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L’automne dernier a été particulièrement chaud au Québec dans le domaine de la législation concernant le financement des régimes de retraite à prestations déterminées. En deux ou trois mois, trois documents réglementaires d’envergure ont été publiés.

Règlement d’application de la loi 30
Le gouvernement du Québec a publié le 21 octobre dernier le Règlement visant principalement à compléter la mise en place des nouvelles normes de financement des régimes de retraite à prestations déterminées assujettis à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite.

On se souviendra que la loi 30, adoptée en décembre 2006, a modifié de façon substantielle les règles de financement des régimes de retraite au Québec. Ces nouvelles règles s’appliqueront aux évaluations actuarielles dont la date est postérieure au 14 décembre 2009. En matière de financement, cette loi a notamment introduit deux nouveautés qui peuvent avoir un impact significatif pour les employeurs. La première est l’ajout d’un concept de provision pour écarts défavorables (« PED »). La seconde est la possibilité pour l’employeur de fournir au comité de retraite une lettre de crédit en lieu et place du versement des cotisations d’équilibre requises pour assurer la solvabilité du régime. Ces deux mesures constituent par ailleurs les deux éléments qui sont principalement visés par le Règlement d’application de la Loi 30.

Notons en particulier que la version finale du Règlement est venue confirmer que la PED sera déterminée par le biais d’une formule contenant plusieurs paramètres. Retenons que la formule est fondée sur une PÉD de 7 % variant, à la hausse ou à la baisse, en fonction principalement de :

• la répartition de l’actif selon les différentes catégories de placement;
• la proportion que représentent les engagements de type à prestations déterminées, non garantis par un assureur, par rapport à l’ensemble des engagements du régime;
• l’écart de « durée » entre celle afférente au passif des retraités par rapport à celle des actifs associés par le règlement à ce groupe de participants.

Signalons par ailleurs que le comité de retraite se fait accorder une marge de manoeuvre quant à l’application de certaines règles.

Par le choix de cette formule pour calculer la PED, au lieu qu’elle ne soit qu’un simple pourcentage fixe, le message est lancé : les régimes qui géreront mieux leur risque de désappariement actif-passif auront plus de flexibilité quant à l’utilisation de leurs surplus éventuels.

En ce qui concerne l’usage des lettres de crédits, les frais exigés par les institutions financières ont augmenté considérablement depuis l’adoption de la loi 30, rendant cette mesure moins attrayante que prévu pour les promoteurs.

Règlement concernant les mesures d’allègement
Le gouvernement du Québec a procédé le 11 novembre dernier à la publication du règlement tant attendu par de nombreux promoteurs de régimes de retraite afin d’atténuer les effets de la crise financière. Ce règlement vise à compléter les mesures d’allégement déjà contenues dans la loi 1, adoptée le 15 janvier 2009.

En outre, comme le règlement propose des allégements seulement à l’égard des règles de solvabilité, il n’a pas d’effet utile pour les régimes dont l’employeur est une municipalité ou une université car ces régimes sont déjà soustraits à ces règles. Ces régimes ont fait l’objet plus tard d’un règlement distinct.

Tout comme celles que le législateur avait adoptées en 2005 dans le cadre de la loi 102, les mesures décrites dans le nouveau règlement d’application de la loi 1 ont une portée temporaire. En effet, ces mesures auront comme principal effet de diminuer les cotisations autrement requises de l’employeur en 2009, 2010 et 2011. À compter de 2012, il faudra revenir aux règles usuelles. Ainsi, à moins que la caisse de retraite ne profite de gains plus que significatifs au cours de cette période de trois ans, les mesures proposées auront pour effet de faire croître de façon substantielle les cotisations requises pendant la période de cinq ans qui suivra, soit celle comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2016.

La décision de se prévaloir ou non des mesures doit être prise à l’occasion de la première évaluation actuarielle dont la date est postérieure au 30 décembre 2008. Si le promoteur du régime ne se prévaut pas des mesures à cette occasion, il ne pourra y recourir par la suite.

Le gouvernement permet au promoteur du régime de sélectionner parmi quatre mesures d’allégement, celle(s) qu’il juge appropriée(s) afin de diminuer le fardeau financier que peut constituer pour lui le régime de retraite à la suite de la crise financière. Ces mesures sont les suivantes :

1. Lissage de la valeur de l’actif considéré aux fins de la solvabilité
2. Consolidation des anciens déficits considérés aux fins de la solvabilité
3. Allongement de la période d’amortissement du déficit de solvabilité
4. Mise en application hâtive d’une norme de l’Institut canadien des actuaires dans le cas d’une évaluation actuarielle dont la date est antérieure au 1er avril 2009.

