La ­main-d’œuvre manque, et les travailleurs d’expérience manquent encore plus. Les employeurs ­peuvent-ils ajuster leurs régimes de retraite et d’assurance collective pour attirer et fidéliser cette catégorie de travailleurs ?

Les travailleurs âgés de 55 ans et plus sont ceux qui ont le plus vite repris leur taux d’emploi comparativement à l’­avant-pandémie. Le nombre de personnes de 55 ans et plus en emploi au deuxième trimestre de 2021 représentait 99,6 % du nombre en emploi au quatrième trimestre de 2019, selon des données de l’Institut de la statistique du ­Québec (ISQ). Cette population avait quasiment repris tous les emplois perdus depuis mars 2020. C’est plus que les ­25-54 ans (98,9 %) et que les ­15-24 ans (93,7 %).

Le ­Canada se place dans la moyenne des pays de l’OCDE pour ce qui est de l’emploi des travailleurs de 60 ans et plus. Le taux d’emploi des ­60-64 ans était de 52,8 % au ­Canada en 2019, et de 52,4 % pour la moyenne de l’OCDE. C’est sensiblement moins que les ­États-Unis (56,0 %), le ­Royaume-Uni et l’Australie (56,2 %)… mais beaucoup plus que la Belgique (32,8 %) et la ­France (32,7 %).

Ces chiffres ne satisfont toutefois pas les employeurs en recherche de ­main-d’œuvre, qui déploient différentes stratégies pour attirer et fidéliser les travailleurs de 60 ans et plus, comme des horaires flexibles, du temps partiel, des adaptations de postes…

«Le départ à la retraite est davantage vu comme une période de transition plutôt qu’un départ brutal. »

 – Jean-Michel Lavoie, Sun Life

Les avantages sociaux pourraient constituer un levier supplémentaire pour accompagner ces stratégies, d’autant qu’il existe une tendance de fond encourageante. Les départs à la retraite se sont décalés d’un an au cours des quatre dernières années, constate ­Jean-Michel ­Lavoie, ­vice-président régional, développement des affaires, régimes collectifs de retraite à Sun Life. Aujourd’hui, ce sont 6 % des participants des régimes de retraite de Sun ­Life qui ont 65 ans et plus, ­observe-t-il. « C’est une tranche générationnelle en croissance. »

De plus, le regard des travailleurs sur la retraite a changé. « ­Le départ à la retraite est davantage vu comme une période de transition plutôt qu’un départ brutal », indique ­Jean-Michel ­Lavoie. C’est pour cette raison que les travailleurs sexagénaires cherchent des milieux de travail leur offrant davantage de souplesse.

Et la fiscalité ?

Quand on pense à la rétention de la ­main-d’œuvre âgée, on pense souvent aux conditions fiscales en premier lieu. Et on a tort de penser ainsi, explique ­Sylvain Gilbert, associé en fiscalité chez Raymond ­Chabot ­Grant Thornton.

Les règles fiscales favorisant le maintien en emploi s’appliquent essentiellement aux travailleurs à faibles revenus, constate l’expert. Or, ces travailleurs n’ont pas le choix de continuer à travailler pour accumuler de l’­épargne-retraite.

« ­Au niveau fédéral, il n’existe à peu près rien pour les travailleurs âgés de 60 ans et plus, hormis les mesures qui s’appliquent à tous les travailleurs », dit ­Sylvain Gilbert.

Depuis deux ans, le gouvernement provincial propose un crédit non remboursable pour prolongation de carrière, il faut donc payer de l’impôt pour le recevoir. Par ailleurs, cette règle ne s’applique pas aux 5 000 premiers dollars de revenu, et le crédit de 15 % est trop faible, ­critique-t-il. En outre, à partir de revenus annuels de 35 650 $, le crédit d’impôt commence à diminuer… jusqu’à disparaître pour ceux qui gagnent plus de 68 650 $ annuellement. « ­Ce crédit est bon, mais il devrait être bonifié pour viser les gens dont on a besoin, qui sont qualifiés pour leur travail », suggère-t-il.

Analyser les besoins

Avant de se lancer dans un grand projet d’adaptation des programmes d’avantages sociaux, il convient de savoir de quoi on parle exactement. « L’organisation doit commencer par se demander quels sont ses besoins », recommande Richard Bourget, associé principal, retraite et épargne chez ­Normandin Beaudry. Il est possible qu’elle manque d’informaticiens, mais pas de commis de bureau. Or, elle ne fournira pas de régime de retraite spécifique au service informatique. L’attraction d’informaticiens devra alors se faire d’une autre manière.

L’entreprise devrait aussi se demander pourquoi les gens partent à la retraite, poursuit ­Richard ­Bourget. « ­Généralement, c’est parce qu’ils ont accumulé suffisamment d’épargne. Mais alors, qu’­est-ce qui les fera rester ? ­On peut regarder l’ensemble de la rémunération globale, mais seulement en appui à d’autres choses, comme offrir plus de flexibilité dans le cadre de l’emploi. Ce que les travailleurs âgés veulent, c’est avoir du temps pour eux, pouvoir respirer, avoir moins de pression, moins de responsabilités. » C’est surtout la rémunération directe, les conditions de travail, la flexibilité en emploi qui vont répondre à la grande majorité des besoins, ­ajoute-t-il.

Quels que soient les leviers actionnés par l’employeur, ­celui-ci doit tout de même viser des objectifs de rétention modestes. « ­Ce serait rêver en couleurs que de croire qu’on conservera un employé de 60 à 65 ans, prévient ­Richard ­Bourget. On peut l’encourager à rester un ou deux ans de plus. L’assurance collective et le régime de retraite peuvent y contribuer, mais pas plus. »

«Ce que les travailleurs âgés veulent, c’est avoir du temps pour eux, pouvoir respirer, avoir moins de pression, moins de responsabilités. »

 – Richard Bourget, Normandin Beaudry

Quel régime de retraite ?

Le type de régime de retraite proposé influe grandement sur la capacité de rétention de l’employeur. « ­Si l’employeur n’offre pas de régime de retraite, en soi, c’est un facteur de rétention, constate F. Hubert ­Tremblay, conseiller principal du domaine avoirs chez ­Mercer ­Canada. Quand les travailleurs n’ont pas les moyens de prendre leur retraite, on s’attend à ce qu’ils travaillent plus longtemps. »

Si le régime est à cotisation déterminée (CD), la volonté des travailleurs de prendre leur retraite dépendra beaucoup de la performance des marchés financiers. « ­Si le travailleur a été surpris négativement par des événements financiers, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à l’employeur pour le garder, mais ce n’est pas souhaitable, poursuit M. Tremblay. On ne veut pas miser ­là-dessus. »

Avec un régime ­CD, l’employeur dispose de davantage de moyens pour inciter l’employé à rester. « ­Une année de plus au travail, c’est une année de moins de décaissement, et une année de plus d’accumulation, ce qui peut se traduire par une belle hausse dans les revenus de retraite potentiels », fait remarquer l’actuaire. Ce gain peut aussi être bonifié si l’employeur propose de verser des cotisations additionnelles au régime ­CD en fin de carrière.

Le promoteur peut également offrir des bonis de rétention sous forme d’argent comptant, de cotisations ou d’épargne. Ces incitatifs peuvent être proposés hors de la politique officielle de l’entreprise pour cibler les employés clés. « C’est une possibilité à envisager dans le contexte de pénurie de ­main-d’œuvre », souligne F. Hubert ­Tremblay.

Au ­Québec, en 2021, il n’y a que 82,5 personnes âgées de 20 à 29 ans susceptibles d’entrer sur le marché du travail pour 100 personnes âgées de 55 à 64 ans susceptibles de le quitter. L’équilibre devrait toutefois se rétablir vers 2030.

Alors qu’il était d’environ 65 ans à la fin des années 1970, l’âge moyen de la retraite des ­Canadiens avait diminué à 60,9 ans en 1998, puis est remonté à 63,6 ans en 2016.

Source : ­Statistique Canada et Études économiques de Desjardins

Rétention difficile dans les régimes ­PD

Parce qu’il favorise la préparation de bonnes conditions de départ à la retraite, le régime à prestations déterminées (PD) tend à contrarier les objectifs de rétention. « ­Il est très difficile de retenir les travailleurs qui peuvent partir avec une rente non réduite, et qui pourraient même aller travailler ailleurs tout en touchant cette rente », relève F. Hubert ­Tremblay.

Et les choses ne vont pas s’améliorer pour ces entreprises, qui vont se retrouver avec des employés capables de continuer à travailler tout en étant admissibles à leur rente de retraite. En demeurant dans leur emploi actuel, ils acceptent de reporter le versement de leur rente alors qu’ils peuvent y prétendre. « ­De plus en plus de travailleurs dotés d’un régime ­PD vont comprendre ce phénomène : ils commenceront à négocier pour continuer à travailler tout en touchant leur rente, ou prendront leur retraite pour être réembauchés. Cela se fait déjà, et cela se fera de plus en plus. Ils ne voudront pas laisser de l’argent sur la table. Ils peuvent déjà le faire en travaillant ailleurs », met en garde M. Tremblay.

Les employeurs n’ont pas le choix d’agir pour éviter de voir leurs travailleurs aller ailleurs. « L’employeur doit accepter que ses participants puissent commencer à toucher la rente tout en continuant à travailler chez lui », ­avertit-il. Sinon, il peut aussi proposer des bonis de rétention pour encourager le report de la retraite : il se trouve alors à compenser le travailleur qui accepte de renoncer à prendre sa rente dès qu’il y a droit.

Dans certains cas, les régimes ­PD peuvent néanmoins devenir de vrais vecteurs de rétention. Cela se produit quand ils attirent les travailleurs en fin de carrière qui n’ont pas pu se bâtir un patrimoine de retraite bien garni auparavant, note l’actuaire. Ces travailleurs voudront alors rester en poste suffisamment longtemps pour se constituer une ­épargne-retraite satisfaisante.

Les outils facilitant la rétention ne résident pas seulement dans la conception du régime. « ­Ces travailleurs recherchent davantage d’accompagnement dans leur période de transition vers la retraite, c’est pourquoi l’employeur devrait ouvrir des conversations avec eux au moins dix ans avant, donc vers 50 à 55 ans », suggère ­Jean-Michel Lavoie. Cette conversation leur permet de vérifier jusqu’à quel âge ils devront travailler pour atteindre leurs objectifs de retraite. Une réflexion qui peut les amener à revoir le moment de leur départ.

«L’employeur doit accepter que ses participants de régimes PD puissent commencer à toucher leur rente tout en continuant à travailler chez lui. » 

 – F. Hubert Tremblay, Mercer

La différenciation en assurance collective

En matière d’assurance collective, il est moins ardu d’offrir des avantages différenciés aux travailleurs. « ­On peut définir des catégories d’employés avec des régimes différents, mais cela ne doit pas être discriminatoire selon l’âge ou l’état de santé », prévient ­Sophie ­Lachance, associée en assurance collective et chef de l’expérience employé chez ­Normandin ­Beaudry. L’employeur peut proposer une adaptation pour une catégorie comme les travailleurs à temps partiel ou les travailleurs retraités. « ­Mais on ne peut pas faire de régime qui nomme les personnes ciblées, précise ­Mme Lachance. En matière de tarification, on peut différencier en fonction de l’âge quand c’est actuariellement justifié, mais seulement pour le coût, pas en matière de conception du régime. » ­Les travailleurs âgés à temps partiel pourraient donc se voir proposer un régime spécifique et une tarification attractive, mais cette offre devrait alors être ouverte également à tous les autres travailleurs à temps partiel.

«Les travailleurs âgés préfèrent l’assurance collective à une augmentation de salaire, parce que les médicaments sont chers : certains peuvent coûter des dizaines de milliers de dollars pour traiter l’arthrite, par exemple. »

 – Marie-Josée Le Blanc, Mercer

La population des 60 ans et plus a des besoins spécifiques, constate ­Marie-Chantal ­Côté, ­vice-présidente, développement de marché, garanties collectives à ­Sun ­Life. La santé mentale explique 30 % de l’invalidité à long terme dans cette catégorie de population, d’après des données collectées par ­Sun ­Life dans un sondage publié en octobre 2021. Les troubles ­musculo-squelettiques et l’arthrite sont la cause de 20 % des cas d’invalidité à long terme. Un employé de 55 ans et plus a quatre fois plus de chances de faire une réclamation liée à des troubles ­musculo-squelettiques et à l’arthrite qu’un plus jeune.

Dans ce contexte, les travailleurs âgés sont reconnaissants de pouvoir bénéficier de soutien en matière de maladies chroniques, qu’il s’agisse de prévention ou de gestion des traitements, explique ­Marie-Josée ­Le ­Blanc, membre du partenariat et responsable de l’innovation pour le domaine santé chez ­Mercer. « ­Ils préfèrent l’assurance collective à une augmentation de salaire, parce que les médicaments sont chers : certains peuvent coûter des dizaines de milliers de dollars pour traiter l’arthrite, par exemple », ­souligne-t-elle.

L’employeur peut analyser, pour chaque protection offerte, si des exclusions ou des inclusions défavorisent des gens qu’il veut garder. « ­Par exemple, la plupart des régimes d’assurance collective ne couvrent pas le vaccin contre le zona, alors qu’il affecte les gens dans la cinquantaine et plus, et qu’il peut générer des invalidités et de l’absentéisme », illustre ­Sophie ­Lachance. Ce vaccin pourrait être inclus dans le régime.

«On peut apporter des amendements au contrat d’assurances collectives, par exemple en maintenant des protections après 65 ans. Beaucoup d’employeurs ont fait ça depuis huit ans. »

 – Sophie Lachance, Normandin Beaudry

Taux d’activité des 55 ans et plus en 2020

Au Québec :

38,8 %

Au Canada :

42,9 %

Source : ­Statistique Canada et Études économiques de Desjardins

Étendre les assurances collectives ?

Nombre de travailleurs âgés sont séduits par le travail à temps partiel. Cela n’affecte pas l’offre de l’employeur en matière de régime de retraite. « ­La cotisation est souvent un pourcentage du salaire », indique ­Jean-Michel ­Lavoie.

Par contre, « la grande majorité des travailleurs à temps partiel n’ont pas accès à des avantages sociaux comme les travailleurs à temps plein », observe ­Marie-Josée ­Le ­Blanc, avant d’ajouter que cela évoluera certainement. « ­Les employeurs vont offrir de la flexibilité pour maintenir de l’assurance collective à ceux qui font un minimum d’heures. » Cette couverture étendue aura un coût, mais il sera modéré comparativement au risque de perte de main-d’œuvre détenant de l’expérience, ­précise-t-elle.

L’employeur pourrait par ailleurs encourager le maintien au travail des employés plus âgés en leur proposant des protections durant les premières années de retraite. « ­On peut apporter des amendements au contrat d’assurances collectives, par exemple en maintenant des protections après 65 ans, explique ­Sophie ­Lachance. Beaucoup d’employeurs ont fait ça depuis huit ans. » L’employeur peut ainsi offrir, par exemple, un an de protection à la retraite pour chaque année travaillée en plus.

Certes, de telles offres demandent un budget suplémentaire. Mais l’employeur peut aussi offrir des protections sous forme de services de télémédecine, qui souvent ne sont pas offerts aux retraités, alors qu’ils peuvent régler beaucoup de problèmes de santé, suggère ­Sophie ­Lachance. « C’est une protection, pas très coûteuse pour l’employeur, qui vaut la peine d’être mise en valeur. »

En outre, en matière d’assurance invalidité, « on voit encore des limites d’âge dans le remplacement de revenus pour invalidité, souvent 65 ans, constate ­Marie-Josée ­Le ­Blanc. On ne peut pas offrir une protection sur la vie entière, mais les assureurs commencent à être ouverts à l’idée de proposer deux années de prestations supplémentaires après 65 ans ».

Une réflexion valable pour d’autres travailleurs

Ces défis que doivent relever les employeurs pour les travailleurs de 60 ans et plus ne sont pas uniques. Chaque groupe de travailleurs pourrait se voir proposer une stratégie adaptée, qu’il s’agisse des sexagénaires, des membres des communautés autochtones, des communautés ­sous-représentées… « ­Il s’agit d’avoir des plans soutenables à long terme qui couvrent des besoins diversifiés », résume ­Marie-Chantal ­Côté. Or, cette diversification existe au sein de chaque groupe. « ­Regardez les travailleurs de 60 ans et plus, ils sont différents entre eux, ­affirme-t-elle. Certains peuvent avoir de jeunes familles, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que leurs enfants soient grands. Cela devrait avoir des implications sur leurs investissements et sur leurs assurances collectives. »

En cela, l’approche effectuée auprès des travailleurs âgés pourrait préfigurer ce qu’il serait possible de faire pour d’autres catégories de travailleurs.


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2021 du magazine Avantages.
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