Le régime québécois d’assurance-médicaments fait figure de cancre mondial en termes de coûts, d’accès et d’équité.

C’est la conclusion à laquelle en vient une étude réalisée par un groupe de chercheurs de quatre universités canadiennes publiée dans la dernière livraison du Journal de l’Association médicale canadienne, alors que la discussion sur l’implantation d’un régime public universel d’assurance-maladie à l’échelle canadienne bat son plein au niveau fédéral.

« Si l’objectif est d’assurer un meilleur accès de manière abordable, le Québec ne fait pas bonne figure. Ce n’est pas un modèle à suivre, au contraire », tranche le chercheur Marc-André Gagnon, professeur en politiques publiques à l’Université Carleton d’Ottawa.

Ce dernier et ses collègues de l’Université de Montréal, de l’Université Concordia et de l’Université de la Colombie-Britannique dressent une série de constats impitoyables envers le régime québécois.

Leurs travaux démontrent que l’État n’a réalisé aucune économie comparativement au reste du Canada, mais que les citoyens et les entreprises du Québec dépensent beaucoup plus pour leurs médicaments qu’ailleurs au pays et que l’écart est encore plus grand lorsqu’on le compare aux neuf autres pays de l’OCDE qui ont un régime public universel de couverture des médicaments (Australie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suède, Royaume-Uni, France, Allemagne, Pays-Bas, Suisse).

De plus, même si l’accès aux médicaments est légèrement supérieur au Québec qu’ailleurs au Canada, il est loin d’être comparable à ce que l’on retrouve dans les autres pays à l’exception de la Suisse.

« Le Québec a un meilleur accès par rapport au reste du Canada, explique le professeur Gagnon. Mais si on se compare aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, eux ont une couverture publique universelle qui coûte beaucoup moins cher par habitant et qui, en plus, offre un bien meilleur accès que ce qu’on peut avoir au Québec. »

L’étude démontre ainsi que, depuis la création du régime québécois en 1997, les coûts pour l’État ont augmenté exactement au même rythme que dans les autres provinces, où les régimes d’assistance sociale couvrent une partie de la population vulnérable. Cela signifie donc que le Trésor provincial n’a réalisé aucune économie par rapport au reste du pays.

Par contre, le coût annuel par habitant pour les citoyens et les entreprises qui offrent une couverture d’assurance-médicaments a augmenté beaucoup plus vite au Québec qu’ailleurs au pays. Ce coût était d’environ 150 $ en 1997 partout au pays. En 2015, il atteignait 699 $ au Québec, comparativement à 494 $ dans le reste du Canada, soit 205 $ de plus.

La dépense pharmaceutique totale par habitant en 2014 était de 1 087 $ au Québec, comparativement à 912 $ pour le reste du Canada. Dans les neuf autres pays de l’OCDE, elle varie de 369 $ à 914 $.

Déjà en 2007, selon des données de l’International Health Policy Survey du Commonwealth Fund, 8,7 % des ménages québécois disaient avoir dépensé plus 1 000 $ en médicaments dans l’année, soit presque deux fois plus que le reste du Canada (4,8 %) et plus du triple de la plupart des autres pays.

Quant à l’accès, 8,8 % des Québécois disaient avoir sauté une prescription ou des doses de médicaments pour des raisons financières, un pourcentage moins élevé que dans le reste du Canada (10,7 %), mais beaucoup plus élevé que dans tous les autres pays de l’OCDE (de 2,1 à 6,3 %) à l’exception de la Suisse (8,9 %).

Le régime a même accentué les iniquités chez de nombreuses personnes vulnérables, notamment chez les travailleurs précaires, les travailleurs autonomes et les personnes à faible revenu dont l’employeur n’offre pas d’assurance puisque la franchise réclamée par le régime public représente une dépense beaucoup plus lourde pour eux que pour les personnes à revenu plus élevé.

L’entente québécoise: des économies minimes

Les chercheurs affirment qu’il n’est pas trop tard pour convertir le régime québécois en véritable régime public universel.

Selon eux, un tel virage « pourrait permettre aux Québécois d’économiser 3,8 G$ par année – soit 12 fois le montant annuel récemment économisé par le biais de rabais volontaires obtenus de fabricants de médicaments génériques au Québec » en vertu l’entente conclue par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette.

Ils ajoutent que « l’expérience québécoise indique qu’un système mixte public-privé de financement des médicaments prescrits améliorerait l’accès à l’assurance tout en générant des résultats mitigés en termes d’accès aux médicaments et des résultats très négatifs en termes de contrôle des coûts en général. »

L’idée d’un régime à la québécoise circule pourtant au niveau fédéral. Le Québec – seule province ayant un régime public d’assurance-médicaments – offre depuis 1997 un système mixte public-privé. Les entreprises qui offrent des assurances privées ont l’obligation d’y inclure les médicaments et tous leurs employés doivent y adhérer. Les travailleurs dont l’employeur n’offre pas de régime, les personnes âgées et les bénéficiaires de l’aide sociale ont accès au régime public, pour lequel ils doivent débourser une franchise.

« Le Canada est le seul pays de l’OCDE qui a un régime public d’assurance-maladie qui n’inclut pas l’assurance-médicaments, comme si le médicament n’était pas un soin de santé essentiel, déplore Marc-André Gagnon. Et pourtant, poursuit-il, tous les autres pays qui ont inséré le médicament au sein de leur couverture d’assurance-maladie performent beaucoup mieux à la fois en termes d’accès, d’équité et de coût pour les médicaments. »

Le prix du lobbying

Pourquoi le Québec s’est-il retrouvé avec ce système hybride qui, de toute évidence, n’a pas donné les résultats escomptés? Le chercheur l’explique par une combinaison d’austérité – c’est l’époque du déficit zéro du gouvernement de Lucien Bouchard qui ne voulait pas ajouter un choc de dépenses publiques – et de lobbying intense d’intérêts financiers.

« Les assureurs privés et les chaînes de pharmacies ont fait immensément de lobbying pour empêcher la mise en place d’un régime public universel qui était beaucoup plus à même de contenir la croissance des coûts », rappelle le professeur Gagnon, qui note que cette situation était clairement identifiée dans le rapport Gagnon, une analyse de faisabilité réalisée par le ministère de la Santé en 1995 qui recommandait pourtant un régime public universel.

À l’origine, le régime mixte devait être un premier pas vers un régime public universel. Sans surprise, les pressions d’autrefois se sont maintenant transportées à Ottawa.

« L’association des pharmaciens du Canada propose son « pharmacare 2.0 » qui est un peu le modèle québécois, dans les autres provinces; les assureurs privés salivent à l’idée d’implanter un régime à la québécoise dans les autres provinces et l’industrie pharmaceutique est aussi très avenante à l’idée d’avoir ce type de couverture. »