Si la Sécurité de la vieillesse (SV), le Supplément de revenu garanti (SRG), le Régime de pensions du Canada (RPC) ou le Régime des Rentes du Québec (RRQ), selon le cas, procurent un revenu sûr lors de la retraite, on le sait, la valeur maximale de leur montant reste en deçà des 50 à 70 % du revenu antérieur, jugé nécessaire au maintien d’un niveau de vie équivalent. Dans ce contexte, quel est le manque à gagner des baby-boomers québécois ?
« Au Québec, le manque d’épargne des baby-boomers est généralisé », soutient Stéphan Lazure, conseiller principal et chef de la pratique retraite chez PBI Conseillers en actuariat à Montréal. « Selon la Régie des rentes du Québec, près de la moitié des retraités de la classe moyenne ont des revenus insuffisants. Face à une absence d’indexation des prestations, d’une utilisation incomplète des cotisations maximales au régime enregistré d’épargne-retraite (REER), d’une épargne insuffisante et rongée par les frais, plusieurs doivent compenser en demeurant plus longtemps en emploi. »
« Difficile de répondre, car il s’agit davantage d’un problème de cas par cas », affirme Éric Tardif, conseiller principal chez Aon Hewitt. « Ce qui est sûr, c’est que les travailleurs ne bénéficiant pas d’un régime à prestations déterminées (PD) ressentent plus cruellement ce manque. »
Jimmy Côté, associé et conseiller en sécurité financière, assurance et rentes collectives chez Groupe conseil Ringuet, se fait plus précis. « Dans le milieu des entreprises de 150 employés et moins, le manque à gagner est énorme. Seulement 10 % des PME qui ont une assurance collective offrent un régime de retraite, et si celui-ci est ordinairement insuffisant pour générer une retraite confortable, il l’est encore plus pour une retraite anticipée. »
« Contrairement à l’idée reçue, le retard des baby-boomers peut être rattrapé sous certaines conditions », argue pour sa part Jean-Grégoire Morand, associé, consultation en retraite et épargne, Gestion d’actifs chez Normandin Beaudry. « Il faut comprendre qu’entre 45 et 50 ans, soit une fois l’hypothèque réglée et les études des enfants payées, le baby-boomer se trouve dans une situation d’épargne idéale. En conservant le même train de vie, jugé plus restreint, il est à même d’épargner considérablement, ce qui lui était impossible auparavant. »
L’effet senior : positif ou négatif ?
La présence prolongée de travailleurs ou de cadres seniors a nécessairement des impacts sur la structure organisationnelle d’une entreprise. Reste à savoir : sont-ils positifs ou négatifs ? « Un peu des deux, avance Stéphan Lazure. Il y a plusieurs avantages à garder ses effectifs d’expérience, notamment en matière de transfert de connaissances et de compétitivité. Mais, cela implique aussi des salaires et des coûts de programmes d’avantages sociaux plus élevés. » Et, selon lui, puisque la plupart des régimes de retraite privés et publics migrent actuellement vers des formules de partage de coût et de transfert de risque vers les employés, la facture risque d’augmenter pour les employeurs et les employés.
Une opinion que partage Jimmy Côté : « La présence des aînés en entreprise favorise aussi la stabilité de la rétention du personnel et la maturité dans les relations interpersonnelles. Mais la hausse des coûts du régime d’assurance collective, découlant directement de la consommation de médicaments, nous ramène à une certaine réalité. » Plus précisément, celle émanant d’un récent sondage de Telus Santé qui recense une hausse moyenne de 4 % des coûts pour chaque année d’âge supplémentaire jusqu’à l’âge de 65 ans.
Pour Jean-Grégoire Morand, tout dépend de la raison de leur présence. « Le fait que l’employé désire demeurer dans l’entreprise par choix, notamment pour se tenir actif, est considéré comme positif, alors que la nécessité financière est, elle, perçue de manière plus péjorative. » Il ajoute que ce phénomène de la retraite ajournée ne touche pas seulement les gens moins fortunés, mais aussi les professionnels habitués à des styles de vie aisés. « Ceux qui restent pour les mauvaises raisons constituent souvent des troupes non mobilisées, enclines à l’absentéisme, et dont les méthodes de travail peuvent générer des conflits avec les autres catégories d’âge, jalouses de leurs privilèges. Dans ce cas, l’effet est plutôt négatif ».
Accommodements raisonnables
Afin d’en retirer les pleins avantages, comment l’entreprise peut-elle accommoder ces travailleurs plus âgés ?
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« Malheureusement, l’entreprise n’a pas le plein contrôle à ce chapitre, rappelle Stéphan Lazure. Plusieurs règles fiscales limitent actuellement les possibilités de conserver ces ressources plus longtemps. » Ce dernier cite ainsi l’exemple de l’employé de 55 à 65 ans qui, en prenant sa retraite plus tard qu’autorisé, crée un gain actuariel. « La loi fiscale ne permet pas à un employeur de dédommager l’employé pour l’absence de rente et de valorisation par une rémunération équivalente à celle économisée dans le financement du régime, note M. Lazure. Les régimes de retraite actuels facilitent la gestion de la main-d’œuvre de façon générale, mais imposent des contraintes lorsque vient le temps de conserver un lien d’emploi au-delà de l’âge de la retraite. Et ce, sans compter l’aspect fiscal et les spécificités du programme de pension de vieillesse qui viennent complexifier la donne. » Les gains pour l’employé sont alors à chercher du côté des accommodements spéciaux, notamment en matière de flexibilité du travail.
