La majorité des conventions collectives au Québec ne prévoient pas de mesures pour encourager les travailleurs expérimentés à rester plus longtemps en poste, selon une étude du Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal. Cette solution pourrait cependant être d’une grande aide pour réduire l’ampleur de la pénurie de main-d’œuvre, selon Robert Gagné, son directeur.

À partir d’un échantillon représentant 10 % des conventions collectives en vigueur au Québec, le CPP constate que seulement 12,7 % d’entre elles comportent des clauses destinées à favoriser le maintien en emploi des travailleurs âgés, peut-on lire dans le rapport « Vieillissement démographique : solutions pour un Québec mal préparé », dévoilé mercredi.

Parmi les clauses qui pourraient favoriser la rétention, M. Gagné donne en exemple l’ajout de semaines de vacances, la semaine partagée entre employés, le maintien des avantages sociaux pour les travailleurs âgés qui continuent de travailler à temps partiel. « Ça peut être des mesures coûteuses, mais qu’est-ce qui coûte le plus cher, donner ces avantages ou n’avoir personne. »

Des solutions pour combler la pénurie

En 2019, 48,1 % des Québécois âgés de 60 à 64 ans ont occupé un emploi, comparativement à 54,9 % pour les Ontariens du même âge. Pour les 65 à 69 ans, ce taux est de 22,1 % au Québec et de 27,7 % en Ontario. « Bref, les Québécois se retirent tôt du marché du travail. »

Or, si le taux d’emploi des Québécois dans la soixantaine rejoignait celui des Ontariens, près de 69 500 travailleurs supplémentaires s’ajouteraient au marché du travail, ce qui représente près de la moitié des postes vacants.

Comme près de 44 % des travailleurs nés au Québec sont couverts par une convention collective, négocier des conditions plus favorables pour les travailleurs âgés pourrait avoir un grand impact, ajoute M. Gagné.

Les syndicats favorables

Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ, croit lui aussi qu’il faudrait trouver des moyens de retenir les travailleurs âgés dans la fonction publique. « C’est important de créer des conditions qui ne vont pas décourager les personnes qui ont le goût de continuer au-delà de 65 ans. »

Outre la flexibilité des horaires, le gouvernement devrait investir dans la formation pour permettre aux employés qui le désirent d’effectuer d’autres tâches. Il faudrait aussi réfléchir à la santé et sécurité au travail, selon lui. « Les gens plus âgés n’ont plus 20 ans, le corps n’est plus aussi résistant. Ils sont plus enclins à se blesser et il faut prévoir des aménagements différents pour ces personnes. »

Caroline Senneville, présidente de la CSN, aimerait que Québec revalorise les rentes des travailleurs qui font le choix de rester au travail après l’âge de 65 ans. « Ça fait partie de nos demandes pour que ça soit intéressant de rester plus longtemps. »

Les conditions de travail jouent aussi un rôle dans la décision de partir à la retraite. « Je vous dirais qu’après 35 ans, il y a beaucoup de travailleurs qui se sentent usés. »

Même si on parle de pénurie de main-d’œuvre et de rétention, il reste encore de l’âgisme dans les milieux de travail dans le secteur privé, constate Mme Senneville. « Dès qu’on a un peu de cheveux blancs, on se fait demander pourquoi on ne prend pas sa retraite. Ça semble louche, les personnes qui veulent rester. C’est dommage parce que c’est une perte d’expertise pour les entreprises. »

Le gouvernement devrait donner l’exemple

En tant que plus important employeur, Québec a un rôle à jouer. Or, les gouvernements qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années ont commis des erreurs « historiques » en faisant trop d’attrition dans la fonction publique et en n’admettant pas suffisamment d’immigrants, dit M. Gagné.

« Le vieillissement de la population, ce n’est pas un scoop de cette semaine. Il y a 20 ans, on le savait. Pourtant, on n’a pas réfléchi deux minutes pour se préparer à ça. »

L’immigration n’est pas une solution à court terme, prévient M. Gagné. « Si on a une pénurie de main-d’œuvre aujourd’hui, c’est parce qu’on n’a pas suffisamment admis d’immigrants il y a 10 ou 15 ans. »
Le gouvernement Legault fait « pire » que ses prédécesseurs en diminuant les seuils d’immigration, accuse M. Gagné. Il note que le creux de la vague démographique sera atteint en 2035 et qu’il faudrait commencer dès maintenant à ajuster les politiques d’immigration en conséquence.