sans revenus de travail.

Si le taux de remplacement s’érode, la raison est aussi à chercher du côté des frais de gestion des placements, souligne F. Hubert ­Tremblay, conseiller principal du domaine ­Avoirs chez ­Mercer. « ­Ces frais sont élevés dans le système de retraite canadien, ce qui fait baisser le niveau d’épargne à long terme. »

Un indice à relativiser

La diminution du taux de remplacement doit cependant être relativisée. « ­Dans un monde idéal, on devrait personnaliser pour chaque individu le taux de remplacement du revenu des régimes à cotisation déterminée, indique ­Dany ­Pineault. C’est ce travail que les planificateurs financiers essaient de faire. » ­En effet, comment attribuer le même niveau de remplacement à un individu propriétaire de sa résidence et à un autre qui devra payer un loyer durant toute sa retraite ?

Mais dans la réalité, les participants ne font pas ce travail de personnalisation, note ­Dany ­Pineault. L’adage qui veut que 70 % du revenu d’activité est nécessaire pour vivre durant la retraite est encore vu comme une norme. Cette règle empirique est de plus en plus remise en question, car ce n’est pas la bonne méthode pour déterminer le revenu nécessaire à la retraite, ­souligne-t-il.

L’analyse ne devrait pas être basée sur la totalité du revenu, mais sur le revenu qu’il reste, une fois les dépenses essentielles payées, pour vivre et avoir du plaisir : « C’est ce chiffre qu’on veut garder pour la retraite », explique M. Pineault. De plus, les cotisations des participants ne sont pas linéaires tout au long de leur carrière, donc on ne devrait pas s’appuyer sur un ratio fixe quel que soit l’âge et la situation du participant. « C’est à l’industrie que revient ce gros travail de rendre ses outils plus sophistiqués afin que les participants puissent voir s’ils s’en vont vers un remplacement de revenu aligné avec leurs besoins à la retraite », ­affirme-t-il.

La baisse du taux de remplacement doit aussi être relativisée parce que cela revient à vouloir appliquer les règles des régimes à prestations déterminées aux régimes à cotisation déterminée. Or, même si les régimes ­CD ont été conçus pour obtenir le même taux que les régimes ­PD, l’expérience montre qu’ils n’y parviennent pas, affirme F. Hubert ­Tremblay. « ­Les ratios des régimes à cotisation déterminée resteront toujours inférieurs à ceux des régimes à prestations déterminées. »

«Si un participant ne cotise que 1 % de son salaire durant sa vie active, peu importe comment il est investi, il n’aura pas assez d’argent dans son régime. »

– Danny Martin, Eckler

Une problématique exacerbée par la pandémie

Même relativisée, la baisse du taux de remplacement pose problème. C’est que les futurs retraités comptent sur ce revenu, issu de leur régime de capitalisation, pour atteindre leurs objectifs de vie à la retraite. Sinon, ils devront travailler plus longtemps afin d’augmenter leurs actifs et de diminuer leur temps passé à la retraite, met en garde F. Hubert ­Tremblay.

Déjà, avec la baisse des taux d’intérêt, « acheter une rente coûte 30 % plus cher tous les dix ans », ­observe-t-il. Mais cet allongement de la vie au travail pourrait bien être contrecarré par l’impact de la pandémie de ­COVID-19 : la récession économique et ses effets à court ou moyen terme ne favoriseront pas ce prolongement de la vie professionnelle. Les fermetures d’entreprises et les coupures de postes risquent de coûter leur emploi à des travailleurs en fin de carrière. Et si le taux de chômage venait à se maintenir à un niveau élevé, ces travailleurs pourraient rencontrer davantage de difficultés à se retrouver un emploi, alors que leurs finances ne leur permettent pas de prendre leur retraite.

Enfin, les employeurs qui proposent un régime de capitalisation à leurs employés ne veulent certainement pas se contenter de résultats insuffisants. « ­Plus on va vers des régimes d’accumulation de capital, plus il est dans l’intérêt des employeurs qu’ils soient un succès », souligne F. Hubert ­Tremblay.

Pistes de solutions

L’enjeu est réel pour les différentes parties prenantes, et chacun a un rôle à jouer pour contrecarrer cette baisse du taux de remplacement, à commencer par faire passer le message aux participants qu’ils sont ­eux-mêmes en mesure d’influencer leur revenu de retraite.

Cet enjeu n’est pas nouveau pour le secteur. « ­Le grand défi de l’industrie a toujours été d’augmenter le taux d’engagement des participants des régimes, pour contrer le phénomène d’inertie », rappelle ­David ­Charbonneau, ­vice-président, épargne et retraite collective chez ­Desjardins ­Assurances.

Pour cela, l’industrie doit accompagner les participants dans l’établissement d’objectifs clairs de remplacement de revenu, poursuit M. Charbonneau. « ­Si on ne sait pas de combien on aura besoin à la retraite, cela conduit souvent à ­sous-estimer les besoins futurs, et donc à ­sous-estimer et à réduire les cotisations versées », renchérit ­Danny ­Martin, chef de la pratique des placements et de la gestion des risques chez Eckler. Cela inclut de distinguer la situation financière du participant aujourd’hui et sa situation financière une fois à la retraite : il ne disposera pas des mêmes revenus, ni des mêmes actifs. ­Sera-t-il propriétaire de sa résidence ? ­Aura-t-il achevé ses paiements hypothécaires ? ­Sera-t-il endetté ? C’est à la condition de tenir compte de tels éléments que le secteur pourra accompagner au mieux les participants. « L’industrie doit généraliser des outils qui projettent le mieux possible le ratio de remplacement pour le participant », recommande ­Danny ­Martin.

