Confrontés à des déficits colossaux, les régimes de retraite du secteur public aux États-Unis injectent massivement des capitaux dans les placements privés, en ignorant parfois les risques et les coûts inhérents à ces investissements.

En 2021, les régimes de retraite américains allouaient en moyenne 8,9 % de leur actif total dans le capital-investissement, selon la société d’analyse Prequin. Cela équivaut à 480 G$ US d’actifs provenant de régimes de retraite locaux et d’États, comparativement à environ 300 G$ US en 2018, rapporte le Wall Street Journal.

Cette forte progression des placements privés au sein des portefeuilles de caisses de retraite s’explique en partie par les rendements spectaculaires enregistrés par cette catégorie d’actif en 2021 : 54 % pour l’année écoulée le 30 juin dernier, selon la société d’analyse Burgiss. Et ces résultats n’incluent pas le capital de risque.

Mais au-delà des rendements, beaucoup de promoteurs de régime choisissent volontairement d’augmenter leur exposition aux placements privés, craignant des rendements modestes provenant des marchés publics au cours des prochaines années.

Même au sein de la catégorie plus large des placements alternatifs, le capital-investissement domine. Malgré un certain engouement des investisseurs institutionnels pour les infrastructures, les ressources naturelles et la dette privée au cours des dernières années, ces trois types d’actifs mis ensemble représentent toujours moins de la moitié des capitaux alloués au capital-investissement dans les portefeuilles des régimes de retraite américains. Les investissements en immobiliers et dans les fonds de couverture ont pour leur part enregistré une légère baisse au cours des trois dernières années.

La Los Angeles County Employees Retirement Association a par exemple relevé en mai dernier de 10 à 17 % sa cible en matière de capital-investissement, tandis que celle concernant les marchés boursiers est passée de 35 à 32 %.

Prendre plus de risque, la seule option

Après des décennies de sous-capitalisation, de promesses de prestations irréalistes et de mesures d’austérité gouvernementales, les régimes de retraite du secteur public américains ont accumulé des déficits se chiffrant en centaines de milliards de dollars. Travailleurs et employeurs ont refusé d’augmenter leur taux de cotisation, et les tribunaux ont annulé les réductions des prestations annoncées par certains régimes. Ceux-ci n’ont donc d’autre choix que d’accroître le niveau de risque de leur portefeuille pour obtenir des rendements plus élevés.

Sur un horizon de 10 ans, la société de conseil en investissement Wilshire prévoit des rendements annuels moyens de 5 % pour les actions américaines, et de 1,85 % pour les obligations américaines de base. En ce qui concerne les placements privés, les prévisions de 8,4 % sont évidemment plus attrayantes pour les investisseurs institutionnels.

Un avantage qui s’estompe

Si l’attrait pour le capital-investissement ne semble pas diminuer, des données révèlent que la performance supérieure de cette catégorie d’actif tend à s’estomper. Au cours des trois dernières décennies, l’indice capital-investissement de Burgiss a généré un rendement annuel moyen de 14 %, soit 3 points de pourcentage de plus que l’indice S&P 500. En revanche, si l’on tient uniquement compte des 10 dernières années, le rendement obtenu par les placements privés a été le même que celui de l’indice phare des marchés boursiers américains, soit 14,8 %.

C’est que certains des coûts et des risques associés au capital-investissement ont augmenté au cours des dernières années. Encouragées par des taux d’intérêt historiquement bas, les sociétés de capital-investissement s’endettent dans des proportions record pour réorganiser les entreprises qu’elles achètent. Les dépenses liées à la création de fonds de capital-investissement ont pour leur part doublé au cours de la dernière décennie.

« Cette hausse est due au fait que le capital-investissement dans son ensemble dispose de plus de capitaux pour rechercher plus ou moins les mêmes opportunités potentielles », explique Todd Silverman, de la firme de consultation Meketa Investment Group.

Résultat, la compétition est de plus en plus forte entre les investisseurs pour mettre la main sur les meilleures opportunités. Un climat qui pourrait en pousser certains à prendre trop de risque, craint le président de la Securities and Exchange Commission, Gary Gensler. Dans un discours prononcé en novembre, il s’est demandé si les caisses de retraite qui décident d’engager des fonds dans les placements privés disposent « de toutes les informations cohérentes et comparables dont elles ont besoin pour prendre des décisions d’investissement éclairées. »