Depuis une décennie, plusieurs promoteurs de régimes de retraite se sont intéressés aux risques liés aux placements et aux taux d’intérêt. Ce n’est guère surprenant, compte tenu de leur importance et de leur volatilité. Cependant, les régimes commencent à peine à s’attaquer au risque de longévité.

Contrairement aux risques liés aux placements et aux taux d’intérêt, ce dernier est non récompensé et intrinsèque aux prestations de retraite. Il se comporte aussi de manière différente alors que généralement, la longévité évolue lentement. Mais les évaluations peu fréquentes (historiquement aux 10 ans) provoquent une augmentation appréciable du passif lors de la publication des tables de mortalité (ex. : GAM83, UP-94, CPM2014).

Or, il est primordial de bien évaluer le risque de longévité qui affecte la plupart des décisions des régimes de retraite, dont celles liées au financement et à la stratégie de placement, ainsi qu’au transfert de risque par achat de rente. Rappelons aussi que certains régimes avec un partage des risques et des coûts, dont tous les régimes municipaux au Québec, se doivent de bien évaluer la longévité afin d’éviter toute iniquité intergénérationnelle.

Actuellement, la plupart des caisses de retraite canadiennes mesurent la longévité pour l’ensemble du régime. Par exemple, le facteur de distinction primaire pour les hypothèses de longévité d’un retraité (outre l’âge et le sexe) est si l’employeur est du secteur public ou privé. On a aussi tendance à mesurer la longévité pour l’ensemble d’une industrie. Malheureusement, une telle approche est faussée en soi, à défaut de tenir compte des diverses populations de chaque régime, et ce, même au sein d’une industrie.

L’utilisation des caractéristiques individuelles des participants s’avère beaucoup plus efficace, car elle offre un cadre pour comprendre les facteurs déterminants de la longévité des retraités.

Appliquer des ajustements aux tables publiées est une méthode de base qui ne permet pas d’améliorer la mesure de la mortalité des participants d’un point de vue individuel. Par ailleurs, les petits et moyens régimes ne disposent pas d’un volume suffisant de données crédibles pour déterminer des ajustements et ont tendance à se limiter à la table de mortalité CPM combinée. Dans ce cas, les évaluations actuarielles peuvent sur ou sous-évaluer la longévité. Cela peut aussi donner des résultats médiocres lors de l’utilisation des hypothèses de mortalité CPM à d’autres fins, par exemple pour des projections de flux de trésorerie et l’analyse des stratégies de placement.

En ciblant plutôt les facteurs de longévité spécifiques au participant, les prévisions de longévité peuvent s’adapter au régime sans recourir à une méthode d’ajustement de premier niveau, telle que décrite ci-dessus.

La solution réside dans l’utilisation des caractéristiques individuelles des participants pour mieux déterminer la mortalité prévue de chacun. Une étude globale et actualisée de la mortalité canadienne pourrait permettre une telle analyse. Par ailleurs, cette approche tient compte de l’évolution du profil de longévité au fil du temps. Ceci est particulièrement utile puisque les caractéristiques des retraités d’aujourd’hui peuvent différer de celles de leurs prédécesseurs, en raison des changements survenus dans les milieux de travail.

Une méthodologie basée sur la longévité de groupes de retraités similaires, sans égard au régime de retraite, est beaucoup plus efficace. Des études ont permis d’identifier que les meilleures caractéristiques (sans compter l’âge et le sexe) pour différencier la longévité des retraités canadiens sont :

  • l’état de santé au moment de la retraite;
  • le fait d’être le participant ou un conjoint survivant;
  • le style de vie ou le statut socio-économique (déterminé par le code postal du lieu de résidence);
  • le degré d’affluence (mesuré par le dernier salaire ou le montant de la rente); et
  • le statut professionnel (col bleu ou col blanc).

En considérant l’ensemble de ces caractéristiques, l’écart quant aux prévisions de longévité peut s’élever à 11 ans chez les hommes et à 8 ans chez les femmes. Il s’agit d’une différence majeure dans l’évaluation des engagements d’un régime de retraite. Cette approche permettrait aux promoteurs et aux administrateurs de régime d’utiliser des hypothèses de mortalité entièrement crédibles, actualisées et personnalisées selon les participants, et ce, sans égard au nombre d’employés. Le processus permet aussi de prévoir la longévité des travailleurs actifs qui pourraient présenter des caractéristiques différentes de celles des retraités actuels. Ainsi, les régimes sont réellement en mesure de comprendre et évaluer le risque de longévité de leur population.

Dany Desgagnés et Mathieu Vézina sont directeurs chez Eckler.