Une fois ces objectifs fixés, le fournisseur de services doit analyser de façon précise l’utilisation du régime par les participants, en comparant le montant de leurs cotisations et l’accomplissement de leurs objectifs. « ­Les cotisations doivent être encouragées, car sans cotisation, il n’y a pas de rendement », rappelle ­Danny ­Martin.

Les cotisations de contrepartie sont évidemment un outil crucial pour encourager le participant à cotiser davantage. « L’employeur verse une cotisation de base et une cotisation de contrepartie qui dépend du montant que l’employé cotise de son côté », décrit M. Tremblay. Rien de tel pour stimuler le versement de cotisations : les employés n’aiment guère laisser de l’argent sur la table, ­illustre-t-il. Plus l’employé cotise, plus il bénéficiera d’un apport de son employeur. Pour autant, mieux vaut éviter les cotisations qui pourraient ressembler à une contrainte ou à une intrusion. Cela peut être le cas si l’employeur impose à l’employé un versement minimum conditionnel à sa cotisation, ajoute M. Tremblay. « ­Les employés qui n’ont pas les moyens de le faire vont trouver cela coûteux. » ­Mieux vaut dire qu’on va l’encourager à faire davantage plutôt que l’obliger à le faire, selon lui.

En matière de coût, on peut aussi rappeler au participant l’intérêt qu’il a à privilégier son régime collectif, moins coûteux en frais que son épargne individuelle, suggère ­Dany ­Pineault.
Certains fournisseurs de services mettent en place des régimes plus flexibles pour favoriser les cotisations des participants. Ainsi, un régime flexible peut permettre au participant d’utiliser son régime de capitalisation pour d’autres objectifs, comme le remboursement d’une hypothèque, mentionne ­Dany ­Pineault. Cette souplesse permet au participant de se concentrer sur un objectif moins lointain que la retraite, tout en l’amenant progressivement à se tourner vers cet objectif à long terme.

Quel que soit le dispositif imaginé pour encourager les participants à hausser leurs cotisations, ­celui-ci doit être communiqué en tenant compte de la culture de l’entreprise. « ­Si on essaie d’appliquer la même approche dans une entreprise de chantiers navals et dans une entreprise de technologies de l’information, on risque de frapper un coup d’épée dans l’eau », met en garde M. Charbonneau, qui assure que la façon de communiquer aura un impact sur le degré d’engagement des participants.

Risques calculés

C’est sur le niveau des cotisations que le taux de remplacement se joue, bien plus que sur la manière dont elles sont investies. « ­Si un participant ne cotise que 1 % de son salaire durant sa vie active, peu importe comment il est investi, il n’aura pas assez d’argent dans son régime », résume ­Danny ­Martin. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les participants doivent tout de même être prêts à prendre quelques risques dans leurs choix de placement.

Un récent rapport émis par ­Mercer regrettait que les participants prennent trop peu de risques pour que leurs placements leur offrent un potentiel de rendement capable de satisfaire leurs objectifs de retraite. « ­Il n’y a pas ­grand-chose à attendre en matière de stratégies de placement, croit ­Dany ­Pineault. Les catégories d’actifs sont de plus en plus pointues. On se rapproche de ce qui se fait en régimes à prestations déterminées. » ­Les fonds à date cible adaptent ainsi le risque et le rendement au profil du participant.

David ­Charbonneau partage cet avis, précisant que les placements classiques sont désormais associés à des investissements non traditionnels, comme des actifs investis dans la dette privée et dans les infrastructures, qui permettent d’optimiser les rendements. « ­Il faut savoir s’adapter aux évolutions et aux occasions offertes par les marchés », ­dit-il.

Décisif décaissement

Les innovations sont plus à attendre après la retraite, au moment du décaissement. De ce point de vue, les gouvernements ont entrepris des actions pour combler en partie l’écart entre le revenu de la vie active et le revenu de retraite. La bonification du ­Régime de rentes du ­Québec (RRQ) et du ­Régime de pensions du ­Canada (RPC) vise à relever le taux de remplacement du revenu de façon graduelle sur 40 ans, précise F. Hubert ­Tremblay.

Ces mesures devraient être rappelées aux participants et intégrées à leurs stratégies de décaissement, poursuit M. Tremblay. Ils peuvent commencer par utiliser leur épargne personnelle pendant dix ans pour ensuite profiter des rentes gouvernementales bonifiées chaque année, ­souligne-t-il. « ­Plus le ­RRQ et la pension de la ­Sécurité de la vieillesse prennent de place dans le revenu de retraite d’un participant, plus ­celui-ci devrait comprendre ces options en vue de la gestion de son ­épargne-retraite », ­indique-t-il.

Depuis cette année, les ­Canadiens ont également la possibilité de souscrire une rente pouvant être différée jusqu’à l’âge de 85 ans. Les retraités peuvent ainsi acquérir une rente à coût moindre dont les versements commencent au moment où le risque de longévité devient plus inquiétant. « ­Entre-temps, on peut utiliser les solutions traditionnelles de remplacement de revenu, recommande ­David ­Charbonneau. Cela limite le risque de vivre plus longtemps que ses épargnes. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2020 du magazine Avantages.
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