Il fallait une dose d’audace pour être le premier régime de retraite en Amérique du Nord à conclure un contrat d’assurance longévité. C’est ce qu’a fait BCE en 2015 pour réduire son exposition à un risque que l’entreprise pouvait difficilement couvrir autrement. Une démarche qui pourrait inspirer d’autres promoteurs, à l’heure où la hausse rapide de l’espérance de vie est source d’inquiétude dans l’industrie.

« En 2013-2014, lorsqu’on a entamé notre réflexion sur le transfert de risque pour notre régime à prestations déterminées, on ne savait pas encore si on allait opter pour la souscription de rentes collectives indexées ou un contrat d’assurance longévité », a raconté Robert Marchessault, directeur, pension et services actuariels chez Bell, lors de la Conférence annuelle 2022 de l’ARASQ, à La Malbaie.

Or, la formule d’indexation complexe du régime de Bell rendait l’option des rentes indexées extrêmement coûteuse. Le promoteur a donc privilégié l’assurance longévité, ce qui lui permettait du même coup de garder le contrôle sur son portefeuille d’actifs. « On voulait conserver la gestion des placements à l’interne, poursuit M. Marchessault. Vu notre taille, on a la capacité d’investir sur les marchés privés, et on voulait poursuivre dans cette voie. »

Mais à l’époque, transférer uniquement le risque de longévité à un assureur était une stratégie inédite en Amérique du Nord. Des rencontres ont d’ailleurs eu lieu avec des réassureurs du Royaume-Uni, qui disposaient d’une plus vaste expertise en la matière.

BCE a finalement annoncé en 2015 avoir conclu un contrat d’assurance longévité de cinq milliards de dollars avec Sun Life. Pas moins de 90 % du risque de longévité a été transféré à deux réassureurs, RGA Canada et SCOR Global Life, précise Robert Marchessault.

Le passif des retraités atteignait 10 G$ au moment de la transaction, le régime de BCE a donc couvert 50 % de son risque de longévité. « Le risque de longévité était l’un des seuls risques qui n’étaient pas encore protégés dans notre régime, explique M. Marchessault. L’initiative a donc été bien accueillie au conseil d’administration. »

Pour mettre toutes les chances de son côté et éviter les complications, BCE, dont le régime de retraite est soumis à la réglementation fédérale, a présenté en amont son projet au Bureau du surintendant des institutions financières.

Robert Marchessault ne cache pas qu’il s’agissait d’une opération financière de grande envergure particulièrement complexe. « Avec tous les avocats impliqués dans le dossier, le contrat est passé de 30 pages à plus de 100 pages ! », se rappelle-t-il.

Si sept ans plus tard le recours à l’assurance longévité demeure toujours rare au Canada, deux autres régimes de retraite ont depuis opté pour cet outil de transfert de risque : celui de la Compagnie canadienne des billets de banque en 2016 (contrat de 35 M$) et celui de la Co-operative Superannuation Society en 2020 (contrat de 660 M$). À 5 G$, le contrat d’assurance longévité de BCE demeure toutefois le plus important à avoir été conclu à ce jour au pays.

Pourquoi transférer le risque de longévité ?

« Les assureurs sont mieux outillés que les promoteurs de régime pour gérer le risque de longévité », indique Mélissa De Montigny, directrice, solutions retraite à Solutions Mieux-être LifeWorks.

Mais pour les promoteurs de régime qui pourraient être rebutés par le prix de la prime d’une entente d’assurance longévité, la spécialiste précise que le transfert de risque peut être partiel, en ne couvrant que la portion non indexée des prestations par exemple.

Une entente d’assurance longévité peut également être convertie ultérieurement en achat de rentes. « Mais l’assurance longévité demeure intéressante pour les promoteurs qui veulent conserver l’actif dans leur régime », ajoute-t-elle.

Contrairement aux rentes collectives, qui font l’objet d’un paiement unique à l’assureur, la prime d’assurance longévité est payée tout au long de la durée de vie du contrat.

Le concept de l’assurance longévité repose sur le fait que la courbe de mortalité d’un régime de retraite n’est pas linéaire, et s’écarte parfois des prévisions. Les régimes peuvent ainsi être mis sous pression lors de certaines périodes où la mortalité est moins importante qu’anticipée. « En résumé, quand la mortalité est plus élevée que les prévisions, l’assureur fait un gain, mais quand elle est inférieure aux précisions, il enregistre une perte », explique Mme De Montigny.

Gérer le risque, ou vivre avec

Les régimes de retraite qui sont, pour différentes raisons, réticents à transférer leur risque de longévité à un assureur ont deux autres possibilités, selon Mélissa De Montigny, le gérer en révisant le design du régime ou alors tout simplement vivre avec.

« Vivre avec le risque de longévité, ça implique quand même d’en être conscient et de le comprendre, insiste-t-elle. C’est important de connaître le niveau de tolérance au risque du régime et d’être prêt à agir si nécessaire. »

Cette approche ne convient évidemment pas à tous les régimes, et Mme De Montigny assure qu’il est possible de gérer le risque de longévité sans coup de main des assureurs.

D’abord en faisant preuve d’une certaine prudence en matière d’investissement, ou alors d’investir dans des actifs susceptibles de profiter d’une augmentation de l’espérance de vie.

Un cadre de financement renforcé et la mise en place de marges permettant d’absorber la volatilité liée à la longévité sont aussi des solutions envisageables.

Mais plus important encore, différents éléments dans la conception des régimes peuvent avoir une grande incidence sur leur niveau d’exposition au risque de longévité.

Les régimes dotés d’une formule d’indexation automatique sont plus exposés à ce risque, tout comme les régimes de petite taille. « Le regroupement de plusieurs petits régimes est une solution qui permet de diluer le risque de longévité », souligne Mélissa De Montigny.

Un autre moyen de réduire la pression sur un régime est de permettre le paiement de la valeur de transfert aux participants même lorsqu’ils sont à la retraite. « Cela revient à transférer le risque de longévité au participant », indique l’actuaire.