L’assurance médicaments rend aujourd’hui accessible des médicaments souvent coûteux, mais très efficaces, qui permettent aux employés de guérir en quelques semaines et donc de reprendre leur travail. Rappelons que les employés gravement malades sont souvent forcés de quitter le travail ou de prendre une retraite précoce.

En assurance collective, comme dans tous les systèmes de gestion en santé, l’objectif est de rendre accessibles les meilleurs soins pour sauver de la maladie tous les employés. Toutefois, cette volonté bien louable nous confronte aux limites financières des revenus de l’entreprise et de la capacité à payer des employés. En effet, on peut offrir les meilleurs soins, mais encore faut-il pouvoir se les payer.

Avec le vieillissement de la main-d’œuvre québécoise, la consommation de médicaments est de plus en plus importante, et ce, pour une seule raison : les employés les plus âgés sont davantage affligés par les maladies chroniques. Que ce soit l’arthrite, le diabète, les problèmes cardiaques ou simplement l’hypertension, ces maladies ne tuent pas : on peut en effet rester productif grâce aux bons soins et aux bons médicaments.

Les bienfaits des médicaments sur la santé sont quelques fois extraordinaires. À titre d’exemple, pensons aux médicaments contre l’hépatite C permettant de guérir totalement des employés touchés, incapables de travailler depuis des mois, et de les voir revenir au travail en santé.

Il s’agit d’un progrès technique aussi important que l’invention du vaccin contre la tuberculose et la réussite des campagnes de vaccination dirigées par le Dr Armand Frappier dans les années 1950. En quelques années, l’une des principales maladies mortelles a été éradiquée. Face à la réussite de ce traitement, presque tout le monde voulait se faire vacciner.

La politique des prix des médicaments assurés
Après l’approbation pour la commercialisation de nouveaux médicaments par Santé Canada, le gouvernement québécois s’assure, premièrement, de leur efficacité en validant des données scientifiques. Ensuite, il négocie le prix d’achat avec l’entreprise pharmaceutique, avant de les inscrire à la liste des médicaments assurés par le Régime général d’assurance médicaments (RGAM) du Québec.

En 2012, pour faire face à la croissance des coûts, le gouvernement provincial a voulu favoriser la consommation des médicaments génériques en fixant leur prix à 25 % du prix des médicaments de marque négociés avec les pharmaceutiques, alors que le prix des médicaments uniques, toujours protégés par un brevet, reste négocié au cas par cas par les gouvernements avant d’être ajouté à liste des médicaments assurés par le régime général.

Pour mieux contrôler les coûts du Régime général d’assurance médicaments, Québec a décidé en 2015 de rembourser la consommation des médicaments de marque aux prix le plus bas (PPB) des médicaments génériques. Cette stratégie permet de réduire les coûts de plusieurs centaines de millions de dollars. En effet, en l’appliquant aux régimes privés d’assurance médicaments, il est ainsi possible d’économiser 75 % du coût des médicaments de marque en les remboursant aux prix des médicaments génériques.

Le gouvernement du Québec, comme ceux des autres provinces canadiennes, a pleinement conscience que le marché des médicaments doit être contrôlé, voire fortement encadrer, d’autant plus que les dirigeants des pharmaceutiques apprécieraient fixer les prix en fonction de l’utilité du médicament proposé, surtout s’il vous sauve la vie en quelques semaines : ils fixeraient alors les prix en conséquence à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Actuellement, plusieurs médicaments sont vendus à plus de 100 000 $ par traitement.

C’est d’ailleurs l’offre de médicaments qui conditionne la demande et, incidemment, l’évolution des coûts. Pour mieux en saisir l’importance, il suffit d’imaginer l’impact de la commercialisation d’un nouveau médicament très efficace, coûtant 20 000 $, guérissant à jamais le diabète de type II en 10 semaines de traitement.

L’offre de soins via les médecins et les pharmaciens permettra de rendre accessible un médicament coûteux, mais efficace aux 500 000 Québécois souffrant du diabète de type II. Cela serait extraordinaire. Mais un coût total de 10 milliards de dollars pourrait aussi mettre en péril le système d’assurance médicaments. Avant de faire face à une telle histoire, le gouvernement québécois l’intégrerait à la liste des médicaments assurés du RGAM seulement si l’efficacité du médicament est prouvée et que le prix négocié avec l’entreprise pharmaceutique définit un coût-efficacité économiquement abordable et acceptable pour la société.

Une stratégie qui consiste à valider l’efficacité du médicament et à négocier un prix est d’autant plus pertinente que la Loi sur l’assurance médicaments interdit formellement de sélectionner les employés assurables et d’utiliser des critères discriminatoires comme l’âge, le sexe et la maladie afin de couvrir les employés. En termes économiques, il n’est pas possible de contrôler la demande en sélectionnant les assurées; le seul moyen de mieux gérer les coûts repose alors sur un contrôle de l’offre de médicaments.

