La loi fédérale interdisant la discrimination génétique est là pour rester, même si Ottawa et Québec ont clamé qu’elle était inconstitutionnelle.

Dans une décision à cinq juges contre quatre, la Cour suprême du Canada a infirmé une décision unanime de la Cour d’appel du Québec qui jugeait que la loi ne relevait pas du droit criminel, mais plutôt de la propriété et des droits civils qui relèvent des provinces.

Le plus haut tribunal du pays a tranché: la loi relève bel et bien du droit criminel.

« Les interdictions prévues par la Loi protègent l’autonomie, la vie privée, l’égalité et la santé publique, et représentent donc un exercice valide de la compétence du Parlement en matière criminelle », écrit la juge Andromache Karakatsanis dans la décision majoritaire.

La Loi sur la non-discrimination génétique, en vigueur depuis mai 2017, vise à prévenir la discrimination génétique en interdisant à quiconque d’imposer un test génétique ou d’obtenir l’accès à des informations perçues à travers des tests génétiques avant de fournir un service.

En guise d’exemple, les compagnies d’assurance ne pourraient pas obliger des clients à subir un test génétique afin d’obtenir une assurance-vie.

Or, le gouvernement de Justin Trudeau et la ministre fédérale de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, considéraient ces dispositions inconstitutionnelles et étaient d’avis qu’elles ne relevaient pas du fédéral.

Cela n’avait pas empêché la loi d’être adoptée à majorité au Parlement canadien par les députés libéraux d’arrière-ban qui avaient défié la position de leur gouvernement, avec l’appui de l’opposition.

Le gouvernement du Québec avait renvoyé la question devant la Cour d’appel du Québec, faisant valoir que la loi outrepassait la compétence fédérale en matière de droit criminel. Les cinq juges de la Cour avaient donné raison à Québec en décembre 2018, sans toutefois suspendre la loi.

La Coalition canadienne pour l’équité génétique s’est ensuite tournée vers la Cour suprême, qui a entendu l’appel en octobre dernier.

Le député libéral Rob Oliphant, qui avait porté cette cause contre l’avis de son parti en 2017, s’est réjoui de la décision annoncée vendredi.

« Hourra!! C’est une grande victoire pour le Parlement. Une grande victoire pour les gens concernés par les maladies génétiques. Une grande victoire pour les médecins et les chercheurs », a-t-il lancé sur Twitter.

Un précédent constitutionnel?

N’empêche, cette décision est inusitée, dans le sens qu’elle vient contredire les avis juridiques du gouvernement du Canada, du Québec et la décision unanime de la Cour d’appel du Québec.

Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, s’inscrit parmi les dissidents dans cette décision.

Il s’est rangé aux arguments de son collègue Nicholas Kasirer qui a fait valoir que la loi outrepasse la compétence fédérale en matière de droit criminel et relève plutôt de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils.

Bien qu’il reconnaisse que la cause est noble, le juge Kasirer argue dans la décision que le rôle des tribunaux « ne consiste pas à évaluer la pertinence d’une politique publique, mais à déterminer la validité des lois en conformité avec le partage des compétences prévu par la Constitution ».

« En fin de compte, c’est la substance même de la loi qu’il faut qualifier, et non les discours prononcés devant le Parlement ou les propos publiés dans la presse par les personnes bien intentionnées qui soutiennent la loi ou par celles qui s’y opposent », écrit-il dans la décision.

Il ajoute qu’il se range aux arguments de l’ancienne ministre Wilson-Raybould, qui estimait que la loi était « susceptible de rompre l’équilibre constitutionnel entre pouvoirs fédéraux et provinciaux ».

« Je suis d’accord, poursuit le juge Kasirer. Une telle convergence inhabituelle de points de vue entre les procureurs généraux fédéral et provinciaux dans un litige concernant le partage des compétences incite à la prudence. Cela dit, elle n’est pas déterminante et, bien entendu, les juges de la Cour forment leur propre opinion sur ces questions. »

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a pris acte de la décision rendue vendredi et a dit qu’elle allait être examinée « dans son intégralité ».

« Le dépistage génétique est une question profondément personnelle pour de nombreux Canadiens et leur famille. Ceux qui choisissent de subir ce genre de test doivent avoir l’assurance que leur vie privée sera respectée et que les renseignements sensibles qu’ils obtiennent ne seront pas utilisés à des fins discriminatoires », a-t-il dit dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne.

« Tous les gouvernements ont la responsabilité de protéger les Canadiens contre ce genre de discrimination selon leurs compétences respectives. (…) Nous continuerons de travailler avec nos partenaires sur ces questions importantes. Nous sommes également très conscients de l’importance de protéger la vie privée des Canadiens. Ce sera un point primordial des discussions qui suivront », a-t-il conclu.

Le ministre de la Justice et Procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, a indiqué que le gouvernement de la province entend prendre le temps nécessaire pour analyser le jugement.

« Je tiens à souligner que le Procureur général du Canada et le Procureur général du Québec partageaient la même position à l’effet que les assises de cette loi reposaient sur une compétence du Québec. Malgré cette décision, je peux vous assurer que le gouvernement du Québec entend continuer d’exercer son leadership en matière de protection des renseignements personnels et de droit civil ainsi que de défendre ses compétences », a déclaré M. Jolin-Barrette dans un communiqué.