L’espérance de vie augmente, la protection contre le risque de longévité s’effrite, et pourtant, l’âge auquel les Québécois demandent leurs prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) n’a pas bougé d’un poil en deux décennies. Que faut-il en conclure?

Il y a 20 ans, les Québécois recevaient en moyenne leur premier versement du RRQ à 61,5 ans, selon les données de Retraite Québec. Aujourd’hui, ils le reçoivent… à 61,5 ans. En réalité, 60 % des bénéficiaires demandent leur rente aussitôt qu’ils le peuvent, c’est-à-dire à 60 ans.

« Il n’y a eu aucune évolution en 20 ans. Même l’introduction de pénalités plus élevées pour les gens qui demandent leur rente avant 65 ans n’a eu aucun effet », a expliqué Nathalie Madore, directrice de la statistique et de l’analyse quantitative à Retraite Québec, lors du colloque Retraite, investissement institutionnel et finances personnelles le mois dernier à Québec.

Le manque de connaissances des Québécois relativement aux produits d’épargne-retraite et aux régimes publics peut sans doute expliquer en partie ce comportement, qui peut paraître insouciant à l’ère où les régimes à prestations déterminées protégeant les retraités contre le risque de longévité ne cessent de perdre du terrain. Mais il s’agit aussi d’un dilemme entre le cœur et la raison, croit Nathalie Madore. Et le cœur semble l’emporter assez souvent.

61 ans, l’âge idéal selon les Québécois

Selon un sondage de Retraite Québec, 34 % des Québécois pensent qu’un homme de 60 ans ne peut pas vivre plus d’une quinzaine d’années, ce qui est évidemment très loin de la réalité. Un homme âgé de 60 ans aujourd’hui peut en effet s’attendre à vivre en moyenne jusqu’à 86 ans.

« Les gens ont peur de mourir jeune. Il se disent « j’ai mis de l’argent là-dedans [le RRQ], je dois aller le récupérer le plus rapidement possible ». C’est la philosophie du un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Or, ce n’est vraiment pas la vision que les gens devraient avoir de la rente du RRQ », souligne Nathalie Madore.

Un sondage publié en novembre dernier par Question Retraite a révélé que les Québécois estiment que 61 ans est l’âge idéal pour prendre sa retraite, soit l’âge moyen du premier versement du RRQ. « Tant et aussi longtemps que les gens vont avoir cette perception que l’âge idéal pour prendre sa retraite est aussi bas, ça ne changera pas », mentionne-t-elle.

Elle estime également que la propension des Québécois à réclamer leur rente du RRQ aussi tôt peut venir du fait qu’ils ne voient pas la différence entre être à la retraite et avoir des revenus de retraite. « On doit se battre contre ce sentiment d’urgence ressenti par les gens. C’est un gros défi de les amener à être plus rationnels », dit-elle.

Attendre, c’est payant

Nul besoin de mourir à un âge très avancé pour profiter des bonifications liées à un report du versement des prestations du RRQ, a démontré l’actuaire Serge Charbonneau, président de Pro-Pension. En réalisant plusieurs hypothèses, il a conclu que pour un individu qui décède à l’âge de 86 ans, le scénario de la prise du RRQ à 60 ans est toujours défavorable.

Plus étonnant, même les individus qui décèdent à l’âge de 76 ans et qui ont demandé leur rente dès 60 ans n’en sortent généralement pas gagnants. Dans leur cas, le scénario du RRQ à partir de 65 ans est plus avantageux la plupart du temps.

Le planificateur financier Dany Provost a de son côté calculé la valeur liquidative du RRQ à l’âge de 95 ans pour un individu ayant versé les cotisations maximales au régime depuis l’âge de 30 ans. Résultat, ce bénéficiaire du RRQ aura touché des prestations totales de 338 000 $ à l’âge de 95 ans s’il a reçu son premier versement à l’âge de 60 ans. S’il a demandé sa rente à 65 ans, il aura touché 461 000 $, et s’il a eu la patience d’attendre jusqu’à 70 ans, ce sont 510 000 $ au total qui lui seront versés. Autrement dit, un individu qui décède à l’âge de 95 ans perd 172 000 $ en demandant sa rente du RRQ à 60 ans plutôt qu’à 70 ans.

Reste à savoir si ces arguments hautement rationnels sauront convaincre des retraités souvent plus à l’écoute de leurs émotions que de leur raison.