Beaucoup les ont enterrés depuis longtemps, mais les régimes de retraite à prestations déterminées (PD), forts de leur actif sous gestion colossal, ne disparaîtront pourtant pas de sitôt. Le contexte économique et législatif qui a précipité leur déclin il y a maintenant plus de dix ans n’a plus rien à voir avec la réalité d’aujourd’hui. Et si on en profitait pour tenter de les relancer sans devoir repartir de zéro ?

L’idée peut sembler farfelue, mais les astres sont alignés pour au moins entamer une réflexion sur la question.

Après plus d’une décennie de taux d’intérêt au plancher, les gestionnaires de caisses de retraite peuvent enfin entrevoir une ère de taux plus élevés, certains facteurs macroéconomiques et géopolitiques militant en faveur d’une inflation structurelle plus vigoureuse au cours des prochaines années. De quoi enfin soulager le passif des régimes ­PD.

De leur côté, les employeurs s’arrachent les cheveux en ce moment pour conserver leurs meilleurs talents, multipliant les opérations de séduction auprès de leur personnel. Or, il existe peu d’outils plus puissants que les « menottes dorées » d’un régime ­PD pour fidéliser les employés et leur donner une bonne raison de se projeter à long terme au sein de leur organisation.

Certes, l’administration d’un régime ­PD demeure éminemment complexe, mais comporte bien moins de risques financiers que jadis grâce aux réformes législatives des dernières années. Le coûteux financement sur base de solvabilité a été abandonné en 2015, et il est maintenant possible de verser aux participants qui quittent le régime leurs droits accumulés en proportion du ratio de solvabilité.

Parlant de réforme législative, le ministre du ­Travail, ­Jean ­Boulet, a exprimé l’hiver dernier sa volonté d’interdire complètement les clauses de disparité de traitement dans les régimes de retraite d’ici quelques années, invalidant les clauses de droits acquis prévues dans la loi adoptée en 2018. Cela forcera à tout le moins les promoteurs à réviser les paramètres de leurs différents régimes de retraite pour se conformer à la nouvelle législation. Et si certains d’entre eux profitaient de l’occasion pour tenter l’expérience de rouvrir leur régime ­PD aux nouveaux employés ?

En matière de placement, les caisses de retraite à prestations déterminées ont aujourd’hui accès à des stratégies de placement plus diversifiées et sophistiquées qu’ils n’auraient jamais pu l’imaginer il y a 20 ans. L’intégration des actifs réels a rendu les portefeuilles institutionnels largement plus résilients alors que les placements privés permettent aux régimes de déployer leur capital ­au-delà des marchés boursiers. Les titres à revenu fixe plus spécialisés, incluant la dette privée, ne sont plus la chasse gardée des assureurs. Ce faisant, les régimes ­PD peuvent mettre en œuvre des solutions d’investissement guidé par le passif performantes sans pour autant sacrifier trop de rendement.

La situation se complique ? ­Les possibilités de transférer certains risques aux sociétés d’assurance ne manquent pas. La profondeur acquise par le marché canadien des rentes collectives au cours des dernières années devrait suffire à rassurer les promoteurs les plus craintifs quant à la pérennité de leur régime.

Les régimes ­PD pourraient également avoir leur revanche sur les régimes ­CD si ces derniers ne parviennent pas à assurer un revenu de retraite suffisant à leurs participants, qui commenceront à prendre leur retraite en plus grand nombre dans un avenir proche, qui sait ?
Bien sûr, les régimes ­PD ne retrouveront jamais la place hégémonique qu’ils occupaient dans le monde du travail il y a quelques décennies. Compte tenu de la conjoncture actuelle, un certain retour du balancier est néanmoins possible, voire souhaitable.

Considérant l’environnement plus favorable, pourquoi ne pas tenter de les adapter à la nouvelle réalité du monde du travail plutôt que de les condamner définitivement pour leurs erreurs passées ?

Certaines caractéristiques des régimes ­PD – les modèles de calcul de la rente basée sur le salaire des dernières années de service, par exemple – ne sont ­peut-être plus aussi pertinentes aujourd’hui, à l’heure où les travailleurs changent d’emploi plus fréquemment. Mais des formules de rentes plus lissées tout au long de la carrière, de la même manière que la création de régimes ­PD regroupant plusieurs employeurs d’un même secteur d’activité, comme c’est le cas aux ­Pays-Bas, pourraient contribuer à les remettre au goût du jour. L’expertise québécoise et canadienne en gestion des régimes de retraite est reconnue mondialement, innover pour remettre les régimes ­PD sur les rails est un défi que l’industrie d’ici peut relever.

N’oublions jamais que ces régimes ont permis, et permettent toujours, à des millions de retraités canadiens de dormir sur leurs deux oreilles. Ils méritent une seconde chance.


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2022 du magazine Avantages.
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