Règlement concernant les secteurs municipal et universitaire
Le gouvernement du Québec a publié le 23 décembre le projet de règlement tant attendu par de nombreuses municipalités et universités afin d’atténuer les effets de la crise financière. Ce règlement vise à adapter, au domaine municipal et au secteur universitaire, les nouvelles règles de financement contenues dans la loi 30, qui entrent en vigueur le 1er janvier 2010, et ayant pour effet de renforcer les règles en place. Ce règlement a aussi pour objectif de compléter les mesures d’allégement déjà contenues dans la loi 1 adoptée le 15 janvier 2009. Ceci dit, la grande surprise de ce projet sera, pour plusieurs, l’ajout d’une réserve en capitalisation, laquelle viendra affecter l’utilisation des excédents d’actif.

Il s’agit d’un projet de règlement et on peut s’attendre à ce que la version finale ne soit publiée que vers le mois de mai 2010. Toutefois, tel que permis par la Loi, le règlement proposé prendra effet rétroactivement au 31 décembre 2008.

Rappelons que depuis le 28 décembre 2006, les régimes de retraite des municipalités, ainsi que certains autres régimes du secteur public, sont soustraits, de façon permanente, à l’exigence de cotiser à leur régime de retraite pour en assurer sa solvabilité. En effet, depuis cette date, seuls les déficits selon l’approche de capitalisation sont l’objet de cotisations d’équilibre à la charge de l’employeur.

Toutefois, cet allègement avait aussi été accompagné de certaines nouvelles mesures plus contraignantes pour le financement selon l’approche de capitalisation, dont l’obligation d’utiliser la valeur marchande de l’actif pour établir le bilan du régime.

Malgré l’élimination du financement selon l’approche de solvabilité, les promoteurs de régimes des domaines municipal et universitaire seront confrontés, comme tous les autres, aux conséquences de la crise économique. Plusieurs d’entre eux ont été tenus de procéder à une évaluation actuarielle au 31 décembre 2008, donc sans pouvoir tenir compte de la reprise des marchés survenue en 2009. Ainsi, si rien n’était fait, des cotisations importantes devraient s’ajouter aux cotisations courantes.

De plus, à la suite de l’adoption de la loi 30, il était requis d’adapter plusieurs règles de financement, contenues dans cette importante réforme, aux particularités des régimes soustraits à l’obligation de financer la solvabilité. Le projet de règlement y pourvoit.

Notons en particulier que le règlement publié propose que, de façon permanente, l’actif du régime selon l’approche de capitalisation soit dorénavant réparti en deux comptes distincts : un compte général et une réserve. De plus, la provision pour écarts défavorables (« PED ») qui entrera en vigueur le 1er janvier 2010 à la suite de l’adoption de la loi 30, et qui limitera l’utilisation de l’excédent d’actif, s’appliquera, contrairement aux attentes de certains, également aux municipalités et aux universités. Il s’agit exactement de la même PED que pour les régimes d’employeur du secteur corporatif, soit une PED qui tient compte de la gestion par le régime de son risque de désappariement actif-passif.

Et pour la suite, les défis ne manquent pas
Donc, plus particulièrement depuis le 1er janvier 2010, les règles de financement des régimes de retraite à prestations déterminées sont passablement différentes du passé pour les régimes enregistrés au Québec. De plus, des mesures temporaires d’allègement suite à la crise financière de 2008 viennent ajouter des éléments à considérer.

Les employeurs sont confrontés à plusieurs questionnements et analyses dans leur planification budgétaire :

– Avec ou sans les mesures d’allègement, comment évolueront les cotisations au régime d’ici 2012 (fin des mesures d’allègement) ?
– Comment doit-on planifier l’utilisation de lettres de crédit lorsqu’il y a aussi un déficit selon l’approche de capitalisation ? Comment doit-on planifier la réduction ou l’élimination des lettres de crédit lorsque la situation financière du régime s’améliorera ?
– Est-il souhaitable de combler rapidement les déficits afin d’éviter le dépôt annuel d’une évaluation actuarielle complète ? Comment doit-on planifier les cotisations versées en excédent des cotisations minimales requises suite aux nouvelles règles ?
– Comment doit-on réviser la politique de placement du régime de façon à s’assurer que la PED s’intègre bien aux objectifs visés par le promoteur et les participants ?
– De quelle façon les nouvelles règles de provisionnement interagissent-elles avec les normes comptables ? Avec le passage aux normes comptables internationales, obligatoire pour plusieurs promoteurs, la stratégie de financement devra-t-elle être revue ?
– Comment apprivoiser les nouveaux outils et approches de gestion du risque visant à ne plus jamais revivre la mauvaise expérience des dernières années ?

Alors, place aux innovations !!!

Luc Villiard est vice-président chez Aon Conseil.