Devant le système « chaotique et coûteux » actuel, il est devenu évident que la mise en œuvre d’un régime public et universel d’assurance médicaments au Canada est essentielle, soutient un membre du Conseil consultatif formé en 2018 par Ottawa pour étudier la question.

« Je suis sorti du processus de consultation ébranlé et révolté. Je ne m’attendais pas à ce que la situation soit aussi catastrophique dans certaines régions du pays », s’est exclamé Vincent Dumez, codirecteur du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public.

Lors du Séminaire retraite et assurances de la FTQ, la semaine dernière, il a raconté avoir rencontré des Canadiens victimes de « trous invraisemblables » dans leur couverture d’assurance médicaments. « Nous nous sommes promenés dans toutes les provinces, et ça a été choc après choc, dit-il. Certaines personnes doivent démissionner pour avoir accès à une couverture publique, des couples se séparent pour obtenir une couverture individuelle moins restrictive, et des personnes atteintes du VIH doivent même déménager en Colombie-Britannique, où ils sont mieux couverts qu’ailleurs au pays. »

Selon les conclusions du Conseil consultatif, environ 20 % des Canadiens seraient actuellement sous-assurés et ne prendraient pas tous les médicaments dont ils ont besoin pour des raisons financières.

Durant son processus de consultation, qui a mené au dépôt d’un rapport en juin 2019, le Conseil a constaté qu’il existait une centaine de régimes publics d’assurance médicaments au Canada, et plus de 100 000 régimes privés. Cette mosaïque de régimes engendre une couverture disparate et inégale, en plus de générer des lourdeurs administratives et des difficultés de remboursement. Le nombre de médicaments couverts varie entre 4000 et 8000 selon les régimes, tandis que des écarts significatifs ont été constaté concernant les franchises et les quotes-parts payées par les assurés.

Du point de vue de la gestion des coûts, « la négociation des médicaments province par province nous prive d’un important pouvoir de négociation », mentionne Vincent Dumez.

« Nous n’avons jamais eu de réflexion cohérente au sujet de l’assurance médicaments au Canada. Il est plus que temps que cette situation change rapidement et drastiquement. Moi-même j’étais un peu sceptique au début concernant la nécessité de créer un régime universel, mais cela ne fait plus de doute pour moi maintenant », poursuit-il.

Un régime universel, la seule solution viable

Le Conseil consultatif a analysé différentes avenues pour la création d’un régime d’assurance médicaments au Canada, dont un régime « catastrophe », dont la couverture s’appliquerait seulement à partir d’un certain niveau de réclamations, ainsi qu’un système mixte public-privé semblable à celui du Québec.

Le membres du Conseil en sont toutefois venus à la conclusion que « la seule solution réellement viable » était un régime public universel à payeur unique. Selon les conclusions du rapport, c’est le seul système en mesure de garantir un accès égal aux médicaments à tous les Canadiens.

Un tel régime devrait également couvrir « une vaste de gamme de traitements ». À l’heure actuelle, la liste de médicaments remboursés de la Régie de l’assurance médicaments du Québec (RAMQ) est la plus exhaustive au pays parmi les régimes publics, avec environ 6000 traitements couverts. La liste du nouveau régime pancanadien devrait être au minimum équivalente à celle du Québec, idéalement plus longue, souligne Vincent Dumez.

« L’idée générale est que l’accessibilité aux traitements soit basée sur les besoins médicaux, et non sur les coûts », explique-t-il.

Pour limiter la croissance des coûts, le Conseil consultatif propose la création d’une agence canadienne des médicaments. Celle-ci serait responsable d’évaluer les médicaments, d’établir et de gérer la liste des traitements couverts, qui serait la même d’un bout à l’autre du pays, ainsi que de la négociation des prix avec les sociétés pharmaceutiques. Vincent Dumez précise que pour réduire les coûts du régime, l’utilisation des génériques et des biosimilaires serait favorisée.