Les stratégies de gestion
En assurance médicaments, l’offre de traitements médicamenteux est principalement contrôlée par quatre stratégies :

  • le partage des coûts entre les employés et l’employeur;
  • l’achat des médicaments génériques;
  • le remboursement des médicaments de marque aux prix le plus bas; et
  • le contrôle de l’offre de médicaments assurés.

Examinons ces stratégies une par une. Très souvent la prime d’assurance médicaments est payée à 50 % par l’employé et l’employeur. On pourrait certainement envisager un partage différent des frais de base, mais l’incidence sur l’offre serait mineure. Il est plus judicieux d’agir en modulant les paramètres de la franchise et de la coassurance en fonction d’objectifs précis, notamment pour favoriser l’achat des médicaments génériques, moins chers et aussi efficaces.

En effet, pour profiter pleinement de la politique des prix sur les médicaments génériques, il vaut mieux n’appliquer aucune franchise, mais seulement une coassurance de 20 %. Les assurés payeront moins cher les médicaments ayant la même valeur thérapeutique que les médicaments de marque et, en plus, il est ainsi possible de réduire fortement les coûts des régimes d’assurance privés.

Une autre stratégie qu’il est dorénavant possible d’appliquer consiste à rembourser les médicaments de marque au prix le plus bas des médicaments génériques. Cette politique sert surtout à forcer les changements dans les habitudes des employés assurés, en les incitant financièrement à réclamer un médicament générique bioéquivalent aussi efficace s’il ne souhaite pas payer le plein prix du médicament de marque. Les économies générées peuvent être substantielles, allant jusqu’à 75 % du coût des médicaments de marque.

Soulignons ici que l’ajout d’une franchise ou d’une formule de co-paiement augmente les dépenses des travailleurs, sans réelle conséquence pour l’offre de médicaments. En fait, le résultat s’avère plutôt une restriction de l’accessibilité aux médicaments assurés, en les faisant payer plus encore, ce qui est une erreur. N’oublions pas que le rôle fondamental de l’assurance médicaments est de rendre accessibles les meilleurs médicaments au meilleur coût possible en cas de maladie et de souffrance.

Si les solutions présentées sont efficaces pour réduire les coûts, il est important d’appliquer aussi un contrôle sur l’offre de médicaments. Dans les années 1990, la plupart des grandes entreprises privilégiaient une liste élargie, qui couvrait toutes les prescriptions des médecins sans restrictions. Ainsi, toute tentative de contrôle des coûts s’alignait alors sur la décision du médecin traitant, sans questionner la pertinence du médicament. Cette approche suffisait quand les coûts globaux n’atteignaient même pas 1 % de la masse salariale, comme témoignent des données de l’Institut de la statistique du Québec datant de 2000. À la fin du 20e siècle, le concept d’une liste de médicaments plus restrictive, excluant les médicaments en vente libre, a commencé à gagner des adeptes. Mais encore une fois, il suffisait de présenter une prescription valide pour avoir droit au remboursement par le régime d’assurance.

Aujourd’hui, plusieurs autres règles différentes encadrent les demandes de remboursement en fonction de critères de santé, notamment des indications précises sur l’état de santé de la personne et l’évolution de ses traitements. C’est justement le cas de la liste des médicaments d’exception qui comprend plus de 300 médicaments pour lesquels le remboursement est autorisé en raison de critères de santé établis par une équipe de scientifiques.

Autrement dit, il est évident que l’efficacité thérapeutique des médicaments, d’une part, et leur prix de vente, d’autre part, sont les deux principaux axes de toute stratégie de contrôle des coûts. En 2005, le gouvernement québécois a donné le mandat à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) de développer la Liste des médicaments couverts par le Régime général d’assurance médicaments en regard de ces principes.

Grâce à cette initiative, il est possible pour tous les régimes privés de contrôler l’offre en s’appuyant sur ces critères qui définissent la Liste des médicaments couverts par le Régime général d’assurance médicaments, soit :

  • une liste de médicaments encadrée par des experts;
  • une liste de médicaments ayant une valeur thérapeutique approuvée; et
  • une liste de médicaments avec des prix négociés.

Donc oui, il est possible de contrôler les coûts efficacement en adoptant de bonnes pratiques dans les choix des pourcentages de remboursement selon des objectifs spécifiques et, surtout, en adoptant une liste de médicaments basée sur la valeur thérapeutique.

Denis Gobeille, M. Sc. R.I., CRHA, est conseiller en régimes d’assurance collective et vice-président de deontologie.ca