Alimentée par des flux substantiels des grands investisseurs au cours des dernières années, les stratégies d’investissement ESG commencent à avoir suffisamment de poids sur les marchés pour influencer le prix des actifs. Du moins, dans certaines régions du monde.

« À partir du moment où 15 à 20 % des investisseurs intègrent des critères ESG dans leurs décisions de placement, on commence à constater un effet sur la valorisation des actifs sur le marché », indique Thierry Roncalli, responsable de la recherche quantitative à Amundi Asset Management.

Lors de la Conférence annuelle de l’Association pour l’investissement responsable, qui a eu lieu à Montréal au mois d’avril, M. Roncalli a présenté différentes analyses qui témoignent de l’influence grandissante de l’intégration des critères ESG sur les marchés financiers.

En Amérique du Nord, l’intégration des facteurs ESG constitue encore une stratégie d’alpha, c’est-à-dire que lorsqu’elle est bien exécutée, elle permet à un portefeuille de générer de la valeur ajoutée par rapport au marché (bêta). Par contre, les facteurs ESG n’ont pas encore assez d’influence pour avoir un impact sur le prix des actifs.

Le portrait est différent en Europe, où l’investissement responsable est en vogue depuis plus longtemps. « L’intégration des critères ESG est devenue source de bêta en Europe, explique Thierry Roncalli. À mesure que les flux vont augmenter, le même phénomène va se produire en Amérique du Nord. En bougeant collectivement, les investisseurs font bouger les marchés. » Bref, les facteurs ESG ne sont plus un simple système de filtres, ils sont en voie de devenir un facteur de risque de marché à part entière.

L’analyste a calculé le poids qu’ont les critères ESG sur la valorisation des actions comparativement à celui qu’ont les cinq facteurs généralement pris en compte dans les stratégies de bêta intelligent, soit la taille, la valeur, le momentum, la faible volatilité et la qualité. Résultat, l’ESG est depuis 2014 le facteur alternatif qui est le plus déterminant dans la valorisation des titres boursiers. Cette conclusion s’applique eu Europe, mais aussi dans une moindre mesure en Amérique du Nord.

Thierry Roncalli est donc d’avis que l’ESG deviendra une stratégie de bêta, au même titre que le facteur qualité ou le facteur faible volatilité. « La qualité était une stratégie d’alpha auparavant, mais elle est devenue du bêta parce qu’elle a bien fonctionnée en 2008, et a donc été adoptée par de nombreux investisseurs, dit-il. Le même phénomène s’est produit avec le facteur faible volatilité après l’éclatement de la bulle techno en 2000. »

Les facteurs ESG de plus en plus récompensés par le marché

L’industrie de la gestion d’actif n’a toujours par réussi à en venir à un consensus concernant l’impact qu’a l’intégration des stratégies ESG sur les rendements. Grâce à différentes analyses, Thierry Roncalli a néanmoins démontré que depuis environ 2014, les investisseurs ESG étaient récompensés par le marché.

Avant cette date, il est vrai que l’intégration des facteurs ESG avait tendance à retrancher de la performance aux portefeuilles. En revanche, entre 2014 et 2017, le constat est inversé : les stratégies ESG sont créatrices de valeur sur tous les grands marchés boursiers, à l’exception de celui du Japon, où leur intégration semble encore aujourd’hui avoir des effets négatifs sur le rendement des portefeuilles

En Amérique du Nord, c’est le critère environnement qui semble le plus susceptible de surperformer, alors qu’en Europe il s’agit plutôt du critère gouvernance.

Dans ses analyses, Thierry Roncalli a aussi remarqué qu’à partir d’un certain point, les bienfaits des stratégies d’intégration diminuent à mesure que le score ESG d’un portefeuille augmente. Ainsi, un portefeuille dont le niveau d’intégration des critères ESG atteint 100 % n’offre pas nécessairement un meilleur rendement qu’un portefeuille qui n’en intègre pas du tout.

« En intégrant un très grand nombre de filtres ESG, on en vient à perdre de la diversification, ce qui limite la performance du portefeuille », explique-t-il.