Selon le modèle de régime proposé dans le rapport du Conseil consultatif, la prime annuelle atteindrait 100 $ pour tous les Canadiens, avec des exemptions possibles pour les personnes à très faible revenu. Une quote-part de 2 $ s’appliquerait à l’achat des médicaments les plus consommés au pays, et de 5 $ pour les autres.

Relations tendues avec les provinces

Au Canada, la santé est de juridiction provinciale. La création par Ottawa d’un régime pancanadien d’assurance médicaments pourrait faire grincer les dents de certains gouvernements provinciaux, admet Vincent Dumez.

Dans la proposition du Conseil consultatif, les provinces et les territoires continueraient d’offrir l’assurance médicaments à l’aide de transferts fédéraux. Cependant, le régime devrait être uniforme et transférable d’une province à l’autre, ce qui nécessiterait une étroite collaboration entre les différents gouvernements. Une nouvelle loi fédérale viendrait encadrer le financement du régime et le versement des transferts fédéraux aux provinces.

Pour qu’un régime universel voit le jour au Canada, l’adhésion des provinces sera essentielle, particulièrement celle des provinces « riches » comme l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec, soutient Vincent Dumez.

« Ce ne sera pas viable si seulement trois provinces adhèrent. En ce moment, le Québec a le moins mauvais système au Canada, mais il comporte tout de même une foule de problématiques, comme des primes très élevées et de grandes disparités dans les niveaux de couverture. Le Québec aurait tout intérêt à adhérer à un régime universel pancanadien. », dit-il.

L’automne dernier, les provinces ont accueilli froidement l’idée de créer un tel régime, accusant Ottawa de ne pas verser suffisamment de transferts en santé pour les besoins actuels.

Déploiement progressif

Le Conseil consultatif propose de déployer progressivement le nouveau régime sur une période de sept ans. À terme, en 2027, lorsque la liste intégrale des médicaments couverts serait en vigueur, le régime nécessiterait 15,3 G$ d’argent neuf annuellement. Cette somme proviendrait d’Ottawa et serait transférée aux provinces.

« À moyen et long terme, les gains économiques seraient considérables », relativise toutefois Vincent Dumez. Le rapport évalue à 350 $ les économies annuelles que pourraient réaliser les ménages canadiens en achat de médicaments. Pour les employés actuellement couverts par un régime privé, un gain de 100 $ par année viendrait s’ajouter, alors que les employeurs qui offrent un tel régime pourraient économiser 750 $ par année par employé.

« La réception a été très positive de la part des employeurs, malgré certaines craintes », soutient M. Dumez.

Transformation du secteur de l’assurance

Le Conseil consultatif concède que la mise en place d’un régime universel au pays aurait des impacts importants sur l’industrie de l’assurance, et c’est pourquoi le rapport recommande une mise en œuvre graduelle pour permettre aux assureurs de s’ajuster à un nouvel environnement d’affaires.

« Rien n’empêcherait les assureurs et les employeurs d’offrir une protection supplémentaire pour les traitements non couverts par le régime universel, suggère Vincent Dumez. Les sommes actuellement dirigées vers l’assurance médicaments dans les régimes privés pourraient aussi être utilisées pour bonifier la couverture d’autres services médicaux, comme les soins dentaires ou paramédicaux. »

L’industrie de l’assurance s’oppose fortement à la création d’un régime national et universel, privilégiant plutôt un modèle mixte public-privé s’inspirant du système en place au Québec. L’Association canadiennes des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) estime notamment qu’un régime universel, en plus d’avoir un impact majeur sur les finances publiques, pourrait réduire ou retarder l’accès à certains médicaments novateurs pour les Canadiens. Selon l’industrie, le gouvernement devrait adopter des mesures ciblées pour soutenir les groupes de la population qui ne sont pas bien protégés par le système actuel plutôt que d’adopter un nouveau modèle d’assurance à grande échelle.

Le NPD a déposé le mois dernier son projet de loi sur la mise sur pied d’un régime universel d’assurance médicaments. Il devrait être débattu à la Chambre des communes à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai.