Les indicateurs économiques contradictoires rendent plus incertaine que jamais la trajectoire que prendront les marchés financiers au cours de la prochaine année. Si l’inflation semble avoir atteint un plafond, l’éventualité d’une récession aux États-Unis anime toujours les débats chez les professionnels de l’investissement.
« Les banques centrales ont augmenté les taux trop tard et trop lentement », a lancé d’emblée Nadim Rizk, fondateur et chef des placements de la firme Gestion d’actifs PineStone, lors de la Soirée des prévisions annuelle de CFA Montréal. « Une hausse de taux met beaucoup de temps à régler un problème d’inflation. »
Malgré tout, l’ancien gestionnaire de portefeuille à Fiera Capital estime que l’inflation a probablement atteint son sommet, mais que les banques centrales vont faire preuve de prudence et attendre avant d’entamer un assouplissement monétaire. Il ne serait pas étonné que les taux d’intérêt américains soient un peu plus élevés qu’actuellement dans 12 mois, malgré un certain recul de l’inflation.
L’autre panéliste invitée pour la soirée, Lisa Shalett, estime de son côté que la Réserve fédérale américaine relèvera encore son taux directeur dans les prochains mois, mais que celui-ci sera en revanche plus bas dans un an en raison du ralentissement de l’économie.
La cheffe du Bureau d’investissement mondial chez Morgan Stanley Wealth Management estime que la croissance du PIB sera légèrement positive ou légèrement négative au cours des prochains mois, ce qui placera les États-Unis à la frontière d’une récession.
Nadim Rizk s’attend pour sa part à ce que la première économie mondiale entre en récession dans les six prochains mois en raison « de la forte hausse des dépenses durant la pandémie suivie d’une baisse de la consommation causée par les taux élevés sur une longue période ».
« La baisse sera plus forte aux États-Unis, alors que la situation sera plus stable en Europe, où la hausse des dépenses des consommateurs durant la pandémie a été moins marquée », croit-il.
En Asie, la croissance continuera d’être au rendez-vous, toujours portée par la réouverture de l’économie chinoise à la suite de l’abandon de la politique zéro COVID. « Les entreprises axées sur l’international vont en profiter et mieux traverser une éventuelle récession que les entreprises très dépendantes de l’économie américaine », anticipe Nadim Rizk.
Invités à se prononcer sur la possibilité d’une récession aux États-Unis au cours des six prochains mois, les quelque 800 participants à la soirée se sont montrés extrêmement divisés, la moitié répondant par l’affirmative, l’autre par la négative.
Stagnation en Bourse ?
Alors qu’entre juin 2022 et juin 2023 le S&P 500 a progressé de 15 %, Lisa Shalett s’attend à ce que l’indice phare des marchés boursiers américains se trouve au même niveau qu’actuellement dans un an, soit à environ 4 200 points.
« Les marchés boursiers se trouvent sur des montagnes russes qui ne mèneront nulle part », soutient-elle. Elle note que la hausse des profits des entreprises a été artificiellement gonflée par l’inflation, alors que la surperformance d’une poignée de titres tend à fausser les perceptions d’un marché qui a été très concentré au cours des derniers mois.
En effet, les sept titres technologiques les plus influents de la Bourse américaine, soit Apple, Microsoft, Nvidia, Amazon, Meta, Tesla et Alphabet, ont représenté à eux seuls environ 27 % de la valeur totale du S&P 500 au cours de la dernière année.
Quant aux investisseurs qui sautent de plain-pied dans les titres qui pourraient profiter des dernières avancées technologiques, notamment en intelligence artificielle, Lisa Shalett leur formule cette mise en garde : « Les vainqueurs ultimes d’une révolution technologique ne sont habituellement pas les entreprises qui se trouvent à sa lisière », la gestionnaire évoquant IBM ou AT&T lors de la révolution internet.
À plus long terme, Nadim Rizk demeure tout de même optimiste concernant l’économie américaine, « la plus flexible et innovante au monde », selon lui. « Dans 5 à 10 ans, le niveau des marchés boursiers américains va être significativement plus élevé qu’aujourd’hui. La beauté des États-Unis, c’est qu’ils attirent les meilleurs talents de la planète, contrairement à la Chine par exemple », explique-t-il, en ajoutant que le Canada est également bien positionné à ce chapitre.
Les risques géopolitiques de retour
Tensions avec la Chine, guerre en Ukraine, il y a longtemps que les risques géopolitiques n’avaient pas été aussi présents sur le radar des investisseurs, observent les deux prévisionnistes. « La Chine a une histoire compliquée, indique Nadim Rizk. C’est un miracle économique, mais pas une démocratie ouverte. Ce n’est pas comme d’autres pays qui ont migré vers la démocratie et ont connu une croissance économique en parallèle. »
Pour Lisa Shalett, la plus grosse erreur qu’on commit les investisseurs américains d’un point de vue historique a été de se croire seuls au monde. « Le nombre de clients qui ne veulent pas être exposés à la Chine augmente exponentiellement, déplore-t-elle. Ce sont des discussions difficiles, car à force de se replier sur nous-mêmes, on devient dépendant d’Apple pour nos portefeuilles », lance-t-elle.
Elle ajoute qu’un réalignement des chaînes d’approvisionnement pourrait sans doute permettre aux États-Unis de se passer de la Chine, mais ce ne sera pas le cas d’une grande partie de la planète. Mme Shalett mentionne toutefois que des marchés comme le Japon, le Mexique, l’Inde et le Brésil sont plus populaires chez sa clientèle.
« La communication est plus facile avec l’Inde qu’avec la Chine, renchérit Nadim Rizk. Il s’agit officiellement d’une démocratie, ce qui rend l’information plus accessible. Le pays est néanmoins confronté à d’importants problèmes comme la corruption et des infrastructures déficientes, alors que la Chine a un système centralisé très puissant qui facilite le développement d’infrastructures. »