Savoir naviguer habilement à travers les risques est aux fondements de la gestion des régimes de retraite et d’avantages sociaux. Mais la nature de ces risques évolue au fil du temps, et la dernière édition du ­Rapport sur les risques mondiaux du ­Forum économique mondial (FEM) semble confirmer que les grands défis que l’humanité devra surmonter à l’avenir sont différents de ceux du siècle dernier. Un constat qui s’applique autant à l’ensemble de la société qu’à notre industrie.

Pierre-Luc Trudel

Les risques « traditionnels » comme la faible croissance économique, les bulles financières ou le niveau d’endettement ne figurent plus au sommet de la liste des principales craintes des dirigeants économiques mondiaux. Sur un horizon à long terme, rien ne les préoccupe davantage que les enjeux liés aux changements climatiques.

Ces risques sont critiques pour les grands détenteurs ­d’actif comme les caisses de retraite. Pour s’assurer de remplir leurs obligations à long terme envers leurs bénéficiaires, elles devront négocier avec agilité la transition de leurs portefeuilles vers des actifs à faible émission de carbone moins risqués sur le plan climatique. Le mouvement est d’ailleurs bien enclenché, les investisseurs institutionnels faisant figure de pionniers dans l’intégration des facteurs ­ESG aux stratégies d’investissement.

Mais les changements climatiques menacent aussi la santé des travailleurs, et les employeurs ont encore un long chemin à parcourir en la matière. On fait ici référence aux risques liés à la santé physique des salariés qui doivent par exemple travailler dans des conditions météorologiques extrêmes, mais aussi aux risques psychologiques qu’entraînent les catastrophes naturelles, notamment le stress considérable causé par les évacuations d’urgence et l’écoanxiété. À mesure que les changements climatiques perturberont la vie d’un nombre toujours plus grand de travailleurs, les employeurs devront trouver des façons de les soutenir.

Que les questions climatiques se hissent en tête de liste des plus grandes menaces pour l’humanité n’est guère étonnant. En revanche, le risque numéro un « à court terme » identifié par le ­FEM peut surprendre : la désinformation.

Les régimes de retraite et d’avantages sociaux sont des entités complexes qui ont toujours été difficiles à comprendre pour les participants. Le risque de désinformation à leur égard est donc élevé, d’autant plus qu’aujourd’hui les sources d’information, et malheureusement de désinformation, sont quasi infinies.

Combien de fois ­a-t-on entendu des salariés bénéficiant de régimes à prestations déterminées affirmer qu’ils seraient plus riches à la retraite s’ils pouvaient verser leurs cotisations dans un ­REER plutôt que dans leur régime d’employeur ? ­Ces affirmations basées sur de fausses prémisses ont pullulé sur les réseaux sociaux et dans la section des commentaires des médias généralistes l’automne dernier pendant les négociations collectives des employés de l’État québécois.

Même si ces fausses croyances ne sont généralement pas partagées de mauvaise foi, elles portent préjudice aux régimes d’avantages sociaux, et peuvent même menacer leur existence à long terme. Combien d’employeurs voudront maintenir en place ces programmes coûteux si des employés mal informés toujours plus nombreux y voient une arnaque ? ­Des régimes qui ne sont pas appréciés et valorisés à leur juste valeur perdent beaucoup de leur pertinence. La communication est déjà un défi colossal pour l’industrie, mais elle le deviendra encore plus dans un monde où règne la désinformation.

Un peu dans la même lignée, le ­FEM estime que la polarisation sociétale constitue un risque majeur à l’échelle mondiale alors que s’amorce la plus grande année électorale de l’histoire.

Notre industrie n’est ­peut-être pas sur la ligne de front à ce chapitre, mais elle n’est pas complètement à l’abri non plus. Certaines franges de la population, très bruyantes sur les réseaux sociaux, s’opposent par exemple à toutes les initiatives d’équité, de diversité et d’inclusion dans les milieux de travail. Dans l’optique de rendre leurs couvertures plus inclusives, des assureurs ont par exemple entrepris de rembourser certaines dépenses engagées pour la transition de genre.

Si les inquiétudes relatives au fait d’ajouter des couvertures à des régimes déjà sous pression financièrement sont tout à fait légitimes, certains individus s’opposent à la notion de transition de genre pour des motifs purement idéologiques. Pour l’instant, ce genre d’initiative est passé sous le radar des groupes complotistes et des chroniqueurs à tendance populiste, mais il n’en sera ­peut-être pas toujours ainsi. La polarisation sociale extrême que sont susceptibles d’engendrer de telles modifications aux régimes d’assurance collective constitue un risque supplémentaire avec lequel promoteurs et assureurs devront apprendre à composer.

Le portrait peut sembler sombre, mais en gérant judicieusement, à son échelle, les grands risques qu’elle partage avec l’ensemble de la société, l’industrie de la retraite et des avantages sociaux apportera sa petite contribution à la construction d’un monde plus résilient.


• Ce texte a été publié dans l’édition d’avril 2024 du magazine Avantages.
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