Quelque part entre les régimes à prestations déterminées (PD) et les régimes à cotisation déterminée (CD), les régimes à prestations cibles (PC) sont pleins de promesses, mais tardent à prendre leur envol. Si pour certains ils constituent un compromis intéressant à l’heure où les promoteurs cherchent à transférer les risques inhérents à leurs régimes aux participants, pour d’autres, ils ne sont que des régimes de capitalisation déguisés.

Contrairement aux régimes PD, les régimes PC ne garantissent pas une prestation fixe aux participants. Ils établissent plutôt un niveau cible qui peut varier en fonction de la santé financière du régime. L’employeur verse une cotisation fixe et n’a pas à financer les déficits.

À l’heure actuelle, seules certaines entreprises du secteur des pâtes et papiers sont autorisées à mettre en place un tel modèle de régime au Québec. Retraite Québec a toutefois lancé des consultations en 2017 et mis sur pied un comité technique dans l’optique d’éventuellement modifier la réglementation pour permettre la création de régimes PC à plus grande échelle. Ottawa a également entrepris de se pencher sur la question en 2016 pour les régimes sous réglementation fédérale.

« Les régimes PC viennent d’un besoin de flexibilité chez les employeurs qui veulent se dégager des lourdes promesses inhérentes aux régimes PD. Ils peuvent représenter une bonne solution de rechange aux régimes CD », a souligné Claudia Gagné, professeure agrégée en actuariat à l’Université de Montréal, lors du Séminaire sur la retraite et les assurance de la FTQ le mois dernier.

Selon le syndicat, le gouvernement du Québec aurait l’intention d’étendre l’interdiction des clauses de disparité de traitement dans les régimes de retraite aux régimes qui prévoyaient déjà de telles clauses avant l’entrée en vigueur de la réforme de la loi sur les normes du travail l’année dernière. Si cela se concrétise, les régimes PC pourraient représenter un bon compromis, croit Claude Lockhead, associé exécutif chez Aon.

« Les employeurs ne veulent plus de régimes PD, mais ils seraient prêts à embarquer dans les PC. Pour les participants, c’est certain qu’un régime PD est plus avantageux, mais seulement si l’employeur est solide financièrement. Aujourd’hui, peu d’entreprises peuvent être certaines d’exister encore dans quelques décennies. Ce n’est pas vrai que les employés qui bénéficient d’un régime PD sont protégés contre tous les risques. Parlez-en aux retraités de Nortel ou de Sears », soutient-il.

Les prestations cibles ne sont pas une solution

La FTQ affirme pour sa part que les régimes PC ne constituent pas un compromis acceptable pour les employés. À l’image des régimes CD, ils contribuent à transférer les risques et les responsabilités des employeurs vers les travailleurs, déplore le syndicat.

« Les nouvelles règles de financement des régimes PD introduites par la loi 29 sont de bien meilleurs outils pour réviser les régimes de retraite que les prestations cibles, insiste le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux. On dirait que les employeurs ont oublié que les règles ont changé. Ça me fait de la peine, c’est comme si on avait travaillé deux ans pour rien. Aujourd’hui, un régime PD ne coûte pas plus cher qu’un régime CD pour les employeurs. »

Avant de se lancer dans le développement de nouveaux modèles de régimes, Serge Cadieux croit que les employeurs devraient au moins revoir le design de leur régime en testant les nouveaux mécanismes introduits par la loi 29. « Si ça ne fonctionne pas, on cherchera d’autres solutions », ajoute-t-il.

Claude Lockhead partage son avis en ce qui concerne la réforme des règles de financement. « Aujourd’hui, le niveau de risque des régimes PD est très acceptable pour la plupart des employeurs, mais c’est quand même un constat d’échec pour la loi 29. Les régimes PD continuent de disparaître, c’est très dommage. C’est une excellente réglementation, mais qui est arrivé trop tard. J’ai peur que dans un très grand nombre d’organisations, les régimes CD vont gagner. Dans ce contexte, les prestations cibles constituent une alternative très valable », dit-il

Une question d’équité intergénérationnelle

Alors que Serge Cadieux est d’avis que la cible établie pour le montant des prestations « bouge toujours au détriment des participants », Claude Lockhead soutient qu’il y a au contraire « plus de chance que la rente soit revue à la hausse qu’à la baisse ». « Dans la mesure où le cadre réglementaire n’est pas trop strict, il est possible de choisir un niveau de sécurité plus ou moins élevé dans les régimes PC », précise-t-il, en ajoutant que les surplus dans ce type de régime appartiennent aux participants.

Un autre avantage des régimes à prestations cibles sur les régimes PD est leur plus grande équité intergénérationnelle, explique Claudia Gagné. « Dans un régime PC, les ajustements se font fréquemment, ils sont donc de moindre ampleur et touchent tous les participants également. Dans les régimes PD, les changements se font presque toujours au détriment des employés actifs. On l’a vu avec la loi 15 dans le secteur municipal, les retraités ont été très peu affectés. »

« C’est beaucoup plus difficile pour un retraité qu’un employé actif de voir sa rente amputée, rétorque Serge Cadieux. L’employé actif peut toujours travailler plus longtemps ou trouver d’autres revenus pour combler le manque à gagner. »

Et le RRFS?

Dans les cas où le maintien d’un régime PD est vraiment impossible, Serge Cadieux mise sur le Régime de retraite par financement salarial (RRFS), puisqu’il offre des prestations garanties aux participants, contrairement aux régimes PC. « Le RRFS est beaucoup mieux que le régime PC pour les participants, et il ne coûte pas plus cher aux employeurs », assure-t-il.

Claude Lockhead n’est pas aussi catégorique. « Au final, les RRFS et les régimes PC distribuent le même argent, mais de façon différente. Les régimes PC sont toutefois plus équitables pour les participants qui décèdent plus jeune. Il faut vivre longtemps pour profiter du gros coussin de sécurité que l’on finance dans les RRFS », dit-il, en faisant référence au mécanisme d’indexation différée de ces régimes, qui n’est possible que lorsque la santé financière du régime le permet.

À l’inverse, poursuit-il, les régimes PC vont verser des prestations qui peuvent varier, mais dont le niveau de base sera plus élevé. Ainsi, les retraités touchent l’ensemble de leur rente de façon immédiate, alors qu’une partie des prestations, l’indexation, peut être différée dans les RRFS.