« Le télétravail ou l’aménagement d’un bureau situé à l’écart de l’effervescence et du brouhaha quotidien de l’entreprise sont aussi des propositions populaires », révèle Jimmy Côté. « Accorder le plein salaire tout en diminuant les heures en est une autre », renchérit Jean-Grégoire Morand. « Tous les partis peuvent sortir gagnants, moyennant une structure organisationnelle apte à gérer les demandes et à assurer l’équilibre », résume Éric Tardif.
Attention ! Garder une personne âgée en poste pour les mauvaises raisons n’est pas une bonne solution, comme le signale Jean-Grégoire Morand. « Créer un poste pour remercier Roger de son apport important à la compagnie peut s’avérer problématique. Ce genre de situation découle souvent d’une réflexion se résumant à ceci : soit l’entrepreneur ne veut pas payer pour le départ de l’employé, soit il se sent coupable de la prime de départ, nettement insuffisante en regard des services rendus, qu’il pourrait lui consentir. »
« Une entreprise qui sait qu’elle devra beaucoup débourser au cours des prochaines années pour accommoder ses futurs retraités devrait tenter de renégocier le tout, conseille M. Morand. Pourquoi ne pas préparer une stratégie de sortie au lieu d’attendre et de sortir le chéquier ? » De plus, dans le cas d’un régime à cotisation déterminée (CD), l’employé se faisant offrir un chèque ou une prime de départ doit savoir qu’il s’agit là d’un revenu imposable. Dans plusieurs cas, il importe alors d’utiliser les marges non utilisées d’un REER pour mettre les primes de départ à l’abri des ponctions fiscales.
Gérer le passé, préparer l’avenir
Face à ce déploiement d’incitatifs et d’accommodements visant les travailleurs à l’aube de la retraite, qu’en est-il des plus jeunes employés qui risquent d’attendre plus longtemps avant d’accéder à certains postes ? « Il est normal de voir les plus jeunes vouloir accéder à de plus grandes responsabilités, confie Stéphan Lazure. Mais, dans un contexte impliquant la génération du Millénaire, qui recherche une satisfaction immédiate au travail, la dynamique se complique. » Ce que corrobore Jimmy Côté. « L’employeur doit alors miser sur la communication, rappeler le positionnement de l’entreprise et les besoins de main-d’œuvre qui en découlent, et ainsi justifier la présence des seniors, tout en évitant de perdre les nouveaux talents, garants du futur de l’entreprise. »
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Pour aider à faire passer la pilule, la plupart des experts s’entendent sur une solution : la renégociation. « On considère souvent la rémunération comme le pilier de toute négociation, mais plusieurs autres facteurs sont à considérer, dont la flexibilité des horaires de travail et la possibilité de relever des défis », souligne Jean-Grégoire Morand.
La question se pose : est-il possible d’assurer l’équité intergénérationnelle entre les travailleurs. « Oui, et c’est pourquoi les régimes PD doivent être maintenus, ceux-ci offrant l’équité à leurs cotisants », répond Stéphan Lazure. Mais, pour Jimmy Côté, la réponse est ailleurs : « L’équité ne se fera pas dans les chiffres, les entreprises ayant des capacités de payer limitées. De plus, beaucoup d’employés n’hésiteront pas à quitter pour un salaire moindre ou équivalent pour bénéficier de conditions de travail adaptées à leur style de vie. » Selon M. Côté, l’atteinte de l’équité passe aussi par une révision du régime d’assurance médicaments, afin de tenir compte de la contribution haussière des jeunes exigée par la présence de personnes âgées.
Retraite anticipée dans le régime CD ?
Peut-on envisager une retraite anticipée dans le cas d’un régime CD ? Les opinions des experts divergent à cet égard. « Clairement non en ce qui concerne les PME, du moins s’il est question d’une retraite permettant le maintien du style de vie courant, lance Jimmy Côté. Dans le milieu des PME, un bon régime de retraite est constitué d’une cotisation de 3 % de l’employé et de 3 % de l’employeur. Une bonne retraite anticipée nécessiterait un taux de cotisation de 12 %, impensable dans le contexte des régimes actuels. »
« Tout est possible, si la contribution de l’employeur ne se limite pas au simple versement de la cotisation. Moyennant une définition claire des objectifs, comme dans le cas d’un régime PD, l’élaboration d’une stratégie valide de gestion des risques et d’une saine gestion du risque de longévité, des choses intéressantes peuvent être réalisées », affirme Stéphan Lazure. Selon lui, l’achat de rente doit aussi être envisagé. « Sans planification, la retraite anticipée avec un régime CD demeure toutefois très difficile. »
« Oui, si les participants cotisent le maximum possible, allègue Éric Tardif. Peu importe l’âge de l’employé, un régime CD implique que les sommes sont immobilisées. Un employé peut donc prendre une retraite anticipée à 40 ans s’il croit pouvoir subvenir à ses besoins. Les fonds peuvent être transférés dans un compte de retraite immobilisé (CRI), puis dans un fonds de revenu viager (FRV), et le tour est joué ! » Plus flexible, le régime CD offre toutefois moins de garanties qu’un régime PD, estime M. Tardif. « Un employé qui part à la retraite à 40 ans, sachant que l’espérance de vie est de 85 ans, doit toutefois bénéficier d’un bon rendement, d’où l’importance de cotiser au maximum le plus tôt possible. »
Qu’à cela ne tienne, qu’ils offrent un régime PD ou CD, voire aucun outil d’épargne-retraite aux effectifs, les employeurs québécois seront de plus en plus confrontés à la réalité de la population vieillissante. Même si ce ne sont pas tous les baby-boomers qui auront besoin de prolonger leur carrière professionnelle, c’est peut-être dans l’intérêt de toutes les entreprises de bien définir leur stratégie pour y